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3. RÉSULTATS

3.2 ANALYSE THÉMATIQUE DES ENTRETIENS

3.2.3 Facteurs socio-environnementaux

Dans notre première partie « 1. Histoire de la pratique », nous avons énoncé les motivations conscientes qui ont poussé les femmes interrogées à initier, poursuivre et stopper la DV. Nous avons constaté que les motivations esthétiques se trouvaient au premier plan et que l’attitude de l’entourage pesait lourdement à tous les stades de leur pratique.

Dans cette deuxième partie, nous allons nous intéresser aux autres facteurs déterminants socio- environnementaux, ayant émergé de leur discours.

3.2.3.1 Une pratique banalisée

Toutes les femmes ont vu au moins une personne dans leur entourage proche avoir recours aux éclaircissants :

46 « I : Vous avez des copines qui utilisent encore les produits à Paris ou pas ? P11 : Mais tous… Tous, tous, tous les noirs. » (P11)

« C’est courant que tout le monde utilise hein »(P3)

Mais ce désir de clarté n’est pas l’apanage des femmes africaines ; il concerne aussi les hommes et de manière plus large les autres populations du monde de phototype foncé :

« Parce que ici il y a beaucoup de gens qui le fait, même les hommes » (P14)

« Pour moi, Afrique ou bien maintenant dans le monde entier ça se voit » (P11)

« comme les Asiatiques en Chine qui aiment avoir la peau très claire » (P5)

« Vous savez que Etats-Unis il y a des Noirs là-bas, eux aussi ils font » (P11)

Ainsi la DV est banalisée, vécue comme un phénomène de mode au même titre que la pratique des UV par les occidentales :

« Donc effectivement vous avez des Africains qui le font par goût d’esthétisme, par choix personnel comme quelqu’un, une occidentale irait dans hum… UV une cabine UV de bronzage pour se brunir la peau. » (P5)

« Vous savez même les Blancs… On a les Blanches qui sont très, très, très blanches, on a qui est un peu bronzée comme ça, mais elle aime mieux comme ça. » (P11)

3.2.3.2 Représentation positive du teint clair

3.2.3.2.1 Dans la mode

Les canons de beauté véhiculés par les magazines et les publicités excluent souvent les phototypes foncés. Lorsqu’une campagne est faite par une mannequin noire, elle est alors particulièrement remarquée :

« déjà des mannequins noires, noires, noires on en voyait pas beaucoup hein. (…) Et jusqu’à présent on les compte hein. » (P3)

« Il y en a une qui est très, très foncée, elle a vraiment la tête rasée vraiment noire (…) Elle est vraiment très foncée voilà et elle a une très belle carrière, je vois souvent dans les affiches des Galeries Lafayette. » (P5)

47 3.2.3.2.2 Une identité « claire »

Plus qu’une femme belle, la femme claire représente dans l’inconscient collectif une femme accomplie : heureuse, bien dans sa peau, aisée sur le plan financier etc…

« Ah elle a bonne mine ! Ah elle est… Peut-être qu’elle est plus en forme, elle a pas de souci, elle est bien dans son mariage ou euh » (P3)

« On dit qu’elle est heureuse. » (P14)

« C’est l’image qui compte le plus hein. Quand on est bien, bien forte et tout ça qu’on est… On se dit ouais elle a pas de souci, elle vit bien, elle mange bien voilà, elle a pas de problème avec son mari. » (P3)

« C’est par rapport au niveau de vie, montrer qu’elles ont de l’argent (…) Oui voilà une position sociale. » (P3)

A contrario, le teint noir véhicule une image de femme dans la difficulté :

« On te voit noire, on dit : « Elle a des problèmes » » (P14)

« chez nous quand tu es un peu noire ils vont dire : « elle a des soucis nanani nananin tu vois » » (P12)

Le teint apparait comme un reflet de leur personnalité et les définit toutes entières :

« Parce qu’un jour si tu le laisses (…) tu vas être une autre personne » (P14)

« I : pourquoi vous arrêtez pas d’un coup sec racontez-moi ? P14 : Parce que j’ai peur d’être noire, noire, noire (…) Ça change d’identité quoi. » (P14)

« Ah maintenant si on ne fait pas un éclaircissant pour être belles, les hommes ne regardent pas, parce que vous n’êtes que noire » (P7)

Le père de la patiente P7 de son côté, voit dans cette utilisation des éclaircissants par sa fille une forme de reniement de son identité et par là même de son lignage paternel :

« Mon père m’a dit que si je le mets, donc il va… Vous savez donc euh… Je sais pas comment je vais te dire… Euh… Parce que mon père quand même c’est une croyant aussi ; donc il m’a dit que si le moment que si je le mets, il va… Enfin je n’ai pas son nom jusqu’à sa vie. Vous voyez. Même je meurs aussi, si il est mort au niveau du cercueil, il faut pas que je le vois. Il m’a menacé quoi donc depuis ça moi je lui ai dit que… I : C’est comme si vous étiez plus sa fille ? P7 : Voilà, voilà ! »

48 Pourtant une identité africaine semble parfois revendiquée en associant par exemple ce teint clair au port de vêtements traditionnel :

« comme quand tu te maquilles franchement ; tu te maquille bien, tu mets tes bijoux, tu mets ton boubou africain et tout quand tu arrives, les gens ils te regardent » (P12)

3.2.3.3 Une clarté naturelle revendiquée

Les femmes interrogées ont toutes insisté sur le fait qu’elles étaient naturellement claires de peau, avant même l’utilisation des produits :

« moi déjà je ne suis même pas très noire, je suis pas noire. Donc chez nous, nous avons un teint clair déjà de nature » (P13)

