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Influence de la mondialisation et des paramètres environnementaux

B. Étiologie

2. Influence de la mondialisation et des paramètres environnementaux

L’homme a influencé et modifié grandement l’environnement, avec le développement des zones urbaines, conséquence de l’augmentation de la population. Les facteurs socio- économiques, les facteurs biotiques et abiotiques inhérents à l’environnement ont également une influence sur le cycle biologique. Le développement du commerce international et l’accroissement de la population mondiale (associé à ces mouvements), l’adoption de nouvelles pratiques alimentaires « exotiques » ont contribué à l’apparition des distomatoses dans des zones non endémiques (World Health Organization 1995).

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a. Rôle des migrations et des facteurs socio-économiques

Beaucoup de connaissances sont à acquérir quant au rôle de l’homme dans le cycle épidémiologique d’O. viverrini et à sa variation génétique. Les migrations au fil des siècles (XIVème au XIXème), en plus de la guerre du Vietnam ont contribué à la répartition géographique actuelle des génotypes en Asie du Sud-Est. Un autre exemple est la forte arrivée de travailleurs thaïlandais infectés par O. viverrini sur l’île de Taïwan, auparavant non endémique. Aujourd’hui, les travailleurs immigrés font toujours voyager les douves vers des destinations dépourvues en ces parasites. Ce qui pose un problème de santé humaine car les professionnels ne savent pas forcément rechercher et diagnostiquer l’infestation.

En Amérique du Nord, des cas de clonorchiose ou d’opisthorchiose ont été rapportés chez des immigrés asiatiques même si, probablement, le cycle des parasites ne pourra s’installer du fait du manque des hôtes intermédiaires adéquats. En revanche, si les escargots natifs sont réceptifs au parasite, le risque de propagation à des zones non endémiques ou dépourvue en ces parasites s’accentue (Chai et al. 2005). Il a été estimé que 5 à 20% des immigrés sud-asiatiques présents en Europe et en Amérique du Nord sont infectés par les douves hépatiques (World Health Organization 1995, Macpherson 2005).

Historiquement, ce sont peut-être les soldats de l’Armée Rouge infectés qui ont permis l’introduction d’O. felineus en Allemagne lors de la seconde guerre mondiale. L’autre possibilité est que le parasite était présent chez des chats russes contaminés importés (Pauly et al.2003).

Par le passé, en période de guerres, des épidémies de distomatoses ont été la conséquence d’une pénurie de nourriture (report vers le poisson) et insuffisance de la cuisson par manque de fuel (World Health Organization 1995).

L’accroissement de la population dans certaines zones en Sibérie (suite à la découverte de pétrole et de gaz) a favorisé l’infection par O. felineus ainsi que la migration de la population des zones endémiques vers des régions non endémiques (Yurlova et al. 2017). Les barrages hydro-électriques ont une influence sur la prévalence d’infestation des poissons par O. felineus car ils provoquent un endroit inhabitable pour les premiers hôtes intermédiaires, ce qui conduit à une réduction de l’infection (Petney et al. 2013).

L’ouverture des frontières liée à la mise en place de l’Association des Nations de l'Asie du Sud- Est (ASEAN regroupant la Thaïlande, le Cambodge, le Laos, le Vietnam et la Birmanie) a contribué à l’extension des douves hépatiques aux autres régions de l’Asie du Sud-Est (Sripa et al. 2012).

Le commerce étendu de produits contaminés a contribué à l’augmentation des cas d’infections par ces parasites dans les zones considérées comme non endémiques (Broglia et Kapel 2011). Des cas liés à l’importation de carpe provenant de Sibérie et contaminée par O. felineus ont été rapportés en Israël alors que cette espèce n’y est pas présente naturellement. L’expansion de l’exportation des poissons élevés en Asie du Sud-Est a la même conséquence, notamment lorsque ceux-ci sont fermentés ou marinés (Chai et al. 2005, Petney et al. 2013). Un américain a été contaminé par H. heterophyes en consommant du poisson cru importé d’Asie du Sud-Est et quatre cas de clonorchiose à C. sinensis à Hawaï ont été recensés par importation de poisson de Chine (Butt et al. 2004, Fried et Abruzzi 2010, Food and Agriculture Organization of the United Nations et World Health Organization 2014).

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La consommation de poisson cru engendre la réémergence de cas attribués à O. felineus en Italie alors qu’il n’y en avait pas eu depuis le XIXème siècle (Armignacco et al. 2008). Dans le reste de l’Europe, la consommation de poisson cru, fumé ou mariné est déjà ancrée dans certaines coutumes (Islande) (Gordon et al. 2016). La tanche pêchée en Italie est commercialisée au sein de l’Union Européenne. Même s’il est mentionné sur les barquettes que le poisson ne doit pas être consommé cru s’il est non préalablement congelé, les étiquettes peuvent être perdues. C’est ce qui a conduit à l’une des épidémies italiennes en 2010 (Pozio et al. 2013).

