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4. DISCUSSION

4.2 RÉSULTATS PRINCIPAUX RAPPORTÉS À LA LITTÉRATURE

4.2.2 Une information défaillante

4.2.2.1 Constat

Les informations qui diffusent sur les produits et leurs dangers sont rares et peu fiables, la principale source d’information reste le bouche à oreille entre femmes ; la prévention primaire et secondaire reste absente. En France l’engagement des pouvoirs publics sur ce sujet est presque inexistant ; on trouve très peu de campagnes informatives et de supports à disposition des usagers et des professionnels de santé ; voici ceux que nous avons recensés :

- Campagne sur l’éclaircissement de la peau, menée en 2009 à la demande de la mairie de Paris, dans les 10ème, 18ème et 19ème arrondissements. Une brochure a été créée au décours comme support informatif ; elle peut être téléchargée sur le site de l’association URACA qui a mené l’intervention :

http://www.uraca.org/download/campagne-eclaircissement-de-la-peau/eclaircissement- de-la-peau-web.pdf

Il s’agit du support le plus complet sur le sujet.

- Brochure créé par l’ANSM en 2011 « Dépigmentation volontaire de la peau : attention dangers », disponible sur le site de l’ANSM :

http://ansm.sante.fr/Dossiers/Securite-des-produits-cosmetiques/Risques-lies-a-la- depigmentation-volontaire/%28offset%29/2

- Deux listes de produits non conformes et dangereux identifiés en France sont en accès libre sur internet, ces listes sont complémentaires et non exhaustives.

77 La première se trouve sur le site de l’ANSM, il est possible sur la même page de signaler un effet indésirable secondaire à un produit cosmétique :

http://ansm.sante.fr/Dossiers/Securite-des-produits-cosmetiques/Risques-lies-a-la- depigmentation-volontaire/%28offset%29/2

La seconde est publiée par le journal « Annales de dermatologie » :

http://www.sfdermato.com/media/image/upload-editor/files/TAP_listing.pdf

L’accès à ces brochures reste limité ; lorsque l’on entre les mots-clés « risques produits éclaircissants » ou « dangers produits éclaircissants » dans le moteur de recherche Google, le lien direct pour la brochure de l’ANSM n’apparaît qu’en 6ème position. Le lien pour la brochure URACA n’apparaît pas directement, on peut le retrouver via le site de la mairie du 10ème

arrondissement et sur le site www.lasantepourtous.com qui apparaît tout de même sur la première page de recherche.

A ces rares supports informatifs s’ajoute le faible engagement des autres acteurs de prévention, les médecins et la presse.

Concernant la presse, les magazines féminins joueraient un rôle ambigu sur le sujet, mettant en garde, tout en diffusant des publicités pour éclaircissants. Aucune femme interrogée n’a dit avoir été informée clairement par ce type de magazine. En revanche les quelques reportages télévisés sur le sujet ont été particulièrement remarqués, ils ont souvent fait l’objet de débats en famille ou entre amis.

Concernant le corps médical, le manque de connaissances voire d’intérêt pour le sujet est flagrant (3) ; preuve en est la rareté des travaux médicaux et sociologiques menés sur ce thème. Dans le cadre de sa thèse d’Anthropologie sur la pratique de la DV chez les femmes à Marseille, Céline EMERIAU a tenté de contacter des médecins (généralistes et dermatologues), pour faire un point sur leurs connaissances ; même en orientant sa recherche vers des praticiens au contact d’une forte patientèle d’origine africaine, elle a constaté qu’une large majorité ne connaissait pas cette pratique ou trop peu pour pouvoir en témoigner (48).

4.2.2.2 Hypothèses explicatives

Comment expliquer un tel manque d’information compte tenu de l’importance du phénomène ?

4.2.2.2.1 Un sujet tabou

L’évocation de cette pratique s’accompagne d’un jugement moral conscient ou inconscient de chacun, la difficulté à évoquer ce sujet freine la diffusion d’une information claire et appropriée.

