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Comme nous avons pu le voir dans le chapitre 1, le système DAergique nigrostrié ne semble pas à vocation uniquement motrice, c’est pourquoi son implication dans la résurgence de l’apathie a également été évoquée.

Marin (1996), qui a construit le concept d’un syndrome apathique autour de trois composantes (« comportementale », « émotionnelle » et « cognitive »), suggère que l’apathie pourrait être sous-tendue par différentes causes neurobiologiques. En effet, l’apathie étant considérée comme une réduction ou une perte des comportements motivés, n’importe quelle atteinte d’une des composantes impliquées dans la construction d’une action adaptée, de son intention à sa planification et son exécution (Fig. 58), entraînera une rupture dans la chaîne d’évènements amenant à l’expression d’un comportement (voir Brown et Pluck, 2000). Ce concept a été repris par Levy & Dubois (Levy & Czernecki, 2006; Levy & Dubois, 2006), en

Figure 57. Modification de la liaison du radioligand [11C]RTI-32 chez des patients parkinsoniens anxieux. A, le locus coeruleus;

B, le thalamus médian; C, l’amygdale et le striatum ventral gauche. Adapté de Remy et al. 2005.

A

C

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relation avec les fonctions sous-tendues par les GB et leurs relations cortico-striato-thalamo-corticales. Par exemple, l’apathie pourrait être d’ordre affectif, émotionnel, et induite par un dysfonctionnement des territoires limbiques des GB ou du cortex préfrontal médian et orbital. Elle pourrait aussi être plus cognitive, avec des difficultés pour planifier et exécuter une action, reposant sur une altération des territoires plus dorsaux des GB, et notamment du caudé dorsal en relation avec le cortex dorsolatéral (Levy & Dubois, 2006). Pour cela Levy et Dubois s’appuient notamment sur le syndrome de perte d’autoactivation ou syndrome de Laplane qui se caractérise par des lésions généralement bilatérales de la portion interne du pallidum, du caudé, ou du putamen (Laplane et al., 1984; Laplane, 1990) et qui se traduit par une apathie sévère avec une réduction importante des activités spontanées, une perte de l’autogénération des idées (" mental emptiness "), un comportement transitoirement réversible par une activation extérieure comme dans la MP . Une étude de Schmidt et coll. (2008) montre que l’apparition du syndrome du déficit d’autoactivation, suite à des lésions bilatérales des structures des GB, conduit à la diminution de l’effort consenti pour obtenir de l’argent. En effet, ces patients sont incapables de serrer plus fortement une poignée en réaction à un stimulus incitatif qui leur annonce l’obtention d’une récompense monétaire plus importante s'ils peuvent produire un effort plus important, alors même qu’ils ont les capacités motrices pour le faire et qu’ils n’ont aucun déficit dans leur perception de la valeur de la récompense (Schmidt et al., 2008). Cette étude indique donc que ce serait les capacités incitatives d’une récompense qui seraient détériorées dans cette pathologie et non la valeur de la récompense en soi. De manière intéressante, dans la même étude, un déficit semblable est observé chez des sujets parkinsoniens. Ces auteurs ont également pu révéler une corrélation entre la sévérité du syndrome d’apathie et le déficit des performances dans cette tâche incitative puisque la sévérité de l’apathie est moins importante chez les patients parkinsoniens par rapport aux patients de Laplane chez qui les déficits dans la tâche incitative sont moins prononcés (Schmidt et al., 2008). Ainsi, Levy et Dubois suggère que dans la MP, l’apathie ne résulterait pas d’une dénervation DAergique provenant de l’ATV, car ils considèrent que cette structure est relativement épargnée, notamment au début de la maladie alors que l’apathie est déjà présente (Levy & Dubois, 2006). Ils proposent plutôt que l’apathie parkinsonienne serait directement sous-tendue par la diminution du tonus DAergique nigrostriatal, entraînant un dysfonctionnement des boucles cortico-striato-corticales qui va altérer les processus motivationnels permettant de transformer une intention, en effort et action.

De plus, les travaux de recherche fondamentale et notamment les premiers travaux d’Ungerstedt (1971a) ont décrit le phénotype comportemental des animaux ayant des lésions bilatérales massives de la voie DAergique nigrostriatale, par une sévère et durable adipsie et aphagie, une hypoactivité, ainsi qu’une difficulté à initier des activités et une perte des

Figure 58. Modèle d’organisation d’un comportement dirigé. Adapté de Brown et Pluck, 2000. But Evaluation Comparateur • D • Motivation incitative • État émotionnel Sélection action Planification Initiation ACTION INTENTION

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comportements exploratoires et de la curiosité. Palmiter (2008) émet l’hypothèse que ces altérations comportementales pourraient être liées à un déficit motivationnel profond, puisque chez des souris rendues génétiquement déficientes en DA, la restauration de la transmission DAergique uniquement dans les parties dorsales du striatum est suffisante pour que ces animaux recouvrent un comportement consommatoire spontané (Robinson et

al., 2007; Darvas & Palmiter, 2009). Ainsi ces éléments suggèrent une implication du

