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Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, adjointe du Défenseur des droits

Depuis sa création, le Défenseur des droits, comme auparavant la Défenseure des enfants alors autorité indépendante, est saisi de très nombreuses situations de mineurs non accompagnés en errance sur le territoire national, qui ne parviennent pas à être pris en charge et donc ne bénéficient pas d’une mesure de protection telle que prévue par la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide). Concrètement, le Défenseur des droits intervient dans les cas individuels dont il est informé, le plus souvent par des associations mais aussi par des professionnels du droit, comme les avocats, également dans le cadre de médiations entre les décideurs publics, enfin à titre d’expert dans l’élaboration du cahier des charges d’appels à projets portant sur la création de structures d’accueil des MIE.

Les difficultés rencontrées par les mineurs non accompagnés ont représenté en 2015 environ 10,5 % des saisines du pôle Défense des enfants, soit 250 à 300 par an. Elles ont essentiellement trait à des difficultés d’accès à une prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, soit que la minorité des personnes concernées soit contestée, soit qu’ils bénéficient d’une ordonnance de placement provisoire sans être effectivement pris en charge, notamment au motif de saturation du dispositif de protection de l’enfance.

Dans la plupart de ces situations, ces jeunes voient leur identité, leur âge, leur histoire et leur parcours remis en cause, voire déniés par leurs interlocuteurs. Ces jeunes font l’objet de suspicion et de méfiance à leur égard et sont souvent appréhendés d’abord comme des étrangers avant d’être considérés comme des enfants. Ils arrivent en France après un parcours souvent difficile, un contexte de départ et un voyage durant lesquels ils ont parfois eu à connaître des situations extrêmes. Certains sont encore redevables de passeurs, d’autres ont pu être abusés… Ils ont avant tout besoin de se poser, de se reposer et d’être protégés.

À ce titre, l’approche de la majorité constitue, dans de nombreuses saisines, un réel obstacle à un accompagnement effectif.

Le Défenseur des droits a aussi connaissance de difficultés pour bénéficier de l’assistance d’un avocat, alors même que la présence d’un conseil aux côtés du jeune est cruciale pour veiller au respect de ses droits dans toutes les procédures auxquelles il est confronté.

Difficultés également à bénéficier d’un interprète, à l’encontre du droit à un procès équitable prévu à l’article 6 alinéa 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui prévoit pour le justiciable le droit de se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.

Dans plusieurs situations, est soulevée la question de la notification des décisions de Justice qui vont ouvrir les délais de recours pour les jeunes en errance sans lieu de prise en charge, ainsi que la notification des décisions de refus de prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance.

Le Défenseur des droits est également régulièrement saisi de situations de jeunes exclus parfois très brutalement du dispositif de protection de l’enfance. Ces jeunes peuvent ainsi être préalablement mis à l’abri par les services de l’Aide sociale à l’enfance de nombreux mois avant de se voir signifier une fin de prise en charge, à la suite d’examens médicaux, les estimant majeurs, et ce en dépit du manque de fiabilité de ces examens que nous dénonçons de manière constante depuis plusieurs années.

Mineurs pour les uns, majeurs pour les autres, ces jeunes sont placés de fait dans une zone de non droit. Évalués majeurs, ils ne peuvent bénéficier d’une protection au titre de l’aide sociale à l’enfance. Mais disposant souvent d’un document d’état civil mentionnant leur minorité, ils ne peuvent accéder au dispositif d’hébergement d’urgence du 115. Plusieurs d’entre eux retrouvent donc un parcours d’errance, exposés à des risques sanitaires et psychologiques.

De la même manière, ils ne peuvent pas accéder à des soins médicaux sans autorisation d’un représentant légal ou déposer une demande d’asile, cette procédure nécessitant un administrateur ad hoc que ne leur désignera pas le procureur, ce dernier les considérant majeurs. En outre, nous observons qu’ils sont, dans un nombre non négligeable de situations, mis en cause devant la Justice pour fraude par les conseils départementaux qui ont assuré leur prise en charge.

Sur le plan judiciaire sont constatés des délais de prises de décisions parfois très longs, trop longs au regard de l’urgence des situations, et un manque de réflexion et d’articulation global entre assistance éducative et tutelle.

L’ensemble des difficultés qui sont ainsi signalées concernent des mineurs présents sur le territoire métropolitain mais aussi en Outre-Mer, avec la situation particulièrement alarmante de Mayotte. Selon les derniers chiffres d’Eurostat, entre 8 000 et 10 000 mineurs non accompagnés seraient présents en France. Or il est estimé à environ 6 000 enfants le nombre de mineurs isolés étrangers présents à Mayotte, dont 350 en grande fragilité car absolument livrés à eux-mêmes, évoluant seuls ou avec d’autres mineurs non accompagnés, en errance totale. Il s’agit d’une situation singulièrement explosive sur laquelle le Défenseur des droits a émis de multiples recommandations.

Sur la base de ses différentes constatations, observations et analyses, le Défenseur a formulé plusieurs recommandations, individuelles ou générales, sur la question des MIE, avec une décision « socle », prise en décembre 2012, portant « recommandations générales relatives à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés sur le territoire français », décision dont les 15 préconisations sont toujours d’une totale actualité.

