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Introduction de la première partie

1.1. Paysages agricoles et abeille domestique : quelles interactions ? quels bilans ? quelles questions ?

1.1.1.3. Impacts sur l’agrobiodiversité

Bien que l’agriculture ait pu être à l’origine de la création de paysages riches en biodiversité (Cremene et al., 2005, Le Féon, 2010), et bien qu’elle offre parfois des ressources trophiques32 abondantes, favorables à divers organismes, (Söderström et al., 2001; Tscharntke et al., 2005b ; Decourtye et al., 2010) les pratiques intensives développées à partir de la seconde moitié du XXèm e siècle sont souvent synonymes d’érosion voire de déclin de l’agrobiodiversité.

L’analyse des répercussions de l’agriculture sur l’agobiodiversité varie selon l’échelle spatiale considérée. Burel et al. (2008) distinguent trois « niveaux » d’étude :

- la parcelle qui permet une analyse des répercussions sur la diversité intra-communautaire,

- l’approche inter-habitats qui questionne la diversité inter-communautaire,

- l’échelle paysagère voire régionale qui correspond à une échelle globale d’analyse prenant en considération la diversité totale

.

Cette approche « multi-scalaire » permet selon Willis et al. (2002) de dissocier et distinguer les différents facteurs d’influence de l’agrobiodiversité.

La majorité des études menées à ce jour considère essentiellement deux niveaux que sont la parcelle et le paysage. Ces derniers sont soumis à des processus décisionnels distincts, individuels (pour l’échelle inférieure ou parcellaire) et collective, régionale, nationale, etc. (pour l’échelle supérieure ou paysagère), (Benton et al., 2003). Les répercussions de l’agriculture sur l’agrobiodiversité se traduisent donc de différentes manières et à différentes échelles (Burel et al.,

op.cit.).

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La ressource trophique désigne la ressource alimentaire. Dans le cadre de notre manuscrit nous avons choisi d’employer la notion de ressource trophique comme synonyme de ressource floristique pollinifère et nectarifère.

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x À l’échelle de la parcelle

- La pratique du labour profond réduit la présence des adventices dont les messicoles (Janson et al., 2004), détruit une partie de la macrofaune du sol et peut modifier la structure des communautés liées à la microfaune et à la mésofaune (Frouz, 1999 ; McLaughlin et Mineau, 1995).

- L’usage des pesticides (insecticides, herbicides, fongicides) a des effets délétères sur les plantes (dont les méssicoles), les arthropodes et certains organismes des maillons supérieurs de la chaîne trophique. Les services écologiques de régulation, tels que le contrôle des ravageurs par les auxiliaires ou la pollinisation peuvent être fortement diminués (Duffield, 1991 ; Cross et al., 1999). Les bordures de parcelles sont également impactées.

- L’emploi d’OGM accroît l’usage d’herbicides non sélectifs impactant la ressource trophique (réduction des adventices) de certaines populations (Heard et al., 2005). D’autres effets potentiels restent mal connus : les répercussions des changements de pratiques induites, l’impact des variétés productrices de toxines de la bactérie Bacilius Turagiensis (toxines BT), la possibilité de transfert de gênes etc, (Malone et Pham-Delègue, 2001 ; Zangerl et al., 2001).

- La fertilisation minérale induit une diminution de la diversité et de la richesse spécifique33 des plantes et de certains organismes au sein des parcelles ainsi que dans les milieux adjacents non cultivés (Makeschin, 1997 ; Jauzein, 2001). Ces répercussions peuvent modifier la chaîne trophique.

- La simplification des rotations favorise l’usage de pesticides et épuise les sols. Elle est considérée comme un des facteurs responsable du sévère déclin de la biodiversité en Europe (Ewald et Aebischer, 2000).

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La richesse spécifique désigne le nombre des espèces recensées dans un groupe taxonomique donné (Burel et al., 2008).

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- Le drainage impacte les organismes inféodés aux milieux humides (Meerts, 1993). L’irrigation amoindrit la diversité végétale et impacte fortement la faune du sol (Curry et Good, 1992)

- Les effets du pâturage varient selon son intensité (Cingolani et al., 2005). En excès, cela peut avoir un effet négatif sur la richesse spécifique de certains organismes (végétaux, arthropodes, etc.). Modéré, cela peut favoriser la richesse notamment des plantes, de même que l’abondance de certains organismes du sol (Pykälä, 2004).

- La fauche est plus favorable à la richesse spécifique et à l’abondance des organismes que le pâturage (Fischer et al., 2002). Toutefois précoce, elle peut porter préjudice à la disponibilité des ressources trophiques (flore pollinifère et nectarifère, etc.) de certaines espèces, de même qu’au processus de nidification (Kolliker et al., 1998).

- La jachère favorise le développement d’une flore adventice déjà présente dans les sols mais ne permet pas l’essor d’une biodiversité végétale nouvelle (méssicoles rares, etc.), (Gasquez, 1994). La jachère spontanée présente des ressources intéressantes pour les arthropodes (pollen, nectar, etc.), (Deny et Tscharntke, 2002), la jachère « fleurie » favorise l’entomofaune (bien que de façon limitée), (Decourtye et al., 2007), enfin la jachère « environnement faune sauvage » peut favoriser la richesse faunistique selon le type de couvert végétal implanté (Wartelle, 2002).

