• Aucun résultat trouvé

Introduction de la première partie

1.1. Paysages agricoles et abeille domestique : quelles interactions ? quels bilans ? quelles questions ?

1.1.4. La composante ligneuse : un potentiel de ressources trophiques et d’habitats pour les pollinisateurs sauvages et domestiques

La composante ligneuse désigne ici l’ensemble des éléments arborés, arborescents, arbustifs, lianescents du paysage et la strate herbacée associée, (7), (Photo 2). Cette composante comprend les ligneux forestiers et hors forêts issus des espaces semi-naturels et naturels : forêts (2), bois (3), bosquets (3), ripisylves (9), arbres isolés (5), saulées (8), arbres agroforestiers (11) (à différencier de la sylviculture), friches (13), haies (1, 4, 6, 12), accrus et recrus forestiers, pré-vergers (10), (Photo 2).

Il semble pertinent de questionner le rôle de la composante ligneuse pour l’abeille domestique, en contexte paysager agricole, quand on sait que :

- la disponibilité des ressources trophiques varie fortement au cours de la saison ;

- les populations d’abeilles sont confrontées à de fortes périodes de disette ;

- les apports en nectar sont étroitement dépendants des surfaces et de la floraison des cultures de colza et de tournesol (de courte durée) ;

- cette composante semble présenter a priori un potentiel floristique intéressant encore peu étudié.

À ce jour la majorité des travaux existant portent sur le cas des abeilles sauvages sociales et solitaires, très peu sur l’abeille domestique Apis mellifera L.

Chapitre 1 – Contexte, problématique et aire d’étude

80 Photo 2 : La composante ligneuse, une pluralité de formes

Chapitre 1 – Contexte, problématique et aire d’étude

81

1.1.4.1. Apports de la composante ligneuse pour les abeilles sauvages

Aux États-Unis, Hannon et Sisk, (2009) ont constaté que les abeilles sauvages mobilisent de manière importante les ressources floristiques des haies, notamment en période de pré-mousson. Ces espaces sont également utilisés à des fins de nidification. En France, au printemps, en zone de céréaliculture intensive Rollin et al. (2013) ont observé une plus grande concentration d’abeilles sauvages dans les éléments boisés que dans les parcelles cultivées. D’après Croxton et al. (2002), Kells et al. (2001) ou encore Svensson et al. (2000), les bourdons butinent d’avantage dans la strate herbacée associée aux éléments ligneux, qu’au sein des parcelles cultivées adjacentes. Enfin Le Féon (2010) a observé une corrélation positive entre la quantité de haies disponible dans le paysage et la richesse spécifique d’abeilles sauvages solitaires. Toutefois, sur l’ensemble de la saison, la richesse totale d’espèces cumulée, semble plus importante au sein des parcelles cultivées que dans les éléments ligneux (Hannon et Sisk, op.cit.). Winfree et al. (2007) font le même constat dans le New Jersey aux États-Unis, à l’inverse d’Aizen et Feinsinger (1994) pour qui cette richesse (observée en Argentine) paraît plus élevée dans les fragments de bois que dans les cultures. L’intérêt des ligneux varie donc au cours de la saison, selon la nature des parcelles adjacentes cultivées, le contexte paysager mais également d’un type d’élément ligneux à l’autre voire au sein d’un même type (friche, haie, bois, bosquet, ripisylve, etc.). Selon Hannon et Sisk (op.cit.) les haies abritent une plus grande richesse et abondance d’espèces d’abeilles sauvages que les bois. Bailey et al. (2014) ont constaté que l’intérêt des lisières varie selon leur exposition et les espèces d’abeilles observées.

Bien qu’elle ne suffise pas la composante ligneuse semble permettre de couvrir une partie des besoins élémentaires (nidification et alimentation) dont dépendent les abeilles sauvages pour se maintenir en contexte paysager agricole. Le restant des apports nécessaires étant apporté par les autres éléments tels que les bords de route, les bordures de parcelles, les cultures, les jardins, etc. tout au long de la saison (Hannon et Sisk, 2009 ; Winfree et al., 2007).

L’intérêt complémentaire et évolutif dans le temps et dans l’espace des différents « compartiments » paysagers, rend nécessaire : l’appréhension de la composante

Chapitre 1 – Contexte, problématique et aire d’étude

82

ligneuse à une large échelle spatio-temporelle (le paysage et la saison) ; sa mise en regard avec les autres éléments paysagers.

Enfin, au-delà d’une approche purement conservatoire et dans une perspective plus économique, plusieurs études ont constaté une amélioration de la pollinisation des cultures situées à proximité des éléments ligneux. Une augmentation de la distance entre ligneux et parcelles amoindrit donc le service de pollinisation et inversement. Bailey et al. (2014) ont observé une plus grande abondance et richesse spécifique d’abeilles sauvages dans les parcelles de colza attenantes aux lisières de forêts. Les éléments ligneux en milieu agricole agissent ainsi comme des réservoirs de pollinisateurs dont les parcelles de cultures peuvent directement bénéficier. Cette tendance se vérifie aussi bien en milieu tropical agroforestier, non agroforestier (De Marco et Coelho, 2004 ; Blanche et

al., 2006 ; Chacoff et Aizen, 2006 ; Klein et al., 2003) qu’en milieu tempéré

(Arthur et al., 2010 ; Watson et al., 2011 ; Bailey et al., op.cit.).

