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9. ANALYSE DE L’OBJECTIF 4 : Explorer comment les relations de pouvoir expliquent en partie

9.1 Indices de résistance

Afin d’identifier ces indices, nous nous sommes demandé, pour chaque situation clinique, à quoi la personne résiste et de quelle manière elle le fait.

Au cours d’un entretien, une travailleuse sociale utilisait abondamment le terme de « résistance » pour parler du refus. Toutefois, lorsque nous lui avons demandé à quoi résistait la personne, elle n’a pas été en mesure d’offrir une réponse claire, sous-entendant que la personne résistait au cours normal des choses. Toutefois, il est très important de rappeler que le concept de résistance, au sens où Foucault l’emploie, est indissociable du pouvoir, et qu’il ne se réduit pas à une posture psychologique oppositionnelle. Il s’agit chez lui d’un contre-pouvoir à la force sociale de domination issue de la subjectivité des individus. C’est la part intime qui, en général, ne s’exprime pas dans l’espace public, par crainte d’être marginalisée. S’il est vrai que le pouvoir implique nécessairement la résistance, la résistance implique aussi nécessairement du pouvoir, puisqu’il est essentiel de le lire en termes de rapports de forces constitutifs de la forme sociale. Pour illustrer, on n’a qu’à penser à un pont, qui prend forme uniquement en raison d’une force (la gravité) et d’une contre-force (la poutre précontrainte), sans quoi il s’effondre.

Nous tenterons donc, à partir des cinq extraits présentés, de voir à quelles forces la résistance s’opposait.

Dans la première situation, il semble clair que Madame Castonguay ne résiste pas principalement au pouvoir exercé par la travailleuse sociale, mais bien à celui exercé par la municipalité qui tente, au nom de la préservation de sa sécurité, de l’évincer de son domicile. D’ailleurs, tous les acteurs semblent conscients de ce fait dans le récit, la travailleuse sociale disant ouvertement que l’objectif ultime de la municipalité est de démolir la maison, qui semble représenter un danger. Madame Castonguay résiste de façon indirecte à la municipalité lorsqu’elle formule un refus à la travailleuse sociale. Elle a déjà été hospitalisée de force par une autre travailleuse sociale, et a donc de bonnes

raisons de croire que la travailleuse sociale est un outil à la disposition de la municipalité pour parvenir à lui faire quitter son domicile afin de le démolir (impression partagée par la travailleuse sociale elle-même).

Madame Castonguay résiste concrètement de plusieurs manières. Tout d’abord, elle refuse à la travailleuse sociale et aux policiers l’accès à sa résidence. Il est raisonnable de croire qu’elle craint que leur évaluation n’ouvre la porte à un ordre de la cour pour l’évincer de sa maison. Notons que la travailleuse sociale hésite à retourner au domicile de la personne, entre autres parce qu’elle craint que cette dernière ait une réaction violente à son endroit, soit une forme brute de résistance. Madame Castonguay fait également de la résistance passive, en donnant de fausses informations aux professionnels afin de les tenir loin.

Dans la deuxième situation, Monsieur Larose ne résistait pas à l’intervention en tant que telle, mais plutôt au changement de résidence qui lui était proposé, puisqu’il acceptait sans problèmes la visite des auxiliaires familiales et sociales. S’il avait été possible d’offrir des services 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, l’histoire se serait probablement arrêtée là. Le motif de son refus n’était donc pas de faire valoir son autonomie fonctionnelle, mais bien de faire respecter ses choix. Monsieur Larose était en phase terminale, savait que la mort approchait, et était prêt à accepter d’avoir une moins bonne qualité de vie afin de ne pas avoir à déménager, pour des raisons qui n’ont pas été explorées lors de l’entretien.

