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CHAPITRE 2 : ENTRER ET SORTIR DE LA FICTION

2. Les incipits

2.2. Les incipits élargis

Comme nous l’avons dit, les incipits présentent de manière brève le thème et l’ancrage du roman. C’est aussi, pour le lecteur, le moyen de prendre connaissance de la tonalité de l’œuvre. Après l’étude des premières phrases des romans de Boris Vian, nous étendons l’étude à leur suite textuelle, pour avoir une vision plus large de cette entrée dans la fiction50. Andrea Del Lungo signale que la notion de passage (en tant qu’action de passer) « est ainsi un véritable concept clef dans l’incipit romanesque, jouant un rôle fondamental à tous les niveaux : d’abord, comme dépassement formel du seuil, de la frontière du début ; ensuite comme entrée thématique dans la fiction et dans l’univers romanesque ; et enfin, par un effet de duplication interne, comme situation narrative de départ » (2003 : 100). Nous pourrons ainsi étudier ces différents niveaux de la fictionnalisation dans l’incipit. Nous avons fait le choix d’étiqueter les incipits par tonalité (burlesque, loufoque et inquiétant) pour mieux appréhender les similitudes et les différences entre les œuvres.

2.2.1. Les incipits burlesques et héroï-comiques (par mélange de registres)

Le burlesque est une esthétique littéraire datant du XVIIe siècle défini par Giovani Dotoli (1996 : 343) comme une « forme de protestation et d’insurrection par l'écriture, [le burlesque] voit l’épopée comme le symbole de l’ordre établi, à ridiculiser et à revoir. Contretexte de la littérature dominante, genre de rupture, partition de la dissonance, le burlesque nous propose le monde à l’envers, avec une extraordinaire complicité de l’auteur ». Il ajoute

que le « burlesque est surtout décalage, façon de se moquer des gens et de soi-même, humour, ironie, rire, affirmation des secrets réels de l'homme » (1996 : 344). Le burlesque se caractérise par une forme de disconvenance entre le style et l’objet qui transpose un sujet noble en sujet vulgaire, à l’inverse de l’héroï-comique. Dans ce type d’incipit, nous trouveront ainsi les traces de l’irrévérence, de l’humour et de l’inversion.

Les incipits des deux premiers romans de Boris Vian, à savoir Troubles dans les andains et Vercoquin et le plancton, sont liés par leur thème. Ces deux œuvres s’ouvrent sur la préparation d’un personnage pour une fête.

Dans le cas de Troubles dans les andains, il s’agit de l’habillement d’un des personnages principaux pour une fête à venir :

[8’] Le comte Adelphin de Beaumashin passait une chemise blanche devant son mirophar-Brot qui resplendissait de feux convergents. Il y avait ce soir-là grand raout chez la baronne de Pyssenlied et Adelphin, ayant décidé de paraître à son avantage, avait fait préparer par son valet Dunœud, son frac numéro un, qu’il n’endossait que dans des circonstances exceptionnelles. L’habit gisait, bleu nuit, sur le pied du large divan recouvert d’une peau d’ours turc achetée par Adelphin lors d’un voyage de découverte en république d’Andorre. Les revers de soie mate luisaient d’un doux éclat et la ganse du pantalon au pli impeccable tranchait dans toute sa longueur le fourreau guibollaire prêt à être passé. Dunœud, valet modèle, n’avait pas oublié le léger papillon d’une virginité entière dont la pose prochaine allait parachever la perfection d’une toilette savamment comprise dans sa recherche qui n’excluait pas cette simplicité tolérable seulement chez [les individus solidement constitués et les mal bâtis au portefeuille abondant]51 les hommes bien bâtis et les banquiers vraiment

très riches.

C’est ainsi qu’Adelphin mettait des souliers jaunes.(TA : 43)

Nous avons considéré que le premier chapitre de l’œuvre, par sa taille réduite, était à prendre dans son intégralité en tant qu’incipit du roman. C’est pour cela que nous prenons en compte la dernière phrase : son détachement produit un effet conclusif à la lecture, et est textuellement rattaché au paragraphe précédent.

