• Aucun résultat trouvé

Les besoins spécifiques de ces jeunes et la mise en place de l’accompagnement éducatif

Dans le cadre de l’accueil des MNA, comme pour tout enfant confié à l’ASE, l’évaluation est une étape fondamentale. Les visites de terrain et les auditions d’experts ont cependant montré la spécificité des objectifs et des pratiques d’évaluation des situations de ces jeunes. Au regard des conditions de leur entrée dans le dispositif (première évaluation durant la période de mise à l’abri de cinq jours durant laquelle est principalement évaluée la minorité de ces jeunes), il apparaît que les pratiques d’évaluation qui vont se succéder pour une même situation revêtent deux objectifs distincts : le premier concerne la minorité du jeune, le second a trait à ses besoins éducatifs en vue de la formalisation de son projet. De plus, elles ne se réalisent pas dans la même temporalité, avec les mêmes outils, et ne se concentrent pas sur les mêmes aspects de la situation.

En cela, cette évaluation à double détente peut aboutir à ce que les éléments d’information obtenus dans un deuxième temps viennent contredire ceux recueillis dans un premier temps et sur lesquels reposent les motivations de la mesure de la protection de l’enfance.

Dans un premier temps, l’évaluation de la situation doit contribuer, en tant qu’aide à la décision du magistrat, à stabiliser le statut juridique du jeune, en corroborant ou en infirmant le récit du jeune autour de sa minorité et de son isolement.

Dans un deuxième temps, une fois le mineur entré dans le dispositif de protection de l’enfance, une nouvelle évaluation est nécessaire pour définir les besoins éducatifs, afin d’adapter l’accompagnement qui va lui être proposé et de préparer avec lui son projet personnel. Or, cette évaluation, bénéficiant de plus de temps et donc plus approfondie (voir la contribution de la mission MIE du conseil départemental 35), peut mettre au jour, par une écoute prolongée du récit du jeune, des éléments à même de remettre en cause la pertinence du jugement d’assistance éducative.

L’approche dans notre droit des besoins spécifiques des mineurs dans une situation d’isolement et d’extranéité n’est pas sans interroger sur l’articulation de la prise en compte de ces besoins avec les dispositions prévues à l’égard des

« autres mineurs » pris en charge en protection de l’enfance, dont les titulaires d’autorité parentale sont présents sur le territoire. Y a-t-il une égalité juridique de traitement de ces mineurs au sein de notre dispositif de protection de l’enfance ?

En effet, si l’évaluation de la situation d’un mineur à partir d’une information préoccupante (article L. 226-3 du CASF, décret d’application no 2016-1476) a pour objet d’apprécier le danger ou risque de danger au regard des « besoins et des droits fondamentaux, de l’état de santé, des conditions d’éducation, du développement, du bien être et des signes de souffrance éventuels », l’évaluation prévue pour le MNA (article L. 221-2-2 du CASF, décret d’application no 2016-840 et arrêté du 17 novembre 2016) a pour objet la situation de « la personne » au regard de « ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement ». Quid des besoins fondamentaux, du bien-être, de la santé dans le décret relatif à l’évaluation de la situation des MNA ? L’arrêté interministériel du 17 novembre 2016 30 a défini les modalités de l’évaluation sociale initiale des MNA. Y sont mentionnés six points d’entretien (« un ou plusieurs entretiens » étant possibles) : état civil ; composition familiale ; conditions de vie dans le pays d’origine ; motifs du départ et parcours migratoire ; conditions de vie depuis l’arrivée en France ; projet de la personne. Elle doit permettre d’analyser la « cohérence des éléments recueillis », de constituer un « faisceau d’indices » permettant d’apprécier la minorité et l’isolement. En ce qui concerne le « projet de la personne », il peut être surprenant de lire que l’évaluateur « recueille son projet notamment en termes de scolarité et de demande d’asile ainsi que, lorsqu’un contact avec les familles a pu être établi, le projet parental ». Il semble en effet à la lecture de ces éléments que l’approche de l’enfant et de son projet de vie ne soit pas la même que celle précédemment évoquée en termes de bien-être et de besoins fondamentaux, et qu’une sur-responsabilisation pour certains jeunes puisse être questionnée à ce stade. Par ailleurs l’approche de la santé, pourtant réaffirmée et consolidée par la loi du 14 mars 2016, fait défaut en ce qui concerne les MNA.

L’avis issu de cette évaluation porte en effet davantage sur l’appréciation de la minorité et de l’isolement que sur les besoins fondamentaux du jeune. Cela peut expliquer les pratiques observées sur le terrain consistant, une fois l’orientation dans le dispositif de protection de l’enfance entérinée, à réévaluer la situation du mineur de manière plus complète afin d’élaborer un véritable projet pour et avec lui. L’entrée dans le dispositif par le biais de l’accueil d’urgence et les délais extrêmement courts réservés à l’évaluation peuvent expliquer en partie cette approche restrictive de la situation et des besoins de l’enfant.