Les populations rurales ou indigènes se retrouvant en région urbaine, les travailleurs immigrés ou les réfugiés vivant en pays étranger maintiennent leurs habitudes alimentaires. C’est d’autant plus à risque que le poisson, sa préparation ou le procédé de cuisson sont inappropriés. Les camps de réfugiés sont également à risque du fait du manque d’hygiène, des pratiques alimentaires à risque et l’existence des hôtes à proximité (World Health Organization 1995). Les touristes peuvent être infectés dans les pays non endémiques en consommant du poisson qu’ils ont rapporté avec eux ou en se contaminant directement dans le pays endémique visité en consommant les plats locaux ethniques (World Health Organization 1995, Broglia et Kapel 2011). Une étude a montré que les poissons servis dans les restaurants vietnamiens contenaient des métacercaires d’Heterophyidae, ce qui constitue un risque pour les touristes (Hung et al. 2013b).

b. Influence des pratiques agricoles et aquacoles

La déforestation en Asie du Sud-Est s’est accentuée avec le développement des rizières. Ces habitats aquatiques offrent un bon environnement pour l’établissement des escargots hôtes et les Cyprinidae peuvent y être élevés. Les animaux domestiques ont également été amenés avec les agriculteurs.

Le développement des systèmes d’irrigation en Thaïlande a favorisé la création d’habitats favorables pour les escargots et les poissons d’eau douce (World Health Organization 1995). L’agriculture et la pêche sont intimement liées. L’aquaculture est un complément de revenus pour les agriculteurs et de nombreux plats sont préparés à base de poisson dans le cadre familial. Le poisson est une ressource alimentaire riche en protéines peu onéreuse (Hung et al. 2013b). Les régions humides, comme le Mékong, sont aménagées par l’installation de canaux d’irrigation dans les rizières et les mares d’aquaculture. Cela constitue un revenu économique majeur de la région (Grundy-Warr et al. 2012).

L’aquaculture est en fort développement en Asie, alors que c’est la région du monde la plus endémique pour les douves.

Il est encore difficile d’attribuer la part de contamination humaine aux poissons élevés par rapport aux poissons sauvages même si des études montrent que les poissons d’élevages sont contaminés par les douves (Chai et al. 2005, Lima dos Santos et Howgate 2011, Petney et al. 2013). L’aquaculture en eau douce est considérée comme la principale cause d’émergence des distomatoses en Asie du Sud-Est car les poissons sauvages, à eux seuls, ne peuvent pas expliquer la forte prévalence des parasites chez l’homme (Dung et al. 2007). Une étude montre que les poissons sauvages sont plus à risque d’être contaminé par C. sinensis au Vietnam, en Chine et en Corée du Sud (Phan et al. 2016). Une autre étude en Thaïlande montre que les poissons élevés et nourris avec des granulés commerciaux sont contaminés par C. sinensis, H. taichui et C. formosanus car l’eau des réservoirs naturels est utilisée pour alimenter les mares (Pitaksakulrat et al. 2013). Une étude au Vietnam a montré que la prévalence des douves était aussi importante (environ 60%) que ce soit pour des poissons élevés ou sauvages (présents dans les canaux d’irrigation) (Phan et al. 2010a).

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L’intensification de l’aquaculture pourrait faciliter la prolifération des escargots et leur disponibilité auprès des poissons. De même, l’utilisation de pratiques à risque augmenterait largement le risque de contamination humaine (Thu et al. 2007). L’introduction de l’escargot Melanoides tuberculata aux États-Unis et au Mexique a augmenté le risque de contamination des poissons élevés et sauvages par C. formosanus et H. pumilio et a agrandi l’aire de distribution de ces deux parasites (Paperna et Dzikowski 2006).

L’aquaculture en eau douce se pratique dans les mares, les canaux et les cages. Les réservoirs, les lacs, les rivières, les canaux et les rizières sont fermés par des filets et des clôtures.

Elle est conduite de deux manières différentes : la première est un système commercial et l’autre s’intègre à plus petite échelle dans des fermes mono- ou polycultures familiales. Plusieurs espèces de poissons grandissent dans les mares et le cycle de production est continu.

C’est le deuxième système, appelé VAC, qui est le plus commun au Nord du Vietnam. Ce système est composé de trois unités : un verger traditionnellement (« Vuon ») mais étendu à toutes les autres cultures maintenant, une mare à poisson (« Ao ») et une étable pour le bétail (« Chuong ») habituellement une porcherie mais des vaches et volailles peuvent aussi être élevés. Le lisier ou les eaux usées non traités sont utilisés comme fertilisants pour les mares (croissance des algues et du plancton). C’est très prisé dans ces systèmes car c’est un engrais à moindre coût. Les excréments des animaux peuvent aussi s’écouler dans les habitats aquatiques naturels et contribuer à l’établissement d’un nouveau foyer d’infection.

