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4. DISCUSSION

4.2 RÉSULTATS PRINCIPAUX RAPPORTÉS À LA LITTÉRATURE

4.2.1 Facteurs déterminant la pratique

4.2.1.2 Déterminants socio-environnementaux

4.2.1.2.1 Influence de l’entourage

Le souhait d’imiter l’entourage est apparu déterminant dans l’initiation de la pratique. Toujours dans l’étude menée à Dakar, c’est la raison principale invoquée par les utilisatrices pour débuter la DV (27 % des femmes) (44) ; et dans le travail mené par Gaston M’BEMBA-NDOUMBA (sociologue), sur la pratique du « maquillage » dans la communauté congolaise, 60% des hommes

68 et femmes interrogés considéraient l’imitation des amis comme une motivation pour se dépigmenter (1).

En regardant plus précisément l’entourage, on retrouve des influences diverses. Les résultats de l’étude de Dakar sont sur ce point à nouveau comparables aux nôtres (44) :

- Incitation par les amies : direct via des compliments ou indirect via ce désir d’imitation ou d’identification à un groupe.

- Attitude critique de la famille : essentiellement la mère, le père et les membres masculins de la famille ; les sœurs ayant un rôle plus proche de celui des amies. Une initiation maternelle à la pratique n’est pour autant pas à exclure. On notera que dans notre travail, les sœurs tenaient une position franchement plus critique.

- Position intermédiaire du conjoint : 49% déclaraient avoir un conjoint critique vis-à-vis de cette pratique, 15 % un conjoint indifférent et 30% recevaient des compliments de sa part.

Cette position intermédiaire du conjoint est également retrouvée par le Dr Edouard RAYNAUD (dermatologue) dans sa thèse sur la pratique du « Xessal » à Dakar, où 54 % des maris souhaitaient l’arrêt des produits par leur femme (4). Ces résultats sur la place du conjoint interrogent, car ils sont en contradiction avec l’idée très souvent avancée par les femmes d’une forte préférence des hommes pour les femmes au teint clair ; le désir de séduction des hommes est d’ailleurs une motivation fréquemment retrouvée pour utiliser les produits (7,44). La préférence des hommes pour les femmes claires serait-elle une idée reçue ? Dans nos résultats il a été émis l’idée que le teint clair séduisait mais ne permettait pas de trouver un mari car ce n’était pas la raison pour laquelle on tombait amoureux. Pour savoir ce qu’il en est vraiment, une étude devrait être menée directement auprès des hommes afin de recueillir leur point de vue.

Quoi qu’il en soit, le teint clair reste un outil de séduction au sens large, il permet de manière narcissique de se plaire à soi-même (3), mais aussi de plaire aux autres ; dans le travail de Gaston M’BEMBA-NDOUMBA, 57 % des congolais interrogés disaient ainsi pratiquer pour « être mieux apprécié des autres » (1).

4.2.1.2.2 Le teint reflet de l’identité

« La couleur de peau est le signe d’appartenance du sujet à ses propres yeux et aux yeux des autres, à un groupe humain et à une culture qui sont les fondements de sa personnalité » (3). Le caractère identitaire de la peau joue ici un rôle essentiel. Le teint clair symbole de l’épanouissement, et a contrario la connotation négative du teint noir sont récurrents dans les

69 entretiens. On retrouve de la même façon la revendication d’une certaine identité chez les femmes refusant la DV ; selon elles leur teint noir leur permet d’exprimer une forte personnalité et maturité ; elles véhiculent ainsi une image de femmes fières de leurs racines et de leur culture (46). Mais certaines femmes au teint clair, peuvent elles aussi revendiquer une identité africaine, en associant par exemple l’utilisation de dépigmentants au port de vêtements ou de coiffures traditionnels (3,47).

On note qu’une majorité de patiente s’est revendiquée naturellement claire de peau, nous disant d’un côté ne pas avoir « vraiment » besoin des dépigmentants, tout en nous détaillant quelques minutes plus tard les mélanges puissants auxquels elles avaient recours. Ce paradoxe est également relevé par le Dr Antoine PETIT dans son mémoire sur la DV (3) ; une certaine identité « naturelle » liée à ce teint clair semble être revendiquée. En pratique le Dr Edouard RAYNAUD retrouve dans sa thèse une corrélation entre teint naturel clair et une pratique plus fréquente de la DV (4) ; cette tendance nécessiterait d’être vérifiée à grande échelle, avec une évaluation objective de la teinte initiale des patientes. Si elle se confirmait une hypothèse explicative pourrait être purement technique : les dépigmentants sont plus efficaces et faciles d’utilisation sur une peau déjà claire; mais d’autres raisons notamment d’ordre identitaire, comme nous venons de l’évoquer, serait à rechercher. Une part d’illusion voir d’auto-persuasion que ce teint clair est inné n’est également pas à exclure, et pourrait être partagé par l’entourage ; comme pour la patiente P1 dont le mari penserait que le teint clair de sa femme est «naturel » :

« il m’a trouvé comme ça donc (…) Peut être qu’il s’est dit que c’était vraiment mon teint » (P1)

4.2.1.2.3 Valorisation sociale

Dans l’étude menée à Dakar en 2000 le teint clair apparaît comme un symbole de modernité, et de haut niveau social ; la pratique de la DV était en effet corrélée à l’acquisition de certains biens de consommation comme le téléphone (44). L’idée d’une valorisation sociale par le teint n’a été évoquée qu’une fois dans nos entretiens et seulement dans le contexte d’un retour au pays. Les repères de richesse et de modernité étant différents entre Paris et Dakar, cela peut expliquer que nous n’ayons pas mis en évidence ce facteur dans notre travail.