Cette entrée dans l’œuvre témoigne qu’une grande attention est portée au style et aux jeux de langue. Elle se recommande par un mélange des registres linguistiques avec des lexies provenant du registre populaire telles que « frac », ou simplement familier comme « raout »,

51 Cette dernière phrase diffère selon les éditions. Nous avons mis entre crochets la variation liée à l’édition de La

Jeune Parque (1966). Cette édition s’appuie sur la retranscription de Michelle Vian et non sur le manuscrit de Boris Vian.

« fourreau guibollaire » (mot de l’argot pour « pantalon »), et des tournures plus soutenues – voire poétiques – telles que « paraître à son avantage », « une toilette savamment comprise », ou encore l’emploi des verbes « gésir », « luire », « parachever », des noms « ganse » ou « virginité entière » pour désigner un nœud papillon sans tache, ou encore l’antéposition d’adjectifs (« doux éclat »). Ce mélange de registres illustre la dualité du personnage qui est aristocrate (pour preuve son titre de noblesse et celui de l’hôtesse) mais qui appartient aussi aux zazous qui, dans les années 1940 en France, désignaient des adolescents/jeunes adultes passionnés de jazz et reconnus pour leur excentricité, mais aussi leur insouciance, leur joie de vivre, et surtout leur opposition à la guerre. Les termes « raout » et « frac » sont d’ailleurs clairement associés au langage familier, voire argotique, et donc potentiellement employés par les zazous. La « bipolarité » des personnages se perçoit aussi dans leur nom : le nom de la baronne de Pyssenlied (nous ne revenons pas sur celui d’Adelphin de Beaumashin que nous avons étudié ci-dessus) concentre le contraste entre le titre et le nom de famille. La trivialité – et même l’obscénité – du nom du valet entre aussi dans ce jeu grivois sur l’onomastique.

Cet incipit cherche à déstabiliser le lecteur par l’introduction de référents fictionnels et de segments énigmatiques. Ainsi, l’adjectif « guibollaire » est créé de toutes pièces par l’auteur, même s’il est compréhensible pour le lecteur : l’adjectif relationnel est formé sur le nom commun « guibolle » auquel est ajouté le suffixe adjectival « -aire » (issu de –arium, « relatif à »). Le syntagme « fourreau guibollaire » demande un calcul interprétatif de la part du lecteur et permet de limiter les référents de « fourreau » afin de le stabiliser sur pantalon. Il s’agit ici d’une périphrase qui est, selon Marc Bonhomme (1998 : 43), « une locution mise à la place d’un mot ou d’un tour plus direct ». Elle joue le rôle de « micro-description » (Id.) pour désigner, de manière biaisée et cryptique, un référent tout à fait banal, un pantalon. La périphrase met en avant la destination de l’objet (enserrer les jambes) et fait le choix du registre argotique. Elle possède également une fonction cryptique dans le sens où « l’insistance est mise sur le détournement de l’expression ; la périphrase masque la dénomination trop directe de certaines réalités » (Bonhomme, 1998 : 44). L’accent est mis ici sur le détour de la désignation directe et habituelle et le masquage du référent. En ce sens, cette périphrase, se rapproche des « périphrases énigmes » (Ibid. : 44). Ces figures opacifient le référent au point qu’il devient énigmatique52. Le lecteur doit alors retrouver le référent originel de la périphrase. On trouve

52 On se rapproche ici du phénomène de défamiliarisation, défini par Ilias Yocaris (2015 : 207) comme suit : « la

“défamiliarisation” consistera donc avant tout à présenter le référent, la “réalité” décrite dans une œuvre littéraire, sous un angle nouveau, en empêchant le lecteur de reconnaître d’emblée, a priori, les “objets” décrits, aussi proches de ses représentations “ordinaires” qu’ils puissent être ».

d’autres périphrases comme celle-ci dans l’extrait, par exemple : « les mal bâtis au portefeuille abondant ». Cet incipit est marqué par la valeur cryptique, rendant le référent difficilement accessible pour le lecteur.

