• Aucun résultat trouvé

L'influence de l'islamisation dans la formation des nations balkaniques

Les principaux représentants de l'islam en Europe du Sud-Est étaient les tribus turkmènes et prototurques qui se sont installées dans différents endroits à diverses époques. Les premiers musulmans venus dans les Balkans à partir du XIIe siècle n'ont pas établi leur État et n'ont pas gardé leur identité (islamique) religieuse, même s’ils avaient le contact avec les musulmans arabes et turcs. Il s'agit des petites collectivités tribales, dont la subsistance est due à des circonstances politiques et sociales qui étaient à l'avantage du christianisme dans les Balkans pour cette époque. En premier lieu, les musulmans d'Asie Mineure se sont installés dans les Balkans à cause de leur service militaire dans les armées des dirigeants chrétiens. Il existe des manuscrits à propos de leur existence dans cette région dans lesquelles ils sont décrits sous un

92 И. В. ЧУРКИНА. Роль религии в формировании южнославянских наций, Москва, Эдиториал УРСС, 1999.

p. 137. ; Н. И. ТОЛСТОЙ. «Этническое и культурное самосознание сербов в связи с развитием письменности (литературы) и литературного языка в XII-XIV вв», Развитие этнического самосознания славянских народов

61

nouveau nom : Turcopoles,93 qui ont été en majorité des chrétiens et un petit nombre des musulmans.

Les données les plus importantes, concernant les premières communautés musulmanes en Europe du Sud-Est, se trouvent dans le manuscrit de l'écrivain, le voyageur arabe et l'enseignant de religion, Ahmad al-Gharnati, qui était parmi les musulmans sur le territoire du roi de Hongrie entre 1155 et 1158. Il a écrit :

qu'il y a parmi eux des descendants de Maghrébins par milliers, ainsi que d'innombrables descendants de Khwarismiens qui servent les souverains. Ils se déclarent chrétiens et cachent leur islam. Les descendants de Maghrébins ne servent les chrétiens que pour la guerre. Ils affichent ouvertement leur foi musulmane.94

Il est important de remarquer qu'il n'est pas possible de trouver la connexion entre ces musulmans venus dans les Balkans et d'autres musulmans qui sont décrits dans les manuscrits slaves au XIVe siècle. L'histoire de leur adaptation, de leurs différences et de leurs relations avec les chrétiens dans les Balkans pour cette période n'a pas d'autres preuves que le manuscrit d'Ahmat al-Gharnati jusqu'à présent. Aujourd'hui, nous n'avons pas des preuves qu'il y a un lien entre les musulmans qui sont venus dans les Balkans dans les différents siècles. Il s'agit d'une différence de 250 ans. En même temps, nous n'avons pas les preuves que la présence des premiers musulmans eut de l'influence dans la création d'identité nationale des tribus slaves, bulgares et hongroises. Donc, l’influence de l’islam sur la création de l’identité nationale des musulmans balkaniques commence à l’époque de l’Empire ottoman au XIVe et XVe siècle.

93 С. НОВАКОВИЋ. Срби и Турци XIV и XV века, Историјске студије о првим борбама с најездом турске пре

и после боја на Косову, Прво издање 1893, Београд, ИКП "Никола Пашић", 1998.

94 De Grenade à Bagdad. La relation de voyage d'Abû Hâmid al-Gharnâtî (1080-1168), Traduction annotée de Jean-

62

Professeur Mantran est un spécialiste de l'histoire des Arabes et un chercheur français en turcologie. Il pense que grâce au prophète Mahomet, il y avait un grand tournant dans l'histoire arabe, qui est apparu en raison de l'apathie historique. Il a formé un peuple uni, associé par de puissants liens religieux. L'islam avait, comme une nouvelle religion, un impact positif sur la dynamique et l'expansion des musulmans. L'islam a influencé la création d'institutions religieuses et culturelles et d’un nouveau régime politique avec les éléments de théocratie, qui est connue comme le califat.95 Il est intéressant d'observer que si une théocratie prend forme dans le territoire Ottoman, c'est précisément cela qui n'arrive pas à se déployer du côté chrétien où le pouvoir des princes demeure fort par rapport au pouvoir religieux. Cela est consolidé par une ecclésiologie qui soutient des Églises nationales.