L’ambition affichée par l’arrêté précité semble cependant bien plus grande que ce que permet la réalité de l’urgence, notamment en termes d’exigences relatives à la composition de l’équipe d’évaluation (pluridisciplinaire, avec des professionnels ayant une formation et une expérience en matière de parcours migratoire, de géopolitique et de psychologie), à charge pour le président du conseil départemental de s’en assurer. Il est également prévu la possibilité d’avoir recours à des « investigations complémentaires ». L’évaluation doit se dérouler dans une langue comprise par l’intéressé (avec recours le cas échéant

30  Arrêté du 17 novembre 2016 pris en application du décret no 2016-840 du 24 juin 2016 relatif aux modalités de l’évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. NOR : JUSF1628271A.

à un interprète). Cette évaluation sociale multi-facettes se heurte au principe de réalité selon certains responsables ASE rencontrés, qui allèguent plutôt un temps d’évaluation équivalent à quinze jours (au lieu des cinq fixés et financés).

Cela explique également l’organisation de certains départements qui ont préféré déléguer l’évaluation de ce public à des services associatifs spécialisés en la matière, plutôt que de réquisitionner l’organisation de leurs propres services.

Une fois l’évaluation réalisée, c’est toute la question du projet pour l’enfant (PPE) qui se pose, en tant que droit de l’enfant (article L. 223-1-1 du CASF, décret d’application du 28 septembre 2016). Comment garantir qu’il soit « centré sur l’enfant », qu’il « vise à garantir son développement, son bien-être et à favoriser son autonomie » et prenne en compte « les besoins fondamentaux de l’enfant, sur les plans physique, psychique, affectif, intellectuel et social, au regard notamment de son âge, de sa situation personnelle, de son environnement et de son histoire » ? Comment garantir une égalité de traitement des enfants pris en charge en protection de l’enfance et un exercice plein et entier de leurs droits ? L’approche encore récente, et non stabilisée juridiquement et politiquement, de la prise en charge des MNA en protection de l’enfance peut expliquer ces tâtonnements qui nécessiteront sans doute un renforcement de l’appareil juridique et éducatif les concernant, afin de veiller à une égalité de traitement et à une protection effective de ces mineurs, de leur prise en charge à leur accès à l’autonomie.

Se pose dans le même temps, au niveau des pratiques, la question de la construction, comme le relèvent les membres du collectif Babel (« Pour une prise en compte du projet migratoire : aménager des espace d’accueil, de rencontre et de pensée »), d’un cadre de rencontre entre les professionnels et ces jeunes. En effet, ces derniers sont engagés dans un mouvement et une trajectoire migratoire qui modifient sensiblement leur rapport au temps et à l’espace, et conséquemment leurs attentes en termes d’accompagnement éducatif ainsi que la posture qu’ils vont adopter face aux professionnels ayant la responsabilité de cet accompagnement. Les institutions, les services et les professionnels doivent donc envisager leur intervention dans une dynamique proactive.

Le service d’investigation éducative (SIE) du centre Georges Devereux propose un espace de rencontre avec les MNA, dans le cadre de mesures judiciaires d’investigation éducative (MJIE) ordonnées par les juges des enfants qui, grâce à la présence d’un médiateur ethno-clinicien et d’un interprète, peut permettre non seulement d’effectuer une investigation de la situation du jeune mais également d’aider ce dernier à élaborer sur son parcours migratoire, à partir de ses besoins et ses envies. Pour cela, le centre s’appuie sur la clinique ethno-psychiatrique qu’il associe à une approche de l’attachement social, au sens de Bruno Latour 31, c’est-à-dire ce qui rattache l’individu au monde, « ce qui l’émeut, ce qui le met en mouvement. »

31  Latour B. Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement. In : Micoud A., Peroni M.

Ce qui nous relie. La Tour d’Aigues : Éd. de l’Aube, 2000, p. 189-208.

Mis à part le cas particulier de territoires comme celui du Pas-de-Calais où l’existence de regroupements de migrants appelle à la nécessité de « maraudes » pour aller au contact de ces jeunes (voir la fiche dispositif de la Maison du jeune réfugié de Saint-Omer), l’entrée en relation avec ces jeunes ne va pas de soi. Il convient de travailler à la construction et à la proposition d’espaces, de lieux et de temps où la rencontre est possible. Cela passe notamment par le recours à des services d’interprétariat, pour évacuer tout malentendu ou incompréhension possibles entre les professionnels et les jeunes. Mais au-delà, il s’agit bien ici d’envisager le rapport subjectif au temps et à l’espace du jeune – rapport façonné tout autant par son projet migratoire initial que par le parcours qu’il a effectué et les événements contingents qui ont pu l’affecter – pour construire un cadre propice à la rencontre et à l’établissement d’une relation de confiance, socle indispensable à la mise en place d’un accompagnement éducatif.