- La déprise agricole liée aux parcelles cultivées entraine une augmentation de la richesse spécifique pour la majorité des groupes d’organismes (Inouye et al., 1987). L’abandon de prairies génère à l’inverse une diminution de cette richesse notamment parmi les végétaux (Fréléchoux et

al., 2007). Le développement des ligneux accentue la tendance pour ces

derniers, mais favorise l’augmentation de la densité des communautés d’oiseaux (Blondel et al., 1988).

x A l’échelle du paysage

Le processus d’intensification de l’agriculture a engendré de nouvelles formes d’organisation spatiales des paysages dont les répercussions sur

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l’agrobiodiversité sont aujourd’hui largement étudiées (Andrèn, 1994 ; Le Cœur

et al., 2002).

La fragmentation des espaces semi-naturels a généré : un affaiblissement de la qualité et de la quantité totale d’habitats favorables au repos, à la nidification, à l’alimentation, à la migration et à la reproduction ; leur isolement dans l’espace (Reidesma et al., 2006 ; Mildèn et al., 2006 ).

Les répercussions sur l’agrobiodiversité sont globalement négatives, en particulier pour la végétation. Elles se traduisent par une diminution de la richesse spécifique de la plupart des groupes taxonomiques (Chust et al., 2003a, 2003b ; Luoto et al., 2003). Ce constat varie toutefois selon la capacité de déplacement des espèces, leurs besoins en « types de milieux » (Tscharntke et al., 2005a), y compris selon la qualité, densité, surface et connectivité des fragments semi-naturels disponibles au sein de la matrice34 paysagère (Dauber et al., 2006 ; Krauss et al., 2004 ; Van Buskirk et Willi, 2004). D’après Flather et Bevers 2002 les effets induits par la fragmentation, sur l’agrobiodiversité, ne sont perceptibles que si la présence d’habitats favorables est inférieure à un seuil de l’ordre de 20 à 30 %. En deçà la connectivité peut potentiellement pallier les effets négatifs de cette fragmentation (Fahrig et Merriam, 1985). Le pourcentage de recouvrement des éléments semi-naturels pérennes reste cependant un paramètre plus important pour le maintien de l’agrobiodiversité que le degré de connectivité. La configuration spatiale de ces éléments, leur taille et leur forme sont d’autant plus importants que leur disponibilité se réduit (Tscharntke et al., 2002). Pour qu’un espace semi-naturel soit favorable à la biodiversité, plusieurs paramètres d’influence doivent être considérés tels que le mode de gestion associé à ce dernier, l’utilisation des parcelles adjacentes, le système de production et la structure paysagère (Le Cœur et al., 2002).

- Le processus d’homogénéisation des paysages est également un facteur d’influence important sur l’agrobiodiversité (Purtauf et al., 2005 ; Weibull

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La notion de matrice mobilisée dans de ce manuscrit désigne l’ensemble des éléments qui composent le paysage quelle qu’en soit leur nature ou leur fonction contrairement à l’écologie du paysage pour laquelle la matrice désigne d’avantage l’espace ne constituant pas l’habitat de l’espèce étudiée.

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et Ostman, 2003 ; Eggleton et al., 2005). Il est issu de deux pratiques opposées: l’intensification de l’agriculture synonyme d’ouverture des paysages, ou à contrario l’abandon des terres synonyme d’une fermeture progressive. Dans les deux cas, l’homogénéisation induit une simplification de la structure et de la composition de l’espace de la parcelle au paysage qui affecte négativement la diversité spécifique, les processus écologiques, la composition des communautés et la dynamique des populations (Benton et

al., 2003 ;Van Buskirk et Willi, op.cit. ; Aviron et al., 2005 ; Adrèn 1994).

Les espèces spécialistes (qui ne peuvent se développer que dans des conditions environnementales bien spécifiques) sont plus sensibles à des modifications intervenant à des échelles spatiales fines (parcelle) contrairement aux espèces généralistes telles que les colonies d’abeilles domestiques, plus sensibles aux changements à de larges échelles (le paysage), (Burel et al., 2008). Une augmentation de l’hétérogénéité de la structure paysagère peut compenser en partie les effets des pratiques agricoles intensives sur les espèces mobiles (Burel et al., 2008). À l’inverse les espèces peu mobiles dépendent d’un seuil d’hétérogénéité du paysage en deçà duquel des modifications du système de production sont nécessaires pour favoriser la biodiversité (Roschewitz et al., 2005). L’hétérogénéité a donc un effet globalement positif sur la biodiversité et permet l’augmentation de la richesse et de la diversité spécifique pour une majorité de groupes d’animaux et de plantes ainsi qu’une meilleure répartition spatiale des ressources (Freemark et al., 2002 ; Herzon et O’Hara, 2007). Cette hétérogénéité favorise également le développement de la biodiversité fonctionnelle nécessaire au maintien des services écosystémiques et ainsi l’équilibre et le fonctionnement des écosystèmes et des paysages (Bianchi et

al., 2006 ; Barbault, 2008b).

Par conséquent, l’intensification des pratiques agricoles (intrants, fauche, labour, etc.), la nature des systèmes de production (conventionnels versus biologiques), l’homogénéisation des paysages, la fragmentation et la diminution des espaces semi-naturels pérennes agissent de manière simultanée entrainant une importante érosion de l’agrobiodiversité (Schweiger et al., 2005 ; Hendrickx et al., 2007).

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1.1.2. L’abeille domestique (Apis melifera L.), un cas d’étude