Tout comme dans le cas de Madame Castonguay, la travailleuse sociale craignait une réaction violente. D’ailleurs, le fait que Monsieur Larose soit suicidaire a possiblement eu une certaine influence sur la relation de pouvoir entre lui et la travailleuse sociale, qui se proposait d’intervenir

de façon plus délicate. Pourtant, le risque suicidaire peut également être une source de légitimité d’une intervention forte. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, dans ce cas précis, son intervention n’était pas légitimée par le besoin de protection de la personne, ce qui peut en partie expliquer pourquoi la travailleuse sociale ne semble pas en avoir tenu compte sous cet angle. D’autre part, la résistance s’est simplement produite par des refus exprimés verbalement, au point où la travailleuse sociale estime que Monsieur Larose était un homme têtu.

Lors de la troisième situation, la travailleuse sociale ne nomme pas explicitement les raisons de la résistance de Madame Baillargeon. D’ailleurs, l’extrait ne traite pas non plus des préférences de la personne ni de ses forces, mais met plutôt l’accent sur les troubles cognitifs, les interrogations vis- à-vis la capacité de la dame à comprendre ce qui lui arrive, et l’incapacité de son conjoint à combler les déficits fonctionnels de la dame. Pourtant, suivant les théories de Foucault, même une personne inapte souffrant de problèmes cognitifs peut adopter des pratiques de résistance. Dans cette scène, la travailleuse sociale met en doute l’authenticité de la relation amoureuse entre Madame Baillargeon et son aidant. Selon cette perspective, il se pourrait donc qu’elle ait demandé (ou qu’elle ait fait croire à la travailleuse sociale qu’elle a demandé) à cette personne de l’aider un minimum, afin de garder la travailleuse sociale le plus loin d’elle possible. Cet homme pratique également de la résistance en omettant d’obéir à la lettre aux injonctions de la travailleuse sociale, que ce soit en raison de son alcoolisme ou de toute autre raison qui n’a pas été abordée.

Lors de la quatrième situation, celle de Monsieur Smith, la configuration des relations de pouvoir est différente de ce que nous avons pu observer dans les trois premiers exemples, et évolue dans le temps. Nous avons au départ un homme qui est résistant non seulement à être relogé, mais

également à l’intervention à proprement parler. Suite à certaines démarches, la travailleuse sociale l’a convaincu d’installer certains services afin qu’il puisse jouir le plus possible de son autonomie à son domicile. Toutefois, une fois que Monsieur Smith était plus autonome dans son domicile, certains risques subsistaient quant à sa sécurité. La travailleuse sociale fait mention d’une énorme pression de la famille et des autres professionnels afin qu’il quitte sa maison vers un endroit plus sécuritaire, mais l’homme insistait fortement pour dire qu’il souhaitait rester chez lui jusqu’à la fin de ses jours, malgré le risque. Cette fois-ci, la travailleuse sociale s’est rangée derrière Monsieur Smith et a joint son pouvoir à la résistance de l’aîné pour former un contre-pouvoir assez grand pour lui permettre de rester à la maison jusqu’à la fin de ses jours. Au final, cette date fut précipitée par un événement dramatique qui aurait certainement été évité si Monsieur Smith s’était soumis au pouvoir de son entourage.

Finalement, dans la cinquième situation, nous découvrons une autre configuration des rapports de pouvoir. Monsieur Proulx fait de la résistance afin de ne pas être catégorisé comme une personne pleinement autonome alors qu’il perçoit qu’il a vraiment besoin d’une auxiliaire pour l’aider à se laver. En réponse à cette résistance, la travailleuse sociale reprend du pouvoir sur lui en fermant son dossier, mais il réplique en déposant des plaintes. La travailleuse sociale décide donc de laisser le dossier ouvert pour le moment en attendant de voir ce qu’elle fera à l’avenir. Ici, la notion de relation est particulièrement visible, et nous pouvons constater que c’est l’affrontement de plusieurs forces qui mènent au résultat final.

Nous pouvons donc voir qu’au-delà des simples causes ou des sens attribués au refus, la nature même du pouvoir auquel l’acte de résistance s’oppose peut différer grandement d’une situation à

l’autre. Il faut donc souligner qu’il n’est pas suffisant pour les travailleuses sociales de se demander pourquoi la personne résiste, mais qu’elles doivent également se demander à quoi elles résistent.