Autres expressions énigmatiques : le syntagme « une peau d’ours turc achetée par Adelphin lors d’un voyage de découverte en république d’Andorre » qui joue sur des incohérences géographiques (si la présence des ours est effective en Turquie, ce pays est très éloigné d’Andorre). Mais les incohérences ne s’arrêtent pas là : le narrateur évoque « la république d’Andorre », alors qu’Andorre est une principauté depuis le 8e siècle. Enfin, il y a une incohérence entre le « voyage de découverte » et l’achat d’une « peau d’ours turc ». En effet, le voyage de découverte fait référence, à l’origine, aux voyages des explorateurs qui partaient à la découverte de nouveaux territoires. Avec le temps, le voyage de découverte est devenu un voyage dont l’objectif est de s’imprégner le plus possible de la langue et de la culture, du pays dans lequel on voyage. Dans ce contexte, acheter un souvenir turc à Andorre va contre le principe même du voyage de découverte, étant donné la différence de culture entre la Turquie et Andorre. Ce dysfonctionnement interne à la phrase engendre un sentiment de discohérence53 du texte pour le lecteur, qu’on peut définir avec Ilias Yocaris (2006 : 399), à la suite de Jean Ricardou, comme « une impossibilité de cohérence, due à la présence de contradictions narratives et/ou logiques irréductibles ». En allant contre la cohérence et donc les connaissances du lecteur, le narrateur signale clairement sa volonté de rompre avec les routines de lecture.

En outre, l’évocation du « léger papillon d’une virginité entière » prête à confusion. L’omission du nom « nœud » pour désigner le nœud papillon déroute le lecteur qui ne sait plus s’il s’agit de la pièce d’habit ou de l’animal. Le contexte permet de récupérer le sens attribué à « papillon », en tant que pièce de vêtement. Au demeurant, le terme « virginité » ajoute à l’ambiguïté, puisque la virginité se dit plus facilement d’un animé que d’un inanimé, celle-ci étant renforcée par le quasi pléonasme « virginité entière »54. Quel est l’apport de ce pléonasme par rapport au terme virginité seul ? Est-ce que le narrateur entend par là la quintessence de la virginité, pour reprendre la question que posent Lucile Gaudin-Bordes et Geneviève Salvan dans leur article de 2016 ? D’un point de vue énonciatif, le pléonasme pointe une inadéquation du terme seul avec l’idée, et l’abus du mot qui en est conventionnellement fait : « l’adjectif “pléonastique” signale alors non seulement, sur le plan référentiel, l’hybridité inévitable de toute notion, mais aussi et surtout, sur le plan pragma-énonciatif, la défiance de l’énonciateur

53 Selon Jean Ricardou, « loin de l’incohérence, la discohérence est une cohérence contradictoire » (1990 : 231). 54 Virginité et entier sont deux termes signalant le plus haut degré : la virginité est la pureté absolue et entier

qui refuse de verser l’occurrence au pot commun de la définition et des discours sur l’objet dénoté par le nom » (Gaudin-Bordes et Salvan, 2016 : 383). Ainsi, le narrateur, en voulant atteindre l’absolu du terme virginité (qui semble déjà être un absolu en soi) souligne sa méfiance par rapport à ce terme considéré comme dévoyé. Ce pléonasme indique, dans cet extrait, que le nœud papillon est neuf et qu’il n’a jamais été porté, ni touché avant. Cette interprétation explique la présence du pléonasme qui montre qu’au-delà d’être neuf (et donc vierge), le nœud papillon n’a jamais été touché avant. Il est donc doublement vierge, d’où la présence du pléonasme. La mention de la virginité s’oppose au nom trivial du valet, Dunœud. Ces jeux de langage obscurcissent le référent et rendent sa compréhension malaisée, tout au moins retardée et « médiate ».