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La revue de la littérature qui vient d’être faite nous a permis de mettre en évidence l’importance des troubles neuropsychiatriques dans la détérioration de la qualité de vie des patients parkinsoniens. Bien que les travaux en clinique et en recherche fondamentale aient apporté des éléments de réponse aux causes neurobiologiques qui sous-tendent la symptomatologie motrice dans la MP, les causes neurobiologiques des troubles neuropsychiatriques rencontrés dans cette maladie restent encore inconnues. Pour le moment cette problématique a été abordée principalement par des approches cliniques qui ont le mérite d’avoir pu apporter des hypothèses de travail. Toutefois, ces études restent corrélatives et ne permettent pas de dissocier les effets propres des traitements pharmacologiques de ceux de la SHF-NST. En effet, les études cliniques qui se sont penchées sur cette problématique, qu’elles soient en faveur d’une implication de la SHF-NST ou d’un hypofonctionnement DAergique (Drapier et al., 2008; Le Jeune et al., 2009; Thobois

et al., 2010), ont été réalisées chez des patients parkinsoniens après la mise en place de la

stimulation et suite à la réduction des traitements DAergiques. Ces deux paramètres ne pouvant être dissociés en clinique, il n’est pas possible d’établir de lien causal avec l’émergence des troubles neuropsychiatriques. De plus, si l’on combine les variabilités interindividuelles du niveau de lésion DAergique mais également au niveau des mécanismes de compensation induits physiologiquement et/ou par l’apport des traitements, on comprend qu’il est difficile de pouvoir tirer des conclusions objectives, au vu des paramètres qui ne peuvent être maitrisés et quantifiés et qui pourraient ainsi être confondants dans les analyses. En revanche, comme cela a été le cas pour les troubles moteurs, la réalisation d’un modèle animal peut permettre d’apporter des réponses aux problèmes qui sont amenés par les interrogations cliniques et de pouvoir établir un lien causal. En effet, un tel modèle animal permettra de réellement dissocier les effets de la dégénérescence des voies DAergiques de ceux induits par les traitements DAergiques ou de la SHF-NST, dans l’émergence de comportements hypodopaminergiques.

C’est ainsi que mon travail doctoral a visé à réaliser un modèle animal chez le rat permettant de déterminer l’implication du système DAergique dans l’émergence des troubles neuropsychiatriques rencontrés chez les patients parkinsoniens stimulés ou non. Lors de ce travail, nous nous sommes plus particulièrement focalisés sur le syndrome d’apathie dont certains éléments de la littérature tendent à suggérer qu’il résulterait d’une hypodopaminergie (Levy & Dubois, 2006; Thobois et al., 2010). Cependant, comme nous avons pu le voir, les systèmes DAergiques nigrostriatal et mésocorticolimbique sont fortement interconnectés au niveau anatomique et fonctionnel (Bjorklund & Dunnett, 2007). Ces observations ont permis de considérer au même titre que la voie mésocorticolimbique, l’implication de la voie nigrostriée dans les processus de récompense et de la motivation (Palmiter, 2008; Wise, 2009). Ainsi, bien que cette hypothèse reste discutée, du fait de la difficulté de pouvoir dissocier les conséquences motrices et non

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motrices de la dénervation DAergique nigrostriatale (Lindgren & Dunnett, 2012). Il nous a été impossible lors de cette étude de pouvoir préjuger de l’implication de l’une ou l’autre de ces voies dans l’émergence des troubles comportementaux observés.

Mon travail doctoral a donc essayé de répondre à quatre objectifs :

1. Développer un nouveau modèle animal chez le rat, basé sur des lésions sélectives du système DAergique mésencéphalique impactant soit la voie nigrostriatale, soit la voie mésocorticolimbique, nous permettant ainsi de dissocier l’implication de chacune de ces voies dans l’émergence d’un comportement hypodopaminergique. Des atteintes partielles ont été réalisées pour prendre en compte le niveau de dégénérescence des neurones DAergiques de l’ATV rencontré dans la MP, mais également de préserver suffisamment la voie nigrostriée pour pouvoir dissocier les troubles moteurs et non moteurs. Une caractérisation neuroanatomique qualitative et quantitative des zones lésées et des territoires dénervés de chacune de ces lésions a donc été nécessaire. 2. Caractériser par des études comportementales précises les phénotypes motivationnel,

dépressif et anxieux qui pourraient résulter des lésions DAergiques induites dans notre modèle animal, tout en nous assurant au préalable de l’intégrité des aptitudes motrices et de la sensibilité olfactive, paramètres qui pourraient interférer avec nos évaluations comportementales.

3. Tester la capacité d’agents DAergiques tels que la L-DOPA ou le Ropinirole (agoniste D2/D3) de corriger les troubles motivationnels qui pourraient s’apparenter à un comportement de type "apathie-like" chez le rat, ainsi que les phénotypes "dépressifs-" et "anxieux-like", comme cela a pu être montré en clinique chez les patients parkinsoniens. Cette approche nous permettra ainsi de confirmer l’implication du système DAergique dans l’émergence de ces troubles, mais également de valider plus en avant notre modèle animal.

4. Sur la base de ce modèle animal, déterminer à l’aide de différents agonistes DAergiques sélectifs, le sous-type des récepteurs DAergiques qui pourraient être préférentiellement impliqué dans la réversion du phénotype observé.