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Les impératifs et les vicissitudes de l’accompagnement éducatif des MNA

La troisième partie de ce dossier thématique est consacrée à l’exposition de l’organisation, du fonctionnement et du travail de plusieurs services d’accueil et d’hébergement des MNA. Le choix du lieu de placement apparaît, comme pour tout jeune pris en charge par les services de l’ASE, un élément crucial de réflexion dans le cadre du projet du MNA. Or, si l’on suit les conclusions de l’étude Minas, ce choix est bien souvent dicté par des critères d’ordre budgétaire et pratique qui ont peu à voir avec l’intérêt du jeune. En ce sens, selon les auteurs de l’étude, l’hébergement à l’hôtel social, souvent mis en œuvre dans le premier temps de l’accueil, « peut être prolongé dans le cadre

33  Article L 223-1-1 : « Il est établi, pour chaque mineur bénéficiant d’une prestation d’aide sociale à l’enfance, hors aides financières, ou d’une mesure de protection judiciaire, un document unique intitulé

“projet pour l’enfant”, qui vise à garantir son développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social. Ce document accompagne le mineur tout au long de son parcours au titre de la protection de l’enfance [ ] L’élaboration du projet pour l’enfant comprend une évaluation médicale et psychologique du mineur afin de détecter les besoins de soins qui doivent être intégrés au document [ ] ».

Art. D. 223-15, I : « Le projet pour l’enfant prend en compte les domaines de vie suivants : 1o Le développement, la santé physique et psychique de l’enfant ;

2o Les relations avec la famille et les tiers ; 3o La scolarité et la vie sociale de l’enfant. [ ]»

d’une mesure de placement pérenne. Dans ce cas, les jeunes sont logés dans des conditions très variables et vivent dans une insécurité symbolique permanente quant à leur avenir proche et lointain. Les défaillances dans la mise en œuvre du suivi éducatif constatées pour les jeunes pris en charge provisoirement dans les

“hôtels sociaux” se prolongent donc alors même que les jeunes sont destinés à y rester jusqu’à leur majorité. Au-delà de leurs rencontres sporadiques avec la personne référente de l’aide sociale à l’enfance, les jeunes placés dans les hôtels ne font l’objet d’aucun accompagnement éducatif au quotidien. »

Si, de l’avis des acteurs rencontrés dans le cadre de ce dossier thématique, l’hébergement en hôtel social tend à augmenter, avec l’ensemble de questions qu’il peut susciter sur la qualité de l’accompagnement éducatif associé, l’accueil familial semble, quant à lui, être une possibilité peu exploitée. Les propos de la directrice de la fondation Grancher, rencontrée dans le cadre d’une table ronde sur cette thématique réunissant des personnels et des encadrants de la fondation, confirment ce faible recours : « le placement familial n’est pas repéré comme étant adapté aux MIE. [La fondation Grancher] n’a pas de spécialisation mais est d’accord pour accueillir ces jeunes. Nous avons d’ailleurs mis en place une formation mais elle est surtout destinée à un territoire (la Sologne) où les AF [assistants familiaux] accueillent beaucoup de MIE. Pour le moment, il nous semble que l’éloignement [d’avec Paris et leur communauté nationale] n’est pas forcément positif. C’est ce qui fait que l’on n’a pas accueilli non plus beaucoup de ces jeunes, ou sinon sur Paris ou sa proche banlieue. Lorsque l’on est sollicité pour un accueil de MIE, c’est souvent dans l’urgence et, à la fondation Grancher, nous n’avons pas cette culture de l’accueil d’urgence. Et puis, le projet est quand même de faire des accueils qui s’inscrivent dans la durée, ce qui n’est pas souvent le cas et ce qui pose problème, tout comme l’étayage par les éducateurs sur le transculturel et l’interculturel qui n’apparaît pas suffisamment présent et solide. »

Ces propos font également écho au questionnement suscité par la disposition de la loi du 14 mars 2016 sur l’accueil durable bénévole. Ce dispositif est une nouvelle forme d’accueil potentielle de ce public, mais il nécessitera une certaine vigilance quant à la formation de ces accueillants et au suivi éducatif indispensable de ces jeunes.