Cette « décision socle » stipule :

- que l’État français est lié par les obligations découlant de la Cide à l’égard des MIE, comme il l’est à l’égard de tout enfant présent sur son territoire ;

- que les MIE doivent être considérés comme des enfants, bénéficiant à ce titre de la protection prévue par les dispositions nationales et internationales applicables à cette population particulièrement vulnérable, avant d’être appréhendés comme étant de nationalité étrangère ;

- que ce principe est applicable aux MIE comme à tout enfant présent sur le territoire national et doit prévaloir à tous les stades de sa prise en charge et servir de support à toute décision le concernant ;

- qu’un mineur seul et étranger, arrivant en France sans représentant légal sur le territoire et sans proche pour l’accueillir, doit être considéré comme un enfant en danger et relève, à ce titre, du dispositif de protection de l’enfance.

En conséquence, la recommandation indique :

- qu’une évaluation complète de la situation des MIE par les services sociaux éducatifs doit intervenir avant toute convocation, audition ou présentation systématique à la police de l’air et des frontières, en vue de vérifier l’identité des jeunes concernés et leur minorité, la pratique contraire laissant préjuger d’une fraude et faisant peser sur ces jeunes une suspicion préjudiciable à leurs démarches futures ;

- que l’appréciation de l’authenticité des documents d’état-civil dont peut être détenteur un MIE doit être établie conformément aux prescriptions fixées par l’article 47 du Code civil et que celui-ci bénéficie pleinement des garanties procédurales s’attachant à la contestation de cette authenticité ;

- que les tests d’âge osseux, compte-tenu de leur fiabilité déficiente eu égard à d’importantes marges d’erreur, ne peuvent à eux seuls servir de fondement à la détermination de l’âge du MIE, les résultats de tels examens ne devant constituer qu’un élément d’appréciation parmi d’autres à la disposition du juge des enfants. À défaut, le Défenseur des droits recommandait qu’une disposition légale soit adoptée, prévoyant que le doute profite systématiquement au jeune et emporte la présomption de sa minorité 1 ;

- que ce processus d’évaluation doit être guidé par l’intérêt supérieur de l’enfant et mené de manière bienveillante, par des professionnels qualifiés ayant reçu une formation complémentaire à la problématique des MIE et maîtrisant les techniques d’entretien adaptés à l’âge, au sexe de l’enfant, en présence, dès que cela s’avère nécessaire, d’un interprète ;

- qu’en cas de contestation sur la minorité ou sur la situation d’isolement du MIE, une audience devait avoir lieu dans les meilleurs délais devant le juge des enfants, afin que ce dernier statue rapidement sur son besoin de protection et ordonne les mesures nécessaires qui en découlent ;

- qu’une prise en charge éducative adaptée des MIE devait être mise en place dès l’évaluation de leur situation par le service compétent, afin d’assurer leur sécurité et leur bien-être physique et psychologique, dans un milieu propice à leur développement.

Cette décision a été suivie de décisions plus individuelles et une nouvelle recommandation générale a été publiée en février 2016 partant du constat que l’effectivité des droits des MNA

1  Disposition inscrite dans l’article 43 de la loi no 2016-297 du 14 mars 2016 (ndlr).

ne leur était pas toujours garantie et rappelant un certain nombre de principes et de garanties s’appliquant à tout justiciable, quelle que soit la situation au regard du droit au séjour en France, et quel que soit l’âge retenu au final par les juridictions saisies :

- sur l’accès aux droits des jeunes isolés étrangers et la garantie de leur effectivité : respect de la procédure de mise à l’abri, évaluation préalable ;

- sur l’évaluation de la minorité et de l’isolement ;

- sur la force probante des documents d’état civil étrangers produits ; - sur la valeur de l’évaluation socio-éducative ;

- sur l’expertise médicale d’évaluation de l’âge ; - sur la vacance de l’autorité parentale.

Enfin, il convient de souligner la forte implication du Défenseur des droits en faveur des mineurs non accompagnés présents dans la Lande de Calais. Pendant dix-huit mois, la Défenseure des enfants et les équipes ont mené de nombreux déplacements et rencontré l’ensemble des acteurs au plan local et au plan national. Une décision d’avril 2016 a ainsi préconisé la création sur le site d’un dispositif de mise à l’abri inconditionnelle des mineurs, doublé de mesures renforcées d’information et d’accès aux droits.

Ensuite, devant l’imminence du démantèlement annoncé, le Défenseur des droits a demandé que les mineurs soient protégés a minima pendant la durée des opérations. Il a aussi dépêché sur place des observateurs et missionné ensuite ses équipes afin de vérifier les conditions d’organisation et de fonctionnement des Caomi (centres d’accueil et de formation pour les mineurs isolés étrangers) appelés à accueillir plus de 1 700 mineurs non accompagnés en seulement quelques jours. L’ensemble de ses observations seront consignées dans un rapport à paraître.

L’APPROCHE EUROPÉENNE