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MATERIELS ET METHODE

2. RESTITUTION SYNTHETIQUE DES ENTRETIENS

2.3 Quels impacts sur les pratiques de ville des médecins interrogés

2.3.1 Une meilleure connaissance de la population en grande précarité permet d’adapter la pratique au cabinet du généraliste

Il y a moins d’appréhension dans la prise en charge de problématiques médico-sociales lourdes. « Peut-être aussi que, par rapport à d'autres, la clientèle en grosses difficultés sociales me

fait moins peur. Mais, ceci dit, il est clair aussi que ce sont des patients extrêmement compliqués à prendre en charge en médecine de ville, quand bien même t'es motivé, c'est très compliqué »

constate le docteur Judith. Cette moindre appréhension facilite probablement l’accueil.

Le discours médical s’adapte aux caractéristiques du patient précaire. Précaire de par sa situation sociale mais aussi de par son mode de consommation de soin ainsi que le remarque le docteur Gaël : « Donc, on fait plus attention de mieux expliquer les choses, de rassurer,

d’apprendre à être plus rassurants qu’inquiétants même s’il faut inciter les gens à se faire soigner, leur dire la nécessité de faire certains examens, ou traitements. On ne va pas avoir la même attitude envers une personne qu’on suit sur le long terme qu’envers une personne qu’on voit ponctuellement. On a pas les mêmes mots et la même prise en charge avec quelqu'un qu’on va continuer à suivre qu’une personne qui passe très rapidement sans pour autant investir trop de la personne, parce qu’il y a quand même une approche, un respect de la personne qui n’est que de passage. » Son confrère le docteur Richard le dit autrement : « Oui…bien sûr… ça ne peut qu’améliorer et le regard qu’on porte (même si sur un plan personnel, j’essaie déjà d’avoir cette attention aux gens les plus démunis) sur le plan pas forcément matériel mais psychologique...psychologique ou cognitif…c’est ça… »

2.3.2 Une meilleure connaissance du réseau social facilite l’orientation

« C’est difficile de le dire car en fait, quand je me suis installée je travaillais déjà à

MDM. Je n’avais pas une pratique antérieure. Je remplaçais et ce n’est pas pareil quand tu travailles sur la clientèle de quelqu’un d’autre et sur ta clientèle. Je ne peux pas dire que ça a modifié ma pratique, je pense quand même que par rapport à d’autres médecins que j’ai pu rencontrer, que je peux connaître, j’ai une connaissance plus importante du réseau, des problématiques sociales, des démarches à faire, des possibilités d’aides, et que donc je vais certainement plus loin que d’autres dans les orientations sociales que je vais donner à mes patients, parce que je sais, parce que j’ai des connaissances », énonce clairement le docteur Judith.

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A côté des correspondants spécialistes, le carnet d’adresse du généraliste s’étoffe avec les correspondants sociaux et administratifs : « C’est sûr qu’au niveau du réseau social, ça permet de

connaître un petit peu les structures existantes…Moi, je m’en sers assez peu parce que je suis à 10 km de là, je ne fonctionne pas trop avec les gens de la ville mais bon ça existe, que ce soit le Samu social, ça permet aussi d’y participer de temps en temps, d’aller vers les autres. Au niveau de l’équipe coordinatrice, c’est des gens qui se connaissent, qui travaillent ensemble, qui échangent les adresses, ça permet d’avoir un lien. Moi, je sais que si j’ai un problème particulier, je peux les interpeller…et leur dire, soit je vous envoie telle personne avec tel problème… A ce niveau-là, ça améliore la prise en charge » dit le docteur Gaël.

2.3.3 Le travail en réseau avec les travailleurs sociaux facilite la relation médecin malade

Soit en amont de la consultation comme le remarque le docteur Gaël : « On a une

coordination entre l’infirmière, l’assistante sociale qui voit en premier les personnes qui permet de mettre en confiance en faisant l’inventaire des difficultés, des problèmes rencontrés et qui ne fait que proposer le passage vers le médecin. » La mise en en confiance du patient se fait par la prise en

compte des problèmes immédiats, qui souvent sont sociaux pour cette population.