Depuis les années 1990, des services d’hébergement ont pu se constituer une véritable compétence, une expertise et un savoir-faire en matière d’accueil et d’accompagnement des MNA. Comme les fiches dispositifs rédigées suite aux visites de terrain le montrent, ces services possèdent tous leurs particularités mais se rejoignent sur un point essentiel : la volonté (et la possibilité) d’élargir le plateau technique afin d’enrichir leurs compétences internes de domaines pour lesquels les MNA ont des besoins spécifiques (voir la fiche dispositif du service Domie du foyer Oberholz, proposant en interne un poste de juriste ayant pour mission la réalisation des démarches de régularisation administrative et d’un poste d’assistante sociale attachée aux questions d’accès au logement au foyer Oberholz, ou encore celle de la Mecs de Massy qui propose, également avec des ressources internes, des classes de remise à niveau).

L’une des compétences développées par les services concerne les ressources et les pratiques orientées vers la (re)scolarisation de ces jeunes et la réflexion autour de leur projet professionnel. Comme le montre l’étude Élap, « [le]

placement [des MIE] est généralement accompagné d’une (re)scolarisation (pour 94 % d’entre eux) avec, selon le pays d’origine, l’apprentissage de la langue française précédemment ou en parallèle à un cursus de niveau CAP. » 34 Il est donc primordial que les services possèdent ou tissent un réseau étendu de partenaires dans le domaine de l’insertion professionnelle qui pourront constituer autant d’employeurs ou de structures avec lesquels signer un contrat d’apprentissage ou suivre une formation type CAP 35 (voir la fiche dispositif du service Oscar Romero, qui s’appuie sur l’expertise des Apprentis d’Auteuil en terme d’insertion professionnelle et sur leur large éventail de partenaires pour élaborer le projet professionnel des jeunes accueillis, ou encore la fiche de la Mecs des Monedières à Treignac, en Corrèze, qui a développé en interne les infrastructures pour proposer aux jeunes un cursus professionnel en hôtellerie et restauration).

Si la plupart de ces services réussissent à accompagner ces jeunes jusqu’à une régularisation administrative à leur majorité et une insertion sociale, professionnelle et culturelle jugée satisfaisante, c’est non seulement grâce à la qualité de leur travail, mais également parce qu’ils obtiennent la possibilité de travailler avec les jeunes dans une temporalité adaptée à leurs besoins et à la construction d’un projet personnel solide : « Les équipes éducative et de direction considèrent en effet qu’une période de trois ans est nécessaire pour accompagner ces jeunes, quel que soit leur profil, leur expérience scolaire et leur maîtrise du français, jusqu’à une insertion professionnelle et sociale. » (Mecs des Monedières à Treignac).

Mais alors, comment travailler avec les jeunes arrivés sur le territoire français ou pris en charge par l’ASE après leurs 16 ans, et que leur proposer ? Ce groupe d’âge constitue souvent le groupe « laissé pour compte » parmi les MNA, subissant les conséquences des « effets de seuil » produits par les différences de possibilité d’accès à la nationalité ou à la régularisation selon les bornes d’âges et de durée de prise en charge des mineurs par l’ASE avant leur majorité. Ces effets de seuil, en effet, associés à la représentation du temps nécessaire à un accompagnement éducatif pertinent, influent directement sur les propositions de prise en charge éducative – que l’on pourrait qualifier de « complètes » et similaires à celles proposées aux autres mineurs accueillis en protection de l’enfance, pour les MNA ayant moins de 15 ans à leur arrivée en France, de

« partielles » pour les mineurs arrivés entre 15 et 16 ans et pour lesquels la nationalité ne sera pas attribuée de droit à la majorité, et de « minimales »

34  Frechon I., Marquet L., Breugnot P., Girault C. L’accès à l’indépendance financière des jeunes placés.

Étude longitudinale sur l’autonomisation des jeunes après un placement (Élap) [en ligne]. Rapport soutenu par l’ONPE. Paris : Ined/Printemps, juillet 2016, p. 55.

http://www.onpe.gouv.fr/system/files/ao/ao02014.frechon_rf.pdf

35  « Plus de la moitié des jeunes isolés étrangers suivent une formation de niveau V (CAP), parmi eux un tiers de ces formations se fait en apprentissage. En revanche, si les autres jeunes placés poursuivent moins souvent une formation en CAP, celle-ci se prépare aussi moins souvent en apprentissage. » (Ibid., p. 57.)

pour les mineurs de plus de 16 ans qui ne se voient proposer dans beaucoup de départements qu’un accueil en hôtel social sans accompagnement éducatif, et pour lesquels la régularisation à la majorité est très incertaine.