L'historien Antonina Zeljazkova a constaté que selon les principales doctrines islamiques, qui étaient composées essentiellement dans les systèmes des califats arabes, ainsi que dans l'Empire ottoman, l’intégration des différents groupes ethniques dans un système monarchique islamique se réalise sur la base de la même appartenance religieuse. La religion est un symbole de l'égalité des musulmans, de leur unité, leur langue, leur race ou leur origine ethnique. C'est une forme de communauté dans laquelle ses membres ont promu l'égalité, la fraternité, l'unité, l'harmonie et la solidarité. Cependant, les doctrines islamiques ne sont pas tout à fait intégrées dans la vie quotidienne de la communauté musulmane, parce que les musulmans se sont divisés en différents groupes immédiatement après la mort du prophète Mahomet. Le processus de

63

subordination ou d'unification des tribus arabes, en fonction de l’interprétation, a été achevé pendant le règne du calife Omar ibn Al-Khattab (634-644).96

La différence entre l'identité nationale et religieuse, pendant le processus d'islamisation en Asie Mineure, dans les pays des Balkans, et dans d'autres régions européennes, était toujours présente dans la vie quotidienne. Il est possible de remarquer que certains auteurs du Moyen Âge ont utilisé des noms nationaux pour décrire tous les musulmans ou tous les chrétiens. Par contre, d'autres auteurs ont décrit des tribus et nations ethniquement différentes sous les drapeaux religieux. L'identification des personnes ou des nations dans ces documents est une tâche difficile parce que certains écrivains ont appelé tous les chrétiens orthodoxes par le nom « des Grecs », et tous les musulmans des Balkans ont étiqueté comme « des Turcs ».97 Le professeur William Montgomery Watt, spécialiste de l'islam, a essayé de trouver la base sociale de la genèse de l'islam, pour montrer son conditionnement historique de facteurs politiques et économiques, et de retracer l'influence de diverses formes de l'idéologie et de la religion en premier lieu sur l'être social des peuples des pays musulmans.98 Il a écrit le livre de l'Histoire de l'Espagne islamique99

96 А. ЖЕЛЯЗКОВА. Разпространение на исляма в западнобалканските земи под османска власт ( XV - XVIII век), София, Издателство на Българската Академия на Науките, 1990. p. 36 ; Е. А. БЕЛЯЕВ. Арабы, ислам и Арабский халифат в ранее средневековье, Москва, 1966. p. 135.

97 Ibid., p. 38.

98 Cf. W. MONTGOMERY WATT. The Faith and Practice of al-Ghazali, Oxford, Oneworld, 2000. ; W.

MONTGOMERY WATT. Muhammad at Mecca, Oxford, Clarendon Press, 1965. ; W. MONTGOMERY WATT.

Muhammad at Medina, Oxford, Clarendon Press, 1966. ; W. MONTGOMERY WATT. Muhammad: Prophet and Statesman, London, Oxford University Press, 1964. ; W. MONTGOMERY WATT. Islamic Philosophy and Theology, Transaction Publishers, 2008. ; W. MONTGOMERY WATT. Islamic Political Thought : the basic concepts, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1980. ; W. MONTGOMERY WATT. L'Influence de l'islam sur l'Europe médiévale, Traduit de l'anglais par Geneviève Humbert. Paris, P. Geuthner, 1974. ; W. MONTGOMERY

WATT. The Majesty That Was Islam: the Islamic world, 661-1100, New York, Praeger, 1974. ; W. MONTGOMERY WATT. What is Islam? London, Longmans ; Beirut, Librairie du Liban, 1968. ; W. MONTGOMERY WATT. Muslim-Christian Encounters: Perceptions and Misperceptions, Routledge Revivals, 2013. ; W. MONTGOMERY WATT. Islam and the Integration of Society, London, Routledge, 1998. ; W. MONTGOMERY WATT. A Christian Faith For Today, London and New York, Routledge, 2002.

99 W. MONTGOMERY WATT and P. CACHIA. A History of Islamic Spain, Edinburgh, Edinburgh University

64

avec des exemples intéressants d'exceptions historiques qui sont contraires à la doctrine islamique de l'égalité des musulmans indépendamment à leur identité ethnique. Les hautes positions politiques ont été réservées pour les Arabes dans les califats arabes, même les soldats arabes ont été privilégiés par rapport aux musulmans qui ne sont pas d'origine arabe. L’aristocratie non arabe, qui se convertit à l'islam, a gardé le pouvoir dans leurs pays avec leur population islamisée, mais elle n'était pas considérée égale avec les Arabes musulmans. Il a souligné, par exemple, que les Berbères « were given inferior shares of whatever was distributed, and the less desirable regions in which to settle, and, although they were Muslims, the Arabs did not regard them as equals. »100 Il a décrit en détail la rivalité tribale et ethnique entre les musulmans.101