Soit au cours de la consultation où la demande est portée par un tiers comme l’a vécu le docteur Judith : « (…) de prendre son temps, de pas l’examiner ce jour-là, s’il n’est pas prêt à être

examiner, donc c’était beaucoup plus facile du fait que la personne arrivait accompagnée, donc un peu plus rassurée…un dialogue à trois au début qui permettait à la personne de prendre sa place au rythme où il le voulait, donc ça c’était très confortable pour le patient et très confortable aussi pour moi. Vraiment très confortable pour moi. » S’adapter à la temporalité du patient précaire, lui

permettre un temps d’observation, apaiser ses craintes pour entrer en relation avec le médecin ; et pour celui-ci la présence de l’éducatrice, dans cet exemple, permet de faciliter l’anamnèse, probablement l’empathie et ainsi « prendre en charge des patients que tu ne pourrais pas prendre

en charge sinon. »

La gestion du temps de la consultation est facilité aussi par l’intervention des travailleurs sociaux, pour le docteur Olivier : « pour avoir du temps, pour voir un petit peu comment ça va se

passer, pour établir le lien qui n’est parfois pas simple. On ne peut pas être rapide, on ne peut pas expédier ; d’autant qu’il y a souvent dans cette démarche parfois quelqu’un qui va accompagner (quelqu’un de l’UMASS, quelqu’un l’UMAPP, quelqu’un du Lien), qui va accompagner, donc qui va nous livrer des informations, puis après qui va vouloir se retirer pour qu’on fasse notre travail d’auscultation, et puis après qui va revenir parce qu’on va échanger de nouveau nos informations sur un suivi et remettre un rendez-vous… C’est un petit peu particulier, pas toujours facile à articuler avec la médecine général… Le problème du temps… ».

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Ces consultations forcément longues demandent une autre adaptation à la réalité psychosociale de ces patients. La relation thérapeutique s’établit différemment qu’avec la clientèle habituelle du médecin de famille.

2.3.4 Prise de conscience des besoins de formation

Selon le parcours professionnel les besoins sont diversement exprimés. Cependant les besoins en dermatologie, en psychiatrie et dans la prise en charge des addictions sont les plus ressentis. « On n'est pas tous formés de la même façon en ville, on a tous nos centres d'intérêt » nous dit le docteur Judith. Mais sont unanimement déplorés le « manque de formation sur la

précarité et sur les enjeux sociaux pendant notre cursus » ainsi que l’exprime le docteur Olivier,

« Clairement, je suis parfois dépassé, notamment sur les pathologies psychiatriques (...), puis sur

les dermatoses parfois très évoluées. (...) Et sur les comorbidités induites par la précarité. »

Sur ce dernier point son confrère le docteur Gaël n’a pas le même point de vue : « Cliniquement, toutes les pathologies rencontrées sont des pathologies classiques, après

majorées par la situation sociale des gens…c’est l’alcoolisme, c’est l’hygiène, c’est …. Négligence bucco-dentaire, malnutrition, surtout ça… » Il pointe plutôt un besoin de savoir-faire dans la

relation : « Oui, c’est sûr on n’a pas l’habitude de comment les aborder, des choses simples, des

problèmes d’hygiène, comment présenter la nécessité d’une hygiène, de se changer mais bon. C’est difficile d’avoir ces mots là pour des gens qui de toute façon se retrouvent dehors. » Savoir-faire

qui pose question aussi au docteur Olivier : « … il y a l’habitude de dire aux gens « écoutez ; allez

aux douches municipales et revenez tout à l’heure », redonner un rendez-vous de manière décalé… Parfois c’est fait, parfois je ne revois pas la personne, parfois ou je la revois 1 ou 2 jours plus tard… donc je pense que ça aussi c’est une difficulté, c’est une difficulté. » N’est-ce pas la

problématique du seuil d’exigence qui s’exprime là ?

2.3.5 « Non ça n’a rien changé »

Alors que le docteur Gaël nous dit : « C’est toujours la même chose quand on sort un peu

du cadre d’exercice habituel, par rapport à la clientèle…on s’imprègne un petit peu du vécu dans tous les modes d’exercice, forcément ça retentit. », plusieurs médecins déclarent que leur pratique

quotidienne n’a pas changé. Parce qu’il était déjà souple au niveau du cadre comme le docteur Richard, parce qu’il y avait une expérience antérieure avec la précarité avant de s’installer comme le docteur Judith, parce que le quartier où il exerce amène déjà une clientèle précarisée comme au cabinet du docteur Jean ou parce qu’il n’y en a peu comme sur la commune du docteur Pierre.

Que le savoir-faire acquis avec les patients précaires n’a finalement que peu d’impact sur le quotidien de leur pratique de généraliste ?

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Le changement n’est pas ressenti de façon radicale mais au regard de ce qui a été développé ci-dessus, les réflexions sur l’abord du patient, sur la demande de soins, sur le travail en réseau, sur la position du médecin, sur l’accès aux soins on peut s’interroger sur ce ressenti.

2.4 Projections du cabinet de ville idéal : quelle structure de premier recours