Cet incipit est marqué par des choix linguistiques qui impliquent une distorsion du réel déstabilisante. Par ces procédés, le narrateur crée un univers aussi déroutant pour le lecteur que s’il mentionnait des objets complètement inconnus. Il prend du connu pour le rendre inconnu ou pour mettre en évidence qu’on ne le connaît pas. Sous l’évidence, il souligne le mystère, l’énigme qu’on ne voit plus. Comme nous avons pu le voir, il se crée un phénomène d’attente trompée chez le lecteur qui participe à sa déstabilisation. Le lecteur accepte plus facilement la nouveauté que la déformation d’un objet connu qui va l’obliger à modifier son point de vue. En témoigne les exemples suivants, que nous donnons :

(1) Je joue au ballon, ses angles l’empêchent de rouler. (2) Je joue au catalarope, ses angles l’empêchent de rouler.

La proposition (2) est très facilement acceptable. Le lecteur ne peut mettre une réalité derrière le terme « catalarope », il ne peut qu’accepter le fait que cet objet possède des angles. Or en (1), la deuxième proposition contredit la propriété ronde du ballon. La déformation du référent connu remet en cause la connaissance du monde du lecteur et l’oblige à percevoir un objet familier avec de nouvelles propriétés. Ce mécanisme est beaucoup plus perturbant que le fait d’être mis en présence d’un objet inconnu. Il nous semble que c’est pourquoi le texte s’appuie sur la distorsion de la réalité et non pas sur la création pure : le lecteur ne sera que d’autant plus déstabilisé que l’univers de fiction reste connecté à son univers.

Enfin, la phrase du second paragraphe, tout en affichant une continuité par l’anaphore, (« c’ », « ainsi »), marque en réalité une rupture thématique. Elle est liée au premier paragraphe par l’emploi de l’adverbe anaphorique dit « de liaison » ainsi, focalisé, qui relie deux phrases ou deux paragraphes en indiquant une relation de consécution ou de conséquence. Or, il n’est

nullement question de « souliers jaunes » dans le premier paragraphe, et surtout on ne comprend pas bien la relation logique établie entre les faits décrits dans le premier paragraphe et cette phrase.

L’incipit de Troubles dans les andains peut être qualifié de burlesque par le mélange des registres d’une part, mais aussi par un sentiment de discohérence, amené par l’incohérence présente dans certains énoncés, d’autre part. Celui-ci s’exprime dans les périphrases et les incohérences logiques, voire les absurdités. Il prend alors le lecteur à contre-pied et l’entraîne dans un roman troublant les habitudes. Cette première remarque pourrait aller dans le sens de notre interprétation du titre de l’œuvre : Troubles dans les andains renvoie aussi aux troubles du familier. Les procédés employés dans cet incipit opacifient le référent et la logique qui préside dans l’univers fictionnel.

Vercoquin et le plancton s’ouvre sur le même thème que Troubles dans les andains. Ce

roman se caractérise par une ambiance marquée aussi par un décalage entre le style et le thème mais il se rapproche plutôt de l’héroï-comique :

[7’] Comme il voulait faire les choses correctement, le Major décida que ses aventures commenceraient cette fois à la minute précise où il rencontrerait Zizanie.

Il faisait un temps splendide. Le jardin se hérissait de fleurs fraîchement écloses, dont les coquilles formaient, sur les allées, un tapis craquant aux pieds. Un gigantesque gratte-menu des tropiques couvrait de son ombre épaisse l’angle formé par la rencontre du mur sud et nord du parc somptueux qui entourait la demeure – l’une des multiples demeures – du Major. C’est dans cette atmosphère intime, au chant du coucou séculier, que le matin même Antioche Tambrétambre, le bras droit du Major, avait installé le banc de bois d’arbouse de vache peint en vert que l’on utilisait en ces sortes d’occasions. De quelle occasion s’agissait-il ? Voilà le temps de le dire : on était au mois de février, en pleine canicule, et le Major allait avoir vingt et un ans. Alors il donnait une surprise-party dans sa maison de Ville-d’Avrille. (VP : 109)

