Chapitre 1 : Hydroaminométhylation des alcènes : état de l’art, défis et stratégies
IV. 1.2 – Hydroaminométhylation du styrène en présence d’amine chirale tertiaire
IV.3. Influence de la présence de CO sur l’étape d’amination réductrice
Afin d’étudier l’influence de la présence de CO lors de l’hydrogénation des énamines, nous avons réalisé la réaction de façon séquentielle hydroformylation/amination réductrice, en modifiant le mélange gazeux utilisé à chaque étape (Schéma III. 10). Les essais ont été effectués de la façon suivante :
- Etape 1 : hydroformylation du styrène
La réaction est réalisée à 90°C, sous 30 bar CO/H2 (1:2), dans le THF avec le complexe cationique [Rh(CO)2((R,R)-PhBPE)]BF4 (S/Rh = 1000). Après 2 heures, le styrène est totalement consommé d’après le suivi par CPG. La température est alors ramenée à température ambiante, le réacteur est dépressurisé, et la pipéridine est injectée dans le réacteur sous atmosphère de CO/H2.
- Etape 2 : amination réductrice
La réaction est réalisée pendant 4 h, à 90 °C, sous une pression de 30 bars du mélange CO/H2 (a), ou de H2 seulement (b). CHO [Rh(CO)2(P-P)]BF4 CO / H2 HNRR' CHO * + [Rh] NRR' NRR' * + THF, 90°C, 30 bar THF, 90°C, 30 bar P-P = (R,R)-Ph-BPE (pipéridine) (a) CO / H2 ou (b) H2
Schéma III. 10. Réaction séquentielle hydroformylation / amination réductrice
35 a) W. Zhang, Y. Chi, X. Zhang, Acc. Chem. Res., 2007, 40, 1278-1290. b) W. Tang, X. Zhang, Angew. Chem., Int.
121
Résultats et discussion
Les suivis de réaction par CPG nous permettent d’obtenir de nombreuses informations quant au déroulement de la réaction séquentielle et l’influence de la présence du CO lors de l’étape d’amination réductrice.
Tout d’abord, les résultats obtenus en hydroformylation dans les essais sont reproductifs, avec une conversion totale du styrène au bout de 2 heures en 2-phénylpropionaldéhyde et 3- phénylpropionaldéhyde (avec des ratios ramifiés : linéaires de 72 :27 et 70 :30). Les proportions d’aldéhydes linéaires et ramifiés diminuent dès l’ajout de la pipéridine dans le milieu réactionnel, puisque les points de prélèvement à 120 et 150 min correspondent respectivement aux moments précédant l’ajout de pipéridine et à la mise sous pression à 30 bar du réacteur lorsque la température de consigne de 90°C est atteinte pour la deuxième étape. Dès le début de la réaction d’amination réductrice sous pression (150 min), les amines linéaire et ramifiée commencent à être formées. Lorsque l’amination réductrice est réalisée sous 30 bars de CO/H2 (Figure III. 6a), les énamines ((Z) et (E) ramifiées) sont largement majoritaires en fin de réaction. Dans ces conditions, l’amine linéaire est majoritaire par rapport à l’amine ramifiée au bout de 4h de réaction avec un ratio iso : n de 18 : 82 (Figure III. 7). Lorsque l’amination réductrice est effectuée sous 30 bars de H2 (Figure III. 6b), les amines sont majoritaires en fin de réaction. Leurs vitesses de formation augmentent, par rapport au cas précédent. Dans ces conditions, l’aldéhyde linéaire est totalement consommé, et la proportion d’amine linéaire formée n’augmente plus que très légèrement après 270 min (2h d’amination réductrice) jusqu’à atteindre un palier correspondant à la consommation des intermédiaires linéaires. Par contre, une différence significative dans la formation de l’amine ramifiée peut être observée, puisque celle-ci est le produit majoritaire en fin de réaction, avec un ratio iso : n de 54 : 46 (Figure III. 7). Sa vitesse de formation est plus élevée qu’en présence de CO. L’hydrogénation de l’énamine ramifiée s’effectue plus facilement qu’en présence de CO.
Dans les deux cas (a) et (b), l’amine linéaire est formée plus rapidement que l’amine ramifiée, dès que la réaction sous pression commence. Dans les conditions d’hydroaminométhylation du styrène ou de la réaction séquentielle hydroformylation/amination réductrice, les réactions de condensation aldéhyde/pipéridine et d’hydrogénation de l’énamine sont donc beaucoup plus rapides dans le cas des intermédiaires linéaires que dans celui des ramifiés.
La pipéridine n’est pas représentée sur les graphiques, mais dans les deux cas elle n’est pas totalement consommée. On remarque que la consommation du 2-phénylpropionaldéhyde semble dans les deux cas atteindre un palier, comme si les aldéhydes ne réagissaient plus avec la pipéridine encore présente dans le milieu. La réaction de formation des énamines est un équilibre, similaire à la réaction d’estérification. Dans nos conditions de réactions, l’équilibre est peut-être atteint à un moment donné, en fonction des quantités d’énamine et d’eau présentes dans le milieu. Sous pression de H2 seulement, une plus grande « consommation » des énamines formées peut permettre de déplacer l’équilibre dans le sens de la formation de l’énamine, expliquant que le palier atteint pour la quantité d’aldéhyde ramifié soit plus bas que dans le cas de l’amination réductrice effectuée sous CO/H2.