Les restes des récoltes provenant du verger et les restes des poissons non consommés par l’homme sont donnés aux chiens, chats ou cochons. La boue des mares peut être à son tour utilisée comme engrais pour le verger ou les champs.

Les porcheries sont très souvent situées sur les berges de la mare pour faciliter l’écoulement du lisier dans celle-ci. Le chien est également consommé et les intestins sont souvent jetés dans les mares. Tout ceci facilite le cycle biologique des parasites (Anh et al. 2009, Lan Anh et al. 2009, Dung et al. 2010, Phan et al. 2010b, Clausen et al. 2012, Hung et al. 2013b).

Pour les espèces de poissons sauvages attrapées puis élevées en cage ou en mare, l’infestation a souvent lieu dans le milieu naturel (Vo et al. 2008).

Les inondations ou le système d’irrigation peuvent aussi amener les fèces dans les mares (Thu et al. 2007, Gordon et al. 2016).

Les cercaires peuvent provenir de l’extérieur de la mare lors de leur réapprovisionnement par l’eau des rivières ou par les petits canaux d’irrigation. L’alimentation en eau des mares peut être faite à partir de canaux de moins de 50 cm de large directement connectés à la mare ou en pompant de l’eau en profondeur ou d’un canal à proximité (Clausen et al. 2015). Le plus souvent, c’est lors des inondations que les cercaires sont introduites car la rizière n’est pas forcément connectée directement à la mare (Skov et al. 2009, Madsen et al. 2015).

La végétation aquatique extérieure aux mares est parfois ramassée pour nourrir les carpes de roseau (souvent élevées avec d’autres espèces) mais c’est une pratique à risque car des escargots infectés peuvent y être présents (Phan et al. 2010b, 2010c). Le ramassage d’escargots pour les donner ensuite aux carpes noires et aux canards est aussi à risque. La diversité et la quantité d’escargots hôtes dans les petits canaux d’irrigation peuvent être influencées par la présence de canards et le retrait de la végétation. Les petits canaux sont une source de poissons juvéniles ou de petite taille pour les éleveurs. Or les escargots hôtes y sont également présents et potentiellement en grande densité, ce qui implique, à terme, un risque de contamination humaine (Madsen et al. 2015).

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Une étude a comparé la prévalence des métacercaires de douves intestinales chez les poissons dans différents systèmes d’élevage au Vietnam : elle est la plus élevée dans le système polyculture (plusieurs espèces de carpes) puis vient le système VAC puis le système monoculture (Clarias spp, Gourami géant) (Thien et al. 2007). Une autre étude a montré que la prévalence des distomatoses (C. sinensis, H. pumilio, H. taichui, C. formonasus) dans les éclosoirs est de plus de 50% dans les mares utilisées sur la période de l’hiver (Gordon et al. 2016).

c. Influence des paramètres environnementaux

Le climat a un impact sur l’infestation en zone tempérée ou tropicale puisque les hôtes intermédiaires sont ectothermes. Il est difficile de prédire les conséquences sur les douves jusqu’à présent. La vie en eau douce est soumise aux fluctuations de niveau. Les climats extrêmes influenceront donc le cycle des parasites : les fortes températures faciliteront le développement des escargots d’eau douce et les fortes précipitations créeront des zones de vie plus nombreuses pour ces gastéropodes. Le transport des excréments jusqu’aux mares, lacs et ruisseaux sera facilité et il y aura une diminution de la mortalité des œufs. De plus, la production des cercaires est totalement soumise à la température extérieure et augmente avec l’augmentation de la température (Chai et al. 2005, Thien et al. 2007, Petney et al. 2013). Une étude corrobore ces observations puisqu’en Chine, le risque d’infestation humaine par C. sinensis serait plus grand en cas de fortes températures et de pluies mais une humidité de l’air ambiant trop importante réduirait ce risque (Li et al. 2014).

Cependant, les zones de confort thermique sont parfois minimes et dépendent de l’espèce de douve, d’escargot et de la zone géographique. L’effet du changement climatique sur le taux de mortalité est difficile à définir car il y a plusieurs facteurs entrant en jeu qui peuvent annuler leurs effets entre eux. Un hiver plus doux ou un printemps plus précoce peut rompre le synchronisme existant entre le cycle des parasites et leurs hôtes par modification du moment où a lieu le pic de transmission (Polley et Thompson 2009).

