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Lutter au quotidien contre la précarité, liée notamment aux aléas d’une activité professionnelle marquée par l’instabilité et l’incertitude du lendemain engendre un profond sentiment d’insécurité et peut avoir des conséquences sur l’état de santé. Par ailleurs, dans nombre de cas, les conditions de travail elles-mêmes sont pathogènes mais la pénibilité physique et psychologique des emplois à prédominance féminine a fait l’objet de moins de travaux avec pour conséquence une invisibilité encore importante des risques.

ٰUne nécessaire amélioration de la prise en charge des plus vulnérables

Ainsi que l’a confirmé Paul Dourgnon lors de son audition, le recours aux soins constitue un élément parmi beaucoup d’autres dans la construction des inégalités sociales de santé dont en réalité les deux tiers ne relèvent pas du strict domaine médical. Au-delà de l’aspect financier, c’est aussi l’histoire de vie de la personne, sa situation sociale présente et passée ainsi que ses craintes pour l’avenir, qui peuvent expliquer un renoncement. Ces facteurs explicatifs s’appliquent tout particulièrement aux femmes.

Ainsi que l’a mis en évidence l’étude précitée de la délégation sur La santé des femmes en France, celles-ci recourent moins aux examens de prévention et elles déclarent plus souvent renoncer à des soins notamment pour raisons financières (18,5 %) que les hommes (12,3 %).

Plus la précarité est forte, plus l’attention portée au corps est faible, plus le rapport au temps est marqué par la vie au jour le jour et plus le contact avec les institutions sanitaires et sociales et les professionnels de santé est difficile.

Dans ce contexte, la situation de précarité a des conséquences négatives en termes de recours aux dépistages notamment du cancer. Ainsi, parmi les femmes de 40 ans et plus appartenant à des ménages modestes, 34 % n’ont jamais réalisé de mammographie (contre 19 % des autres femmes de plus de 40 ans) alors qu’il s’agit d’un dépistage organisé et gratuit.

Il apparaît clairement que les intéressées ont besoin de relais (associations de quartiers, unités gynécologiques spécifiques et mobiles) pour accéder aux droits qui leur sont ouverts.

Il est manifeste que la prise en charge sanitaire pour le suivi des femmes en situation de précarité doit être multidisciplinaire, en réseau et incluant les services sociaux. Il importe aussi que les personnels soignants adoptent un discours accessible et adapté au vécu de leurs patientes.

A cet égard, des expérimentations conduites en 2010 par la caisse primaire d’assurance maladie des Côtes d’Armor puis la caisse régionale d’assurance maladie de Bretagne ont démontré que l’information donnée par téléphone ou en face à face sur le dépistage du cancer du sein ou du côlon est plus efficace que par invitation, courrier ou campagnes publicitaires, pour les personnes bénéficiaires de la CMU. L’augmentation de la participation a été significative pour les personnes appelées.

Pour la délégation, promouvoir le dépistage du cancer et plus largement la santé auprès des femmes en situation de précarité dépasse largement le seul cadre de l’information et de la communication et nécessite un véritable accompagnement.

Ainsi que le soulignait sa précédente étude sur La santé des femmes en France : « des actions d’information spécifiques, relayées par les services sociaux et les associations de quartiers qui constituent les meilleurs intercesseurs pour venir à bout des réticences culturelles, sont indispensables pour sensibiliser à la prévention les femmes pour lesquelles la santé n’est pas une préoccupation prioritaire et leur permettre d’accéder aux droits qui leur sont ouverts ».

Par ailleurs, la Couverture maladie universelle (CMU) et sa complémentaire (CMU-C) ont certes amélioré le recours aux soins de ses bénéficiaires mais toutes les difficultés d’accès ne sont pas résolues pour autant.

Tout d’abord, les règles administratives régissant l’attribution de la CMU et de nombreuses prestations sociales sont décalées par rapport à la situation concrète du bénéficiaire potentiel. Ainsi, le calcul du plafond de ressources pour la CMU-C se fait sur les 12 mois précédant la demande. Les ruptures de droits en matière de protection sociale sont le plus souvent liées à des changements de situations professionnelles qui sont récurrentes dans la population des précaires.

La délégation soutient donc la recommandation du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale de juin 2012 qui demande de revoir la règle d’attribution de certaines prestations sociales, basée sur les revenus de l’année N-1 voire N-2, ce qui est totalement déconnecté de la réalité budgétaire des bénéficiaires. Des ajustements et des mises à jour devraient pouvoir intervenir pour s’adapter, au plus près, aux évolutions des situations des intéressées.