Zeljazkova a cité un hadith dans lequel il est écrit que : « Il n'y a pas de nationalité sur la base de l'islam. »102 Elle donne un exemple selon lequel nous pouvons remarquer que l'appartenance religieuse était plus importante que la nationalité dans l'Empire ottoman. Les Turcs ont longtemps suivi ce principe islamique. À la question, qui es-tu? Le Turc répondait: « Je suis un musulman » parce que sa conscience ethnique était religieusement chargée. La nationalité était identifiée à la religion qui s'est manifestée dans tous les domaines de la vie sociale. Le terme « d'autres nations » dans l'Empire ottoman a été attribué aux chrétiens ou aux juifs. En outre, les musulmans arabes et persans ont attaché une grande importance à leur appartenance religieuse, mais ils ont conservé leur identité ethnique. Zeljazkova a mentionné plusieurs documents dans lesquelles le nom ethnique « Turc » est utilisé pour marquer tous les musulmans de l'Asie Mineure et des Balkans. Les peuples chrétiens de l'Empire ottoman ont été

100 Ibid., p. 28.

101 Ibid., p. 26-30.

102 А. ЖЕЛЯЗКОВА. Разпространение на исляма в западнобалканските земи под османска власт (XV - XVIII век), София, Издателство на Българската Академия на Науките, 1990. p. 37. Traduction de l'auteur.

65

considérés mutuellement comme des « frères en Christ », et les familles balkaniques converties à l'islam ont été appelés « les Turcs ».103

Il faut distinguer le contexte d'observation de l'identité nationale et religieuse en Europe du Sud-Est à cause de l'histoire des relations interreligieuses entre chrétiens et musulmans. Dans l'Empire ottoman, les musulmans étaient divisés selon les racines ethniques distinctes. Cependant, les nations de l'Asie Mineure et des Balkans, qui se sont convertis à l'islam, ont obtenu un statut social privilégié dans l'Empire ottoman. Pour cette raison, les chrétiens ont considéré tous les musulmans comme les Turcs et les chrétiens islamisés comme « Poturice ». Le corpus ethnique des Turcs a été uni par l'islamisation et l'ottomanisation. Les chrétiens islamisés ont accepté l'identification nationale turque, tandis qu'un petit nombre d'entre eux a gardé l'origine nationale par déclaration qu'ils sont en premier lieu des musulmans et ensuite des nations balkaniques.104 L'islamisation des chrétiens des Balkans a été étroitement associée à la politique d'invasion ottomane. Le professeur Alibasic écrit que « la propagation de l’islam est principalement due à l’arrivée des Ottomans dans les Balkans, qui s’est en grande partie achevée au XVIe siècle. »105 La dynastie ottomane a eu un grand succès politique et elle voulait assurer par l'islamisation des peuples conquis. Les résultats d'islamisation n'étaient pas à la hauteur de leurs attentes, mais les chrétiens islamisés se sont séparés de la base ethnique d'origine. C'est un succès des musulmans de l'Empire ottoman, car les musulmans balkaniques ont été considérés comme les Turcs pendant des siècles. Cependant, Zeljazkova a conclu, sur la base de la

103 Ibid., p. 37-38. ; В. ГОРДЛЕВСКИЙ. «Государство Селджукидов Малой Азии» dans Избранные сочинения,

Том 1, Москва, 1960. p. 76

104 А. ПРАШЧЕВИЧ. «Влияние процесса исламизации на взаимоотношения православных и мусульман в

Сербии», dans le portail de la science théologique « Bogoslov.ru ». Mise en ouvre : le 20 mars 2008. http://www.bogoslov.ru/text/271486.html, consulté 11 novembre 2012 à 15:34 h.

105 A. ALIBASIC. «Muslimani Jugoistocne Evrope» dans Atlas islamskoga svijeta, Sarajevo, Udruzenje ilmije

66

comparaison des nombreuses preuves de l'islamisation des nations balkaniques, que « Les musulmans des Balkans ne s’étaient jamais complètement identifiés aux Turcs ottomans... »106 Il y a plusieurs facteurs qui ont influencé une partie des peuples islamisés à s’identifier aux éléments turcs, et la seconde partie de ces peuples ont entretenu un processus de création d'une nouvelle identité nationale sur la base de l'identité religieuse musulmane.