La saison a une influence sur le développement des escargots qui sont en plus faible quantité en saison sèche (Sithithaworn et Haswell-Elkins 2003). Durant la saison des pluies, les escargots se situent plus sur les herbes à la surface de l’eau et y sont donc en plus grande quantité par rapport au fond de la mare (Kaewkes 2003).

Une étude au Vietnam a montré que le pic de transmission aux poissons était durant l’été (mai à novembre), et plus particulièrement lors de la période de fortes pluies. La prévalence et l’intensité de l’infection diminue ensuite en hiver (décembre-janvier) car le niveau d’eau est plus bas et les températures sont plus froides. Les escargots sont infectés mais la libération des cercaires dans l’eau est ralentie (Madsen et al. 2015).

La Thaïlande est un pays tropical, le pic de contamination fécale dans les milieux aquatiques et le pic de contamination des escargots par O. viverrini ont lieu au moment des inondations. Le pic de transmission chez l’homme a lieu juste après la mousson (octobre à février), lorsque les poissons hôtes intermédiaires sont abondants et fortement parasités. Dans les pays avec une saison froide marquée, le pic de transmission se fait durant les mois les plus chauds. En effet, l’hébergement des cercaires dans les escargots est sous la dépendance de la température de l’eau. Les parasites peuvent rester sous forme de rédies pendant l’hiver et muer au printemps ou des nouvelles infections ont lieu chaque année (Sithithaworn et Haswell-Elkins 2003, Chai et al. 2005, Thien et al. 2007, Kaewpitoon et al. 2008, Sripa et al. 2011, Kaewkes et al. 2012, Petney et al. 2013). Au Cambodge, c’est de novembre à mars (Touch et al. 2009, 2013). Le taux d’infestation des poissons par les métacercaires d’Opisthorchiidae varie d’une année à l’autre selon la saison, l’âge et l’espèce du poisson, la zone géographique, la saison, l’habitat aquatique et les facteurs climatiques (intensité de la pluie) (Petney et al. 2013).

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La prévalence chez les hôtes de M. bilis augmente lorsque la température augmente, qu’il y a moins de gelées et moins de précipitations. Le réchauffement climatique privilégierait donc la transmission de ce parasite (Sitko et al. 2016).

L’infection par les Heterophyidae a aussi des variations saisonnières (Touch et al. 2013). Une étude a montré que les poissons sauvages étaient infestés par les Heterophyidae de janvier à octobre au Vietnam (Vo et al. 2008). L’hébergement des cercaires de C. armatus est sous l’influence également de la température de l’eau et de la luminosité. Il est plus important de mai à septembre, en journée et à une température de 35°C (Komatsu et al. 2014).

L’infection par les miracidies de C. sinensis en Chine est plus élevée en saison chaude (mai à octobre) et est quasi nulle en saison froide (novembre à mars) (Li et al. 2014).

Le niveau de contamination des réservoirs d’eau naturels par des bactéries fécales (coliformes) serait un indicateur de la transmission saisonnière des œufs d’O. viverrini aux escargots hôtes (Kaewkes et al. 2012).

En Asie du Sud-Est, les personnes habitant dans les zones les moins surélevées par rapport au niveau marin sont les plus infectées par O. viverrini et C. sinensis (Sithithaworn et al. 2012b). Le taux d’infestation par O. viverrini chez le poisson augmenterait lorsque le niveau d’eau diminuerait (Touch et al. 2013). D’autres travaux relatent le même effet avec le débit, le taux en oxygène dissous mais un effet inverse avec la température de l’eau (Touch et al. 2013). La profondeur, le taux en oxygène dissous, la température, la turbidité, la salinité et le pH de l’eau influencent la présence ou non de Bithynia, hôte de C. sinensis dans les réservoirs aquatiques naturels et dans les mares (Phan et al. 2016).

Certains foyers d’opisthorchiose diffèrent dans les habitats aquatiques impliqués car les caractéristiques thermiques et hydrochimiques sont différentes d’un point à un autre. Il y a trois types de foyers d’opisthorchiose : naturel avec implication des animaux sauvages dans la transmission, anthropologique avec implication des hommes et mixte avec implication de l’homme, des animaux sauvages et domestiques (Yurlova et al. 2017). La variabilité génétique d’O. viverrini est associée à la localisation géographique (Petney et al. 2013).

L’impact de l’homme est environnemental et influence la transmission parasitaire à travers la pollution de l’eau par les rejets industriels, l’utilisation des habitats aquatiques naturels pour l’aquaculture et l’introduction d’espèces de poissons invasives (carpe commune, brème, able de Heckel et cyprin doré) (Yurlova et al. 2017).

La présence simultanée de C. sinensis et O. viverrini en Thaïlande pourrait être la résultante de l’influence du climat et d’autres facteurs environnementaux sur le parasite et les hôtes et de l’amélioration de la sensibilité des moyens de détection (Polley et Thompson 2009).