Là encore, nous prenons ici aussi l’intégralité du premier chapitre en tant qu’incipit de l’œuvre. Se retrouvent ici les mêmes thèmes que dans Trouble dans les andains, à savoir la jeunesse dorée, la fête, les préparatifs (non plus du personnage mais de la fête). En revanche, dans cet incipit, la création de l’univers fictionnel est opérée de manière plus directe. Le texte mentionne des référents fictionnels tels que le « gratte-menu des tropiques » et le « coucou séculier ». Le premier nom désigne une plante ou un arbre, comme on le comprend par le contexte. La désignation d’une plante par un nom inconnu n’est pas un phénomène dérangeant pour le lecteur qui, sauf s’il a fait des études de botanique, ne connaît la plupart du temps pas le nom

des plantes55. Ainsi, ce référent se signale comme fictionnel par la construction de son nom, mais il ne demande pas une identification précise de la part du lecteur. Celui-ci accepte, grâce au contexte, ce nom pour un référent qu’il découvre. Le second nom, « le coucou séculier », désigne un oiseau. Il est construit sur une dérivation du nom « coucou jacobin » qui existe bien. Le jeu s’appuie sur le détournement du terme « jacobin » renvoyant à l’ordre des Jacobins. L’adjectif « séculier » renvoie soit aux religieux vivant en société soit, par extension, à la laïcité. Les deux adjectifs ont comme point commun la religion. C’est pourquoi il nous semble manifeste que le « coucou séculier » soit une déformation ludique du « coucou jacobin ». L’appellation spécifique des oiseaux, tout comme celle des plantes, est peu connue du grand public. La désignation de ces référents fictionnels, si elle n’obscurcit que ponctuellement la lecture, fait entrer le lecteur dans un monde aux êtres et aux choses inconnues, pour lesquels le narrateur détourne des appellations communes.

De plus, la déstabilisation s’effectue par des contradictions : l’opposition entre le syntagme nominal « le mois de février » et le syntagme prépositionnel « en pleine canicule » offre une représentation oxymorique du monde. S’il ne s’agit pas ici d’un oxymore à proprement parler56, le narrateur va à l’encontre de la connaissance/l’expérience du monde qu’a le lecteur. En effet, le narrateur ancre l’histoire dans le réel grâce à des repères spatio-temporels connus (en février à Ville-d’Avrille, qui renvoie à Ville d’Avray, ville de région parisienne), mais ces repères sont immédiatement gauchis par des indications contradictoires ou inconnues. Un lecteur français se fait une idée de l’hiver à Paris comme étant froid et humide. Or la « canicule » rompt avec ce qu’il connaît. Ces repères, normalement destinés à rendre l’univers fictionnel intime au lecteur, sont ici immédiatement brouillés au profit de nouvelles normes : dans l’univers fictionnel de Vian le mois de février à Paris peut être un mois de canicule. Ainsi, cet incipit se caractérise par une distorsion du réel. La canicule au mois de février n’est ni un élément du merveilleux, ni du fantastique, il s’agit d’un élément d’une esthétique de l’inverse ou de la déstabilisation.

En outre, il existe d’autres jeux langagiers. Le premier, « arbouse de vache », s’appuie sur la sonorité de la dernière syllabe du premier mot, à la manière du calembour. Ce type de jeu

55 Boris Vian se défend de cette idée : « Quand vous me dites que j’invente des mots, vous noterez que ce sont

toujours des mots que personne ne connaîtrait non plus si je mettais les vrais mots car au fond personne ne sait le nom des fleurs qu’il y a dans le jardin le plus simple » (Boris Vian, cité par Arnaud 2002 : 82).

56 L’oxymore, selon Georges Molinié (1992 : 235), est « une figure de type microstructural, variété la plus corsée

de caractérisation non pertinente. Dans sa forme la plus générale, l’oxymore établit une relation de contradiction entre deux termes qui dépendent l’un de l’autre ou qui sont coordonnés entre eux ». Dans cet extrait, si les segments s’opposent aussi fermement, c’est par rapport à la situation géographique de la France. Un lecteur des Antilles, par exemple, ne trouverait pas cela oxymorique.

de mots est assez fréquent dans les premières œuvres de Vian. Il va néanmoins peu à peu déserter la narration pour investir les discours des personnages, plus propices à l’oralité de tels tours. La présence de ce calembour dans la narration rend d’autant plus visible le narrateur qu’il donne l’impression au lecteur de « l’entendre ». En effet, l’utilisation d’un jeu de mot