D’après ces nombreux travaux, le rôle des ligneux, en tant que zone de nidification et réservoir de ressources floristiques et de pollinisateurs pour les cultures semble avéré du point de vue des abeilles sauvages. Mais qu’en est-il pour l’abeille domestique (Apis mellifera L.) ?

1.1.4.2. Les apports de la composante ligneuse pour les colonies d’abeilles domestiques

Pour couvrir ses besoins nutritionnels, l’abeille domestique nécessite une importante diversité florale, comme cela a déjà été largement évoqué. Or, à ce jour et à notre connaissance, aucune étude n’a encore tenté d’évaluer la contribution spécifique de la composante ligneuse dans l’apport de ressources pollinifères et nectarifères en milieu agricole ni son impact sur les THV des colonies, en fonction de contextes paysagers distincts. Malgré tout, les travaux d’Odoux et al. (2012) permettent déjà d’émettre quelques hypothèses quant au potentiel trophique des ligneux. L’analyse de pelotes de pollens collectées durant toute une saison en zone de céréaliculture intensive par dix colonies d’abeilles domestiques (Apis mellifera L.) a permis de constater une forte contribution de la composante ligneuse, à hauteur de 32,2 % contre 62 % pour les cultures (adventices incluses), 4,5 % pour les prairies et 1,3 % pour les jardins. Le plus

Chapitre 1 – Contexte, problématique et aire d’étude

83

grand apport des ligneux semble avoir lieu au printemps grâce (entre autre) aux Cornouillers (Cornus sp.), Frênes (Fraxinus sp.), à certains fruitiers du genre

Prunus, et durant la floraison du colza (Brassica napus). Arbres isolés, lisières et

haies représentent alors environ 50 % des espèces butinées. Le lierre (Hedera sp.), permet un regain d’intérêt pour les ligneux en période automnale. Les prairies ne sont butinées que lorsque les ressources issues des autres éléments paysagers sont faibles. Parallèlement, ces travaux mettent en évidence la qualité de certains pollens issus de la composante ligneuse, comme celui des ronces (Rubus sp.), dû à sa forte teneur en sucres, voire du cornouiller pour sa grande concentration en protéines (Cette composante semble également couvrir une partie importante des besoins en lipides. Ces tendances sont confirmées par l’étude de Requier (2013) qui montre dans le même contexte paysager et sur 250 colonies suivies pendant 5 ans, le rôle prépondérant des adventices et de la composante ligneuse dans l’apport de ressources polliniques notamment en début de saison et en dehors des périodes de floraison des grandes cultures.

Malgré le potentiel trophique que semblent présenter les ligneux vis-à-vis de l’abeille domestique l’intérêt qu’ils suscitent dans le monde de la recherche reste encore à l’état de présupposés. Odoux et al. (2014) émettent l’hypothèse qu’un accès précoce (en début de saison) des abeilles domestiques aux ressources ligneuses, pourrait permettre de pondérer la chute de population observée à la fin de la première période de disette, et rendre les colonies plus résilientes44 face aux fluctuations de la ressource trophique. À l’issue de sa thèse, Le Féon (2010) émet le même type de supposition quant aux abeilles sauvages pour lesquelles un paysage de bocage lié à une forte présence d’habitats semi-naturels devrait permettre une meilleure résilience des populations contrairement au paysage d’openfield où zones de nidification et ressources trophiques sont fortement réduites dans le temps et dans l’espace.

Ces deux hypothèses corroborent et soulignent l’enjeu lié à l’étude du rôle spécifique de la composante ligneuse en milieu agricole pour les pollinisateurs.

44

Selon Da Lage et Métailié (2000) la résilience désigne la capacité d’un écosystème à supporter des modifications affectant certaines variables de ses états, tout en conservant l’essentiel de ses propriétés. Ainsi un écosystème a une forte résilience si, par autorégulation, une modification notable de ces paramètres ne provoque pas un changement durable du système.

Chapitre 1 – Contexte, problématique et aire d’étude

84

Cette composante semble d’autant plus pertinente à questionner quand on sait l’intérêt qu’elle peut parallèlement représenter pour l’agriculture, comme l’illustre de manière synthétique la Figure 16.

1.1.4.3. Contribution des ligneux pour l’agriculture et l’environnement

Situés en bordure ou au sein des parcelles, sous la forme d’arbres isolés, de haies, de lisières, etc., les ligneux permettent de répondre à une diversité d’enjeux liés tout autant à l’agriculture qu’à l’environnement. Ils contribuent entre autre au maintien de la production de denrées alimentaires, à la qualité du système de production (qualité des sols, maintien des auxiliaires de cultures), à la création de valeurs ajoutées, au maintien de zones refuges pour la faune et la flore, de zones de nidification et finalement au maintien de la qualité et du fonctionnement des paysages agricoles (Figure 16).

Chapitre 1 – Contexte, problématique et aire d’étude

85 Figure 16 : Bilan des apports de la composante ligneuse à l’agriculture

La capacité des ligneux à répondre de manière concomitante à différents enjeux confère à cet élément un caractère multifonctionnel qu’il convient de questionner à l’échelle paysagère du point de vue de l’abeille domestique.

1.1.5. Question de recherche