122
Conditions de réactions : [Rh(CO)2((R,R)-Ph-BPE)]BF4, THF, 90 °C, 30 bar, S/Rh = 1000.
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 0 50 100 150 200 250 300 350 400 % e s pè c e s (% d'a ir e s GC ) temps (min)
(a) Réaction séquentielle avec étape d'amination réductrice sous CO/H2 (1:2)
styrène 2-phénylpropionaldéhyde 3-phénylpropionaldéhyde amine ramifiée amine linéaire enamines 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 0 50 100 150 200 250 300 350 400 % es pè ce s (% d'air es GC ) temps (min)
(b) Réaction séquentielle avec étape d'amination réductrice sous H2
styrène 2-phénylpropionaldehyde 3-phénylpropionaldehyde amine ramifiée amine linéaire enamines
Figure III. 6. Suivi de l’évolution des espèces lors de la réaction séquentielle hydroformylation/ amination réductrice, avec amination réductrice (a) sous 30 bar CO/H2 (b) sous 30 bar H2
(1) Hydroformylation (2) Ajout de pipéridine (3) Amination réductrice
(1) (3)
123
Les ratios iso : n observés en fin de réaction (Figure III. 7) pour les amines ne sont donc pas liés à une régiosélectivité en faveur de l’aldéhyde linéaire lors de l’hydroformylation, puisque cette dernière donne un ratio iso : n de 70 : 30 au bout de 2 heures. Le ratio iso : n des amines observé à un instant t est lié à une différence de vitesses relatives des réactions de formation des énamines linéaire et ramifiée et d’hydrogénation de ces dernières, intimement liées aux conditions de réaction. Il en est de même pour les sélectivités en amines obtenues.
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 aldéhydes (120 min) amines (240 min) amines (390 min)
(a) réaction séquentielle hydroformylation / amination réductrice sous CO/H2
isomère ramifié isomère linéaire
Pour expliquer cette diminution de l’activité d’hydrogénation en présence de CO, deux possibilités peuvent être envisagées : soit la présence de CO inhibe l’activité du catalyseur quelque soit sa teneur, soit il est nécessaire d’avoir une plus grande pression partielle d’hydrogène pour avoir de meilleures activités d’hydrogénation. Le monoxyde de carbone est en effet un ligand qui se coordonne assez fortement au centre métallique, et sa présence en excès peut-être source d’inhibition du catalyseur, surtout pour l’hydrogénation. Plusieurs études ont déjà été reportées sur ces effets d’inhibition par le CO36
. L’effet d’une augmentation de la pression partielle d’hydrogène a été commentée en début de chapitre (Tableau III. 4), et n’a pas permis d’améliorer de façon significative la sélectivité en amines. L’augmentation de la pression totale pourrait éventuellement avoir une influence, mais notre autoclave étant limité en pression, nous n’avons pas pu vérifier ce point. Sur ces deux essais de réaction séquentielle, aucun excès énantiomérique n’a été obtenu.
36 D. Heller, A.H.M. de Vries, J.G. de Vries, Catalyst Inhibition and Deactivation in Homogeneous Hydrogenation, dans The Handbook of Homogeneous Hydrogenation ( Eds : J.G. de Vries, C.J. Elsevier), WILEY-VCH, 2007, pp 1483-1516, et references citées. 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 a ldéhydes (120 min) a mines (210 min) a mines (390 min)
(b) réa ction séquentielle hydroformyla tion / a mina tion réductrice sous H2
isomère ra mifié isomère linéa ire
Figure III. 7. Evolution des ratios iso : n en fonction du temps (min) et des conditions de l’amination réductrice : (a) CO/H2 ou (b) H2, à partir d’un mélange d’aldéhydes identique (% de gauche dans chaque graphique).
124
Conclusion sur l’hydroaminométhylation du styrène et sur l’étude des paramètres de réaction
La sélectivité globale en amines et la régiosélectivité de la réaction sont gouvernées de façon interdépendante par l’ensemble des paramètres du système catalytique, qui peuvent avoir des influences antagonistes selon les objectifs visés.
La présence d’amine en large excès, ralentit l’activité catalytique pour l’hydroformylation et influence la régiosélectivité de la réaction en permettant d’augmenter le ratio iso :n des aldéhydes formées, ce qui est intéressant pour augmenter la sélectivité finale en amine ramifiée qui nous intéresse.
La température de réaction se doit d’être élévée afin de permettre l’étape d’hydrogénation de l’énamine, et en particulier l’énamine ramifiée qui nous intéresse. Cependant, plus la température est élévée, plus le ratio iso :n des aldéhydes formées diminue, et le ratio iso : n des amines attendu également.
Une augmentation de la pression totale et de la pression partielle d’hydrogène permettrait peut-être d’améliorer l’activité d’hydrogénation du système. La présence de CO ralentit fortement l’étape d’hydrogénation de l’énamine, surtout l’énamine ramifiée, qui est plus difficile à réduire. Au niveau mécanistique, la présence des deux énamines (Z) et (E) en même temps au sein du mélange réactionnel pose une question importante sur le déroulement de l’hydrogénation de l’énamine, qu’il serait réellement intéressant d’étudier par des calculs théoriques appropriés.