Sur la base de ce constat, le département de Seine-et-Marne (77) a fait au début de l’année 2016 un appel d’offres pour l’ouverture de places spécifiquement dédiées aux MNA arrivés sur le sol français après leur 16 ans (voir aussi la fiche dispositif du service Oscar Romero à Paris).

Sébastien Paget, chef du service géré par l’association Adsea 77 évoque la réflexion menée collectivement avec les services du département en ces termes :

« Curieusement, tous les MIE accueillis depuis deux ans sont âgés de plus de 16 ans. [ ] En début d’année [2016], le département a demandé à mettre en place un dispositif spécifique pour ces jeunes. Nous avons proposé une extension de 16 places de notre service d’accueil de “grands adolescents-jeunes majeurs” de 16-21 ans. Nous avons donc obtenu des moyens supplémentaires pour créer au sein du service une troisième équipe qui se compose d’un TISF [technicien d’intervention sociale et familiale], d’une assistante sociale, d’un moniteur éducateur, d’un éducateur spécialisé, d’un mi-temps de psychologue, ainsi que d’un chef de service. Nous avons pu également créer de nouvelles possibilités d’accueil : un appartement dit “palier” (appartement situé au-dessus du service) au premier temps de l’accueil, un appartement partagé (logement collectif) dans un deuxième temps, et un studio accessible dans un troisième temps. Ces changements sont arrivés à un moment où l’ensemble des dispositifs existants pour les plus de 16 ans du département a été profondément réinterrogé, du fait notamment d’un changement de majorité politique aux dernières élections. Dès 16 ans, il faut travailler la sortie du dispositif selon la demande du département et la loi relative à la protection de l’enfance du 14 mars 2016. Les professionnels n’ont donc plus le même temps, la même relation éducative, et cela fait émerger le risque de basculer sur un accompagnement social et non plus éducatif. Le projet de service a donc été réfléchi avec ces enjeux en tête et correspondait à un besoin du département. »

On retrouve dans ces propos un constat source d’inquiétudes, fréquemment évoqué par les professionnels durant les visites de terrain réalisées : les évolutions des pratiques et des dispositifs de prise en charge, pour les MNA comme pour les jeunes majeurs, sont guidées par la volonté d’anticiper une autonomie toujours plus précoce, dont le pendant est la proposition d’un accompagnement éducatif de plus en plus léger et distant.

Adsea 77 : « Avec la diminution depuis 2013 des contrats jeune majeur (CJM) sur le département, les choses restent compliquées. Aujourd’hui, les CJM sont négociés de manière “unique”, sans possibilité de renouvellement à priori, avec des objectifs précis. Pour les MNA, il faut donc argumenter en fonction du temps qu’il faut pour finaliser une formation, pour obtenir un titre de séjour, pour obtenir les droits CAF, pour accéder à un foyer de jeunes travailleurs (FJT) ou à une résidence sociale. Le délai du CJM est souvent limité à neuf mois au plus, aucune prolongation ne devant être envisagée. Les inspecteurs ASE demandent

de justifier le CJM, sachant qu’il faut qu’il y en ait le moins possible selon le département. [ ] Les relations avec le conseil départemental sont satisfaisantes car ils ont reconnu nos compétences mais, du fait d’une phase politique transitoire et d’un nouveau schéma départemental en cours de rédaction, l’équipe est dans l’expectative. On observe déjà que sur les CJM, c’est du “cas par cas”, même si, pour l’instant, on est encore suivi dans nos demandes. »

Ce dernier aspect, renvoyant à l’incertitude à laquelle sont confrontés les services au regard de l’instabilité et du renouvellement constant de l’architecture des dispositifs départementaux de prise en charge de ce public, est très fréquemment revenu durant les entretiens et auditions réalisées avec les professionnels. Le dispositif de la protection de l’enfance est actuellement en phase d’adaptation face au défi d’accueillir, dans des conditions adéquates et pertinentes, un public dont les besoins (en termes de sécurisation du statut, d’accompagnement sanitaire, psychologique, scolaire et éducatif) sont particuliers. Cette période d’instabilité peut être insécurisante et usante pour les intervenants, à quelque niveau qu’ils se situent. Cependant, comme les contributions et les fiches dispositifs du présent dossier le montrent, les capacités d’adaptation, d’innovation et d’investissement des acteurs engagés auprès de ces jeunes ont permis, à de multiples endroits du territoire national, de développer des pratiques et des dispositifs probants.

Pr emièr e partie Durant les étapes de repérage, d’orientation