« même moi je suis pas très, très noire hein » (P12)

« je n’ai pas trop noire parce que ma mère c’est une peule, de teint clair. » (P7)

On note une ambivalence dans leur discours avec d’un côté ce teint clair naturel fortement revendiqué et de l’autre une forme d’admiration pour les femmes au teint noir :

« Mais une femme qui a aussi un joli teint noir, ça c’est pas mal aussi, c’est très joli. Mais c’est rare qu’on en trouve aujourd’hui » (P1)

« les femmes qui sont très, très noires pour moi j’aime bien comme ça, c’est très joli pour moi. » (P11)

3.2.3.4 Une logique corporatiste

Il existe un clivage entre les femmes ayant recours aux éclaircissants et les autres. Elles ont tendance à se regrouper selon qu’elles pratiquent ou pas la DV :

« On était à la cérémonie. Tout le monde était belles là, les noires on les laissait à côté. » (P14)

« on se moque souvent des filles qui… On dit : « Ouais elle met du produit euh… » » (P6)

3.2.3.5 Influence de la vie en France

Sur l’importance de cette pratique en France comparativement à l’Afrique les avis sont partagés ; certaines ne voient aucune différence :

« Ici et en Afrique c’est la même chose » (P11)

49 D’autres pensent que les enfants nés ou ayant grandi en France pratiquent moins la DV:

« Bah la plupart de mes copines nées et grandies en France elles s’éclaircissent pas. (…)Y’en a, mais c’est vraiment 1 sur 20 ou 1 sur 15 ; par contre, celles qui sont nées en Afrique, là ouais c’est plus elle en fait. » (P10)

« Surtout les enfants qui sont nés ici, ils ont moins envie de faire ça. Mais ceux qui viennent d’Afrique… (Soupir) C’est pas pareil. » (P1).

Les raisons évoquées pour expliquer ce recours moins fréquent aux éclaircissants, sont multiples :

- la représentation du teint clair serait différente en France. En Afrique la clarté est un critère majeur de beauté :

« dans les pays comme le Cameroun par exemple il y a des expressions dans certaines ethnies (…). L’ethnie d’où je viens, on dit : « tu es belle comme une… Une Blanche ». Voilà. » (P5)

« En fait les femmes africaines ont tendance à beaucoup vouloir prendre soin d’elles. (…) Pour elles, la beauté joue aussi par la couleur de peau et plus on est claire, plus on est censée… Elles ont l’impression que plus elles sont claires plus elles sont belles. » (P6)

- Alors que le teint clair ne fait pas référence en matière de beauté en France: « nous on se met pas forcément en tête que si t’es pas claire, t’es pas belle » (P10).

« d’avoir grandi en France en fait, fait que dans mon esprit les choses sont peut-être différentes que des personnes qui sont arrivées beaucoup plus tard en France. » (P6)

- l’accès à certains produits d’entretien de la peau et leur recommandation par les professionnels de santé dès le plus jeune âge limiterait le recours aux éclaircissants :

« Le fait qu’on grandit dedans et tout. Mais ici les enfants… (…) Parce que déjà quand ils sont nés, nous on prend la pommade d’ici, Dexeryl qui est recommandée ou les trucs comme ça. Quand les enfants grandissent avec ça, ils achètent du lait à la pharmacie ; ils se pommadent avec ça. Donc c’est pas comme en Afrique et tout hein. » (P1)

3.2.3.6 Positionnement de la religion

Quatre patientes se sont exprimées sur le positionnement de leur religion vis-à-vis de la DV : deux musulmanes, une pentecôtiste et une protestante. Leurs croyances religieuses et de fait leurs

50 représentants, s’opposeraient globalement à la DV. Ils pourraient être simplement critiques, mettre en garde, voir interdire complètement l’utilisation des produits éclaircissants:

« enfant de pasteur très rigoureux, beaucoup de rigueur, beaucoup de sérieux. (Rires) (…) c’étaient plus des choses considérées comme de la frivolité » (P5) (patiente protestante) « Le pasteur qui me parle, des produits et tout ça (…) Il a dit les produits éclaircissants et tout ça là, c’est pas bon, ça peut donner la maladie et tout. » (P11) (patiente pentecôtiste) « Notre religion nous l’interdit » (P14) (patiente musulmane)

« il m’a dit que je voulais pas que tu mets ça, c’est des règles du Coran sur les crèmes éclaircissantes. » (P7) (Patiente musulmane)

3.2.3.7 Importance du teint au travail

Deux femmes ont évoqué l’importance du teint dans la recherche d’un emploi, plus simple lorsqu’on a un teint clair :

« I : Est-ce que vous pensez qu’il y a d’autres avantages à avoir la peau claire dans la

société? P3 : Oui, moi je… Pas dans mon cas, moi je n’ai jamais eu ce souci-là parce que je n’ai

jamais postulé à des postes… Mais je sais que j’ai remarqué que la plupart du temps c’est

quand on a une peau noire, noire, noire c’est un peu plus difficile surtout ici. I : Dans le travail vous trouvez, c’est ça que vous voulez dire ? Plus en France qu’en

Afrique? P3 : Mais je sais que j’ai remarqué que la plupart du temps c’est quand on a une peau noire, noire, noire c’est un peu plus difficile surtout ici (…). C’est pas qu’ici hein, même en Afrique on est de peau foncée, on a pas vraiment une belle allure ou bien un beau visage, teint clair et tout ça. Ça passe pas hein. » (P3)

« Si on est claire en tout cas dans la société française actuelle si on est claire euh… C’est pas que ça passe mieux mais ça aide quand même je pense. En tout cas pour tout ce qui est travail et tout ça. » (P6)

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