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Incertitudes résiduelles suivant une première estimation

6 MÉTHODES D’INVESTIGATION SUR LE TERRAIN

8 STRATÉGIE D’INTERVENTION ET OUTILS D’AIDE À LA DÉCISION POUR LA DÉFINITION D’AIRES DE PROTECTION

8.1 Incertitudes résiduelles suivant une première estimation

Certaines méthodes basées sur des modèles simples, dites « méthodes de première estimation », sont souvent utilisées pour estimer l’aire d’alimentation. Ces méthodes peuvent être des modèles analytiques, des modèles semi-analytiques, des modèles numériques simples ou autres (chapitre 7). Les modèles analytiques (chapitre 7) sont cependant des méthodes parmi les plus connues et les plus utilisées parce qu’elles présentent des avantages indéniables. Elles sont, comme toutes les méthodes de première estimation, généralement faciles d’utilisation et requièrent une faible quantité d’information, souvent disponible dans les données existantes. Ces avantages pour les hydrogéologues se traduisent en un avantage évident pour les gestionnaires : les méthodes basées sur des modèles analytiques sont relativement peu onéreuses.

Malgré cet avantage attrayant, il est important d’être conscient des considérations et des simplifications associées à ces méthodes. Notamment, elles supposent généralement des milieux idéaux comme des milieux poreux continus, isotropes et homogènes (chapitre 7), ce qui ne reflète pas toujours la complexité des milieux dans lesquels s’écoule l’eau souterraine. Certains facteurs peuvent entraîner des variations par rapport à ces modèles, et il importe de les prendre en considération lors de l’estimation de l’aire d’alimentation par ces méthodes.

8.1.1 Facteurs de variation

Un certain nombre de facteurs entraînent des variations souvent importantes entre l’aire d’alimentation réelle d’un ouvrage et celle qui est déterminée sur la base de modèles analytiques. Mentionnons les facteurs suivants :

- un aquifère constitué d’un milieu poreux, anisotrope, hétérogène et à géométrie interne complexe; un exemple en est donné à la figure 4.6;

- un aquifère constitué d’une formation de roche fracturée; la figure 3.1 illustre certains effets des systèmes de fractures sur la géométrie de l’aire d’alimentation d’un puits;

- un aquifère dont les limites sont irrégulières, tant latéralement qu’à son sommet et à sa base;

- les interactions et les échanges entre les eaux souterraines et un cours d’eau de surface;

- la recharge par infiltration verticale dans un aquifère à nappe libre;

- le fait que la crépine du puits ne traverse pas totalement l’aquifère.

D’autres facteurs de variation sont mentionnés dans Everett (1991). Citons par exemple :

- un aquifère confiné dont l’aquitard confinant a été perforé naturellement, par des forages ou par des piézomètres abandonnés ou mal obstrués;

- un aquifère présentant un problème d’intrusion d’eau salée.

On peut présumer que l’importance relative de ces divers effets varie considérablement d’un cas à un autre. Par exemple, une recharge verticale de 300 millimètres par année aura un effet considérable par rapport à une aire d’alimentation estimée ne supposant aucune recharge verticale. De plus, les conditions naturelles font généralement intervenir dans un même cas plusieurs des facteurs de variation mentionnés plus haut.

La figure 8.1 montre un exemple schématique où plusieurs facteurs de variation interviennent sur un même secteur.

Par ailleurs, l’utilisation même des modèles peut amener des variabilités dans l’estimation de l’aire d’alimentation, même sans la présence de ces facteurs de variation. C’est ce que nous verrons à la section 8.1.2, dans un exemple où les facteurs de variation mentionnés plus haut sont négligés.

8.1.2 Étude de la variabilité de l’estimation de l’aire d’alimentation

Quoiqu’ils sont communément des modèles de premières estimations, les modèles analytiques comme celui de Bear et Jacob (1965) (chapitre 7) comprennent généralement plusieurs paramètres, lesquels peuvent prendre diverses valeurs. Si un aquifère est hétérogène, plusieurs valeurs pour la conductivité hydraulique (K), l’épaisseur saturée de l’aquifère (b) et le gradient hydraulique (i) sont généralement disponibles, même pour un nombre restreint de points de mesure.

Les données utilisées dans le prochain exemple proviennent des environs du puits PE-3, à Saint-Félicien au Lac-Saint-Jean (Rasmussen et al., 2001). Les diverses valeurs obtenues pour les paramètres hydrogéologiques permettent des estimations de l’aire d'alimentation qui se distinguent les unes des autres par leur superficie, leur forme et leur orientation. Sur la figure 8.2, la variabilité importante de la superficie de l’aire d’alimentation estimée découle du choix de différentes valeurs pour les paramètres hydrogéologiques K, b et i, obtenues à partir de données disponibles sur le territoire.

L’orientation de l’aire d’alimentation est, elle aussi, sujette à des incertitudes. La figure 8.3 illustre un cas où la direction de l'écoulement naturel varie d'environ 20o selon les données utilisées pour l’estimer. Ce paramètre fait varier d’autant l’orientation de l’aire d’alimentation estimée, ce qui entraîne des incertitudes sur la localisation de l’aire d’alimentation qui deviennent de plus en plus importantes vers l’amont.

Cette simple étude de variabilité indique qu’une marge plus ou moins importante d’incertitude affecte l’estimation de l’aire d’alimentation par les modèles analytiques communément utilisés. Ce problème est bien documenté, par exemple par Bhatt (1993), Jacobson et al. (1994) et Paradis (2000).