4.2.1.2.4 La religion

L’interdit religieux serait une motivation d’arrêt de la DV (44), les croyances religieuses font d’ailleurs parties des éléments argués par les femmes qui refusent de se dépigmenter (46).

70 L’interdit qui serait donné par le Coran et qui est évoqué à plusieurs reprises dans nos entretiens doit être nuancé ; joint par téléphone sur le sujet, le bureau de la Fatwa de la grande mosquée de Paris nous a répondu que l’utilisation de crèmes éclaircissantes ou de tout cosmétique visant à l’embellissement était autorisée ; cependant si ces produits aboutissaient à changer la nature même de la personne ou représentaient un danger pour elle, alors leur utilisation était condamnée. On comprend que cette réponse laisse libre cours à l’interprétation de chacun; la possibilité d’un embellissement sans prise de risque semble difficile voir impossible à obtenir aujourd’hui; et la limite entre « simple » éclaircissement et changement de nature très subjective.

Dans notre étude, quel que soit la religion concernée, la condamnation ou la mise en garde par les représentants religieux n’ont pas empêché les femmes interrogées de débuter ou poursuivre leur pratique.

4.2.1.2.5 Les médias

Des remarques ont été faites sur la rareté des modèles esthétiques à peau noire dans les publicités. On peut penser que les médias jouent un rôle d’incitateur indirect en véhiculant comme seul canon de beauté des femmes métisses ou au teint clair (45). Mais leur incitation est aussi directe via des publicités pour produits éclaircissants dans la presse féminine « Afro ». Dans le magazine Amina, leader en France sur ce marché, ces publicités représentaient 11% du magazine en 2006 et 2007 (en terme de pages), et 6% en 2008 (48). Dans le numéro de mars 2015 nous avons relevé de la publicité pour 19 marques différentes d’éclaircissants. Voici quelques exemples de slogans publicitaires:

« QEI+ : Qualité Extrême Intense, pour la beauté et le soin de votre corps. Teint clair, pur et sain. Conseillé en parapharmacie et en cabinet de dermatologie ».

« First Lady : Kit embellissant et ultra-éclaircissant »

« Royal White : secret d’un teint clair et lumineux »

4.2.1.2.6 Le travail

Le caractère utilitaire de la DV pour chercher un emploi est parfois évoqué (3,45). L’importance du teint dans l’environnement professionnel a été peu évoquée dans nos entretiens. La question du travail ramenant à l’idée d’une possible discrimination raciale, elle a pu être volontairement écartée par les femmes interrogées. Si deux patientes ont émis l’idée qu’il était plus simple de trouver un travail lorsqu’on est claire, la recherche d’un emploi n’est pour autant pas apparue comme une motivation pour se dépigmenter.

71 4.2.1.2.7 Importance de cette pratique en France

Sur l’importance de la DV en France comparativement à l’Afrique, les avis étaient partagés. Un comparatif de prévalence n’est à ce jour pas possible. En pratique, tout indique que la DV est importante dans notre pays; dans une étude menée en région parisienne auprès de patients à peau noire consultant en dermatologie, on retrouvait 25,8% de femmes adultes d’origine africaine pratiquant la DV (13).

On peut se demander si cette pratique est plus souvent initiée en Afrique qu’en France ? Dans une étude menée à Paris sur les complications secondaires à l’usage des éclaircissants, 69% des femmes recrutées avaient débuté leur pratique en Afrique, 31 % en France (toutes étaient nées en Afrique) (28). Si on regarde notre échantillon, 5 femmes ont débuté en France et 9 en Afrique. Dans son expérience, le Dr Antoine PETIT, note que le mode de vie européanisé ne représente pas un frein à la pratique de la DV (49), et ce d’autant plus que le caractère cosmopolite de Paris pourrait amener certaines femmes à s’initier à cette pratique auprès d’autres communautés que la leur (3). Pourtant dans notre travail il a été suggéré que les enfants ayant grandi en France se dépigmenteraient moins. Deux hypothèses explicatives ont été avancées par les femmes :

- D’autres habitudes d’entretien de la peau seraient données aux enfants et à leurs mamans dès tout petit. La recommandation du Dexeryl® par le médecin a été citée en exemple. - Une autre hypothèse serait que la symbolique « positive » du teint clair est moins présente

en France.

Une différence de prévalence et de mode de pratique serait à rechercher entre femmes ayant grandi en France versus en Afrique. Les raisons d’une telle différence si elles existent pourraient ouvrir de nouvelles pistes de prévention.

4.2.1.2.8 Une pratique universelle

Nous l’avons vu en introduction, ce désir de changement de teint n’est pas propre aux femmes africaines, de nombreuses autres populations à travers le monde cherchent à éclaircir (14) ou à brunir (comme les occidentales utilisant les cabines à UV). Ce désir universel de changement de teint est à noter ; pour le Dr Fatimata Ly (dermatologue à Dakar, présidente de l’association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle), il existerait un teint universel idéal recherché par toutes les femmes, le teint marron (50).

72 Ces données qui relativisent la DV, la reléguant au rang de phénomène de mode ne permettent pas pour autant d’expliquer les motivations de chaque communauté, motivations qui ne sauraient être calquées les unes sur les autres.

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