Cependant, que cela soit en vue de proposer un cadre de rencontre adapté ou en vue d’animer ensuite la relation, ces différentes tâches appellent des pratiques pour lesquelles les professionnels du secteur de la protection de l’enfance n’ont pas tous ni les dispositions, ni les compétences, ni les savoirs.

Les travaux de sociologie de l’action publique et du travail social ont montré l’importance, pour maintenir une certaine cohérence et efficience dans un secteur d’action publique, de stabiliser et partager entre les acteurs des principes éthiques (système de valeurs normatives proposant une représentation stable des problématiques du public, de l’action à mener auprès de lui et des conditions dans lesquelles elle doit se dérouler) et des principes techniques (les savoirs et les pratiques mobilisés pour l’action). Comme nous l’avons dit, les principes éthiques concernant l’action publique en direction des MNA sont fluctuants et encore en débat. À cela s’ajoute le fait que les principes techniques adaptés aux particularités du public (étranger, migrant et isolé) sont dans une large part différents de ceux habituellement mobilisés par les professionnels de la protection de l’enfance (essentiellement de formations d’éducateurs et d’assistants sociaux).

Alors que les éducateurs de l’ASE ont développé un ensemble de compétences tournées autour du travail avec l’autorité parentale et du rappel aux règles de vie collective, ces deux éléments sont peu présents dans la problématique de ces jeunes (de l’avis général, les comportements de ces jeunes au sein d’une collectivité ne posent pas de problèmes majeurs) ou existent sous une autre forme (l’absence, au moins présenciellement, de l’autorité parentale appelle à travailler différemment la question du rapport aux parents – voir collectif Babel,

« L’accueil des MNA : comment travailler avec des familles à distance ? »).

Cependant, d’autres aspects, pour lesquels les professionnels en question n’ont pas forcément acquis de savoirs ni développés de pratique, sont à travailler : l’accompagnement aux démarches administratives, la compréhension des différences et décalages interculturels, la gestion d’un trauma potentiel lié au parcours migratoire, etc.

Comme le montre la contribution de l’équipe scientifique de l’étude Namie, les connaissances issues des champs de la transculturalité et de l’interculturalité sont primordiales pour affiner les outils et développer des pratiques permettant de percevoir plus précisément et finement la souffrance psychique éventuelle de ces jeunes. L’un des enjeux est ainsi de réussir à déterminer ce qui relève

« du pathologique et du normal », alors que la méconnaissance de la culture de l’autre peut brouiller cette distinction et amener les professionnels à interpréter les signaux somatiques et/ou comportementaux comme des expressions courantes et bénignes dans ce qui est conçu comme « la » culture du jeune.

Au-delà des difficultés à bien distinguer les éléments problématiques des différences culturelles, la teneur du suivi éducatif et son intensité sont également à prendre en considération. L’étude Minas de Daniel Senovilla Hernández32 montre une très grande hétérogénéité dans l’accompagnement et le suivi éducatifs de ces jeunes, avec pour incidence « la mise en œuvre de pratiques hétérogènes dont le niveau de qualité résultait dans une large mesure du dispositif dont elles dépendaient. Les jeunes rencontrés lors de l’enquête de terrain soulignaient la faiblesse de leurs liens avec leur référent de l’aide sociale à l’enfance, en résumant la teneur de leur relation à un suivi uniquement formel et administratif. Cette tendance a été confirmée par plusieurs professionnels déplorant la faible disponibilité des éducateurs référents relevant des services administratifs. Pour pallier les contraintes financières, organisationnelles, hiérarchiques et politiques et tous les éléments conjoncturels plaçant l’intérêt des institutions en contradiction avec l’intérêt des mineurs isolés pris en charge, les travailleurs sociaux interrogés ont témoigné devoir parfois “bricoler intelligemment” et innover pour s’extraire d’une pratique institutionnalisée et standardisée. »

Cet éloignement ou cette faible disponibilité des référents de l’ASE les amène à hiérarchiser leurs tâches auprès de ce public. Ainsi, il peut arriver que le suivi dont ils devraient bénéficier soit réduit à la portion congrue sur certains aspects. Les travaux du Dr Baudino et al. sur la santé des MIE accueillis en Gironde entre 2011 et 2013 montrent que la dimension sanitaire n’est pas jugée essentielle par les services de l