À la lumière de la section 8.1, il appert que certains modèles de première estimation, dont les méthodes analytiques, montrent une certaine utilité étant donné les avantages évoqués. Ces méthodes peuvent même servir à établir des aires de protection relativement sécuritaires dans certains contextes. Cependant, dans plusieurs autres

contextes, les aires de protection doivent, pour offrir une véritable sécurité, être déterminées à partir d’une estimation plus précise de l’aire d’alimentation d’un ouvrage de captage. La section 8.2 présente la pertinence des outils d’aides à la décision méthodologique visant à définir des aires de protection adéquates, tout en essayant de limiter au minimum leurs coûts et en considérant les risques.

8.2 Pertinence des outils d’aide à la décision dans la protection de sources d’approvisionnement en eau souterraine

La gestion du territoire à la suite de l’implantation d’un ouvrage de captage peut souvent devenir laborieuse lorsque le territoire est déjà utilisé pour plusieurs autres activités anthropiques qui exercent des pressions sur l’eau souterraine. Ces différentes activités sont souvent difficiles à concilier avec l’exploitation sécuritaire d’un ouvrage de captage des eaux souterraines. Il faut alors faire des choix entre différentes mesures ou scénarios (série de mesures) qui entraînent nécessairement différents problèmes économiques, sociaux, environnementaux, politiques, etc. Il devient alors difficile de déterminer les meilleurs scénarios et difficile de prendre la meilleure décision possible.

La recherche opérationnelle fait partie des sciences de la gestion; elle vise à créer des outils qui permettront d’élaborer des démarches visant à définir des aires de protection autour des ouvrages de captage d’eau souterraine et de prendre des décisions par rapport à ces démarches. La section qui suit vise principalement à définir et à explorer certaines facettes de ces démarches de même qu’à introduire des notions de recherche opérationnelle et d’analyse décisionnelle appliquées à l’hydrogéologie. Elle a aussi comme objectif principal de présenter quelques méthodes applicables et utiles pour guider les choix dans la détermination d’aires de protection; elle ne se veut cependant pas exhaustive. Nous présentons d’abord des éléments de recherche opérationnelle, puis des notions liées à l’incertitude en hydrogéologie.

8.2.1 Introduction aux outils d’aide à la décision et à la recherche opérationnelle Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, diverses approches ont été mises sur pied pour analyser, caractériser et modéliser des systèmes. Les aquifères et la circulation des eaux souterraines sont des systèmes naturels sur lesquels l’homme peut exercer une influence majeure lorsqu’il cherche à les maîtriser, les exploiter ou les protéger. Les décisions prises par rapport à ces systèmes naturels sont donc importantes, mais elles sont nécessairement soumises aux incertitudes liées aux milieux géologiques. La création d’un projet tel que la conception, la construction et l’exploitation d’un ouvrage de captage ou la protection de sa source d’approvisionnement à long terme entraîne généralement un choix entre plusieurs scénarios. Plusieurs scénarios peuvent entraîner de grandes dépenses, souvent inutiles, pour atteindre un objectif fixé. Le choix du scénario approprié peut être déterminant pour le succès ou l’échec du projet.

Deux approches principales relatives à la prise de décision ont évolué séparément, soit l’optimisation et l’analyse décisionnelle (Freeze et al., 1990). La différence fondamentale entre les deux approches est que l’analyse décisionnelle considère une large variété de scénarios, dont l’un est désigné comme étant le meilleur; tandis que l’optimisation considère un seul scénario, pour lequel sont estimées les valeurs optimales de certains paramètres. L’analyse décisionnelle permet donc de faire un choix éclairé entre différents scénarios visant à maximiser les chances de succès par rapport à un objectif qui a été fixé. Dans certains domaines, la recherche opérationnelle est souvent appliquée avec une bonne maîtrise des différents paramètres dans les systèmes; par exemple les bénéfices obtenus et les coûts engendrés par un système ou un scénario sont relativement bien connus ou facilement estimables. La recherche opérationnelle est alors effectuée à l’aide de paramètres de conception connus et les contraintes appliquées au système sont souvent prévisibles et quantifiables, avec une marge d’erreur acceptable.

8.2.2 Notion d’incertitude en hydrogéologie

La recherche opérationnelle s’applique avec une certaine fiabilité aux systèmes qui sont décrits par des paramètres assez bien maîtrisés. Cependant, lorsque la recherche opérationnelle est confrontée à des paramètres incertains, il faut obligatoirement que les méthodes de prise de décision en tiennent compte. Les environnements hydrogéologiques font partie de ces milieux aux paramètres incertains.

Les environnements hydrogéologiques présentent deux principaux types d’incertitude : les incertitudes liées à la valeur des paramètres hydrogéologiques et les incertitudes liées à la géométrie du système (Freeze et al., 1990). Les principaux paramètres hydrogéologiques incluent la conductivité hydraulique, la porosité, la perméabilité, l’orientation et la vitesse de l’écoulement régional, la vitesse de transfert, le coefficient de diffusion, la dispersivité, le facteur de retard, etc. Les incertitudes dans la géométrie du système sont occasionnées par la nature des différentes lithologies (sable, gravier, argile, calcaire, etc.), leur configuration – notamment les séquences stratigraphiques – et leur structure (failles, fracturation, plissement, etc.). Les incertitudes liées à la valeur des paramètres hydrogéologiques sont principalement occasionnées par des lacunes dans la quantité et la disposition des données sur un territoire donné. L’obtention de nouvelles données dans un territoire permet évidemment de réduire les incertitudes liées aux paramètres hydrogéologiques et à la géométrie du système.