78 Les femmes refusant la DV stigmatisent largement les utilisatrices, jugées fragiles psychologiquement et ayant une faible estime d’elles-mêmes (46). Dans notre expérience personnelle, lors d’une intervention de prévention menée en région parisienne auprès d’adolescentes, le néologisme « auto- racisme » a été utilisé à plusieurs reprises pour qualifier les utilisatrices de dépigmentants. Ainsi la couleur de peau joue le rôle de marqueur identitaire ; chercher à la modifier est interprété comme un reniement de sa culture et de ses racines.

Plus parlant encore, cette stigmatisation a lieu aussi entre utilisatrices. Nous l’avons vu, on distingue deux catégories d’utilisatrices au Sénégal : celles ayant une utilisation modérée des éclaircissants aussi appelé « Leeral » et dans laquelle la majorité des utilisatrices s’incluent volontiers ; et celles ayant une utilisation jugée plus abusive appelée « Xessal » (3). Les adeptes du « Leeral » répriment sévèrement le « Xessal » caractérisé par la recherche d’un blanchiment de la peau (44). On comprend que cette forte stigmatisation et la violence de l’interprétation raciale qui peut en être faite, culpabilise les utilisatrices et les pousse à taire ou minimiser leur pratique.

Mais le rejet de la DV dépasse le seul entourage des utilisatrices ; radios, magazines , sites internet dénoncent de concert une pratique honteuse (47). Les utilisatrices retrouvent les mêmes difficultés à évoquer la DV avec leur médecin, car en plus de la crainte d’un jugement moral s’ajoute la peur d’admettre une pratique que le médecin va sur le plan sanitaire réprouver ; comme un asthmatique répugnerait à admettre devant son médecin qu’il fume. Le médecin n’est donc consulté qu’à titre technique au moment de l’apparition des effets indésirables. Mais l’attitude des patientes n’est pas seule en cause, une possible réticence du thérapeute lui-même à s’intéresser et à évoquer le sujet est à prendre en compte (3). Moi-même au cours du recrutement de notre échantillon, j’ai par deux fois renoncé à proposer un entretien à des patientes qui avaient manifestement recours à cette pratique de peur de leur réaction. Le Dr PETIT postule, à propos de cette réticence des médecins, que « si la DV dérange tant, c’est qu’elle mobilise dans notre esprit l’idée d’une hiérarchisation des couleurs de peau, fruit d’une idéologie raciste, et ce quel que soit le crédit qu’on accorde intellectuellement à cette interprétation » (47). J’ajoute à cette réflexion que ma position de médecin remplaçant et de fait l’absence de relation de confiance préalable avec ces femmes à également joué dans ma réticence à évoquer cette pratique avec elles.

4.2.2.2.2 Absence d’engagement des pouvoirs publics

Le peu de campagnes informatives menées par les pouvoirs publics peut être liée à une réelle sous- évaluation du phénomène, le corps médical n’étant encore lui-même que très peu sensibilisé à ce sujet. Les travaux sur le sujet en France sont rares, il faut dire que l'évaluation même de l'impact

79 de la DV sur la santé est difficile : manque d'outils épidémiologiques fiable (les études par questionnaire se heurtant au risque d'insincérité des participants), manque de spécificité des complications observées, cutanées (acné etc.) et systémiques, l'imputabilité des éclaircissants dans une HTA ou un diabète étant difficile à déterminer.

4.2.2.2.3 L’enjeu économique

Même si il n’a pas été évalué dans notre pays, on peut supposer que l’argent généré par le marché des produits éclaircissants est un frein à la lutte contre la DV. A titre d’exemple les éclaircissants représentaient en Inde en 2010, 61% du marché des cosmétiques (10), ce qui laisse imaginer les difficultés rencontrées lorsque l’on s’y oppose.

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