De plus, même si la CMU-C est un dispositif identifié, celles/ceux qui la demandent connaissent mal son fonctionnement et ce à quoi elles/ils peuvent prétendre. Les dispositions relatives à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) ouverte à celles/ceux qui dépassent le seuil d’éligibilité à la CMU-C sont, quant à elles, complexes et largement ignorées puisque 75 % des personnes qui pourraient y prétendre ne font pas valoir leurs droits.

Il convient donc d’assurer une meilleure information adaptée aux bénéficiaires en développant les partenariats avec les associations ou les caisses d’assurance maladie et d’allocations familiales afin d’organiser une interaction entre les systèmes sociaux et sanitaires.

Enfin, une plus grande sensibilisation des professionnels de santé et du secteur sanitaire et social aux liens complexes entre santé et précarité serait également de nature à réduire l’impact des facteurs sociaux qui jouent un rôle non négligeable dans le renoncement aux soins.

ٰUn renforcement indispensable de la lutte contre les atteintes à la santé au travail L’enquête SUMER (surveillance médicale des expositions aux risques professionnels) actualisée en 2010, montre que 58 % des troubles musculo-squelettiques (TMS) déclarés, terme qui recouvre un ensemble de pathologies articulaires ou péri-articulaires, musculaires et tendineuses (fibromyalgie en particulier) touchant le dos et les membres, concernent les femmes avec un risque d’exposition de 22 % supérieur à celui des hommes.

L’enquête SAMOTRACE (Santé mentale observatoire travail - Rhône-Alpes-Centre -) 2009 révèle, pour sa part, que le mal-être au travail est exprimé par 37 % des femmes pour 24 % des hommes.

Par ailleurs, des travaux de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), publiés en mars 2012, relèvent que les accidents du travail sont en baisse pour les hommes mais augmentent pour les femmes. Dans les activités de service regroupant santé et nettoyage, le taux d’évolution des accidents du travail de 2002 à 2010 est de plus 40 % pour les femmes et de moins 24 % pour les hommes. De même, en 2010, pour la première fois depuis 10 ans, les maladies professionnelles concernent plus les femmes (50,8 %) que les hommes (49,2 %), deux secteurs à prédominance féminine étant particulièrement concernés : celui de la grande distribution et celui des activités de services santé et propreté.

Face à ce constat, la délégation déplore que, d’une manière générale, le genre soit insuffisamment pris en compte dans la définition des normes ergonomiques. Elle estime qu’il convient donc d’une part, de développer les études permettant une analyse différenciée du travail des hommes et des femmes et d’autre part, d’évaluer plus précisément les facteurs de risques auxquels sont exposées de nombreuses femmes : travail répétitif, postures contraignantes, fond sonore permanent trop élevé, manipulation de produits chimiques nocifs, travail de nuit, manque d’autonomie et de latitude décisionnelle.

Il importe également d’étudier plus précisément l’influence des horaires atypiques et du travail de nuit, sur longue période, sur l’aggravation du risque de survenue d’un certain nombre de pathologies : maladies cardio-vasculaires, surpoids, cancer du sein, lymphomes...

La délégation rappelle également avec force que les services de santé au travail demeurent les principaux acteurs de prévention. Encore faut-il que les femmes soumises aux modalités d’emploi les plus précaires n’en soient pas exclues.

Pour ce faire, la délégation réitère la proposition émise dans un avis du Conseil économique et social adopté en février 2008 sur L’avenir de la médecine du travail, tendant à l’organisation d’actions ciblées sur des populations prioritaires. Celles-ci devraient bénéficier d’« une surveillance médicale renforcée modulée en fonction des caractéristiques de chaque situation, notamment au regard de la nature et du niveau du risque ». L’avis recommandait en outre d’associer étroitement les infirmiers(ères) du travail à cette démarche.

Dans ce cadre, un suivi spécifique pourrait ainsi être organisé dans les secteurs à risques à prédominance féminine.

Afin de faciliter l’accès à la prévention et aux soins des salarié(e)s les plus précaires, la délégation souhaite également le développement des partenariats entre services de santé au travail et centres d’examens de santé de l’assurance maladie, expérimentés avec succès entre 2008 et 2010 (32 SST et 20 CES correspondants situés dans 10 régions ont participé à cette opération).

Ce partenariat permet en effet d’identifier les travailleurs(euses) vulnérables et/ou isolé(e)s au cours de la visite médicale obligatoire du travail et de leur proposer un bilan de prévention réalisé par les centres de santé. Celui-ci est assorti de préconisations sur les problèmes diagnostiqués et d’information sur l’accès à des professionnels de santé et aux structures de dépistage.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité souligne l’intérêt de tels réseaux pour éviter aux salarié(e)s les plus vulnérables de cumuler emplois précaires et exclusion du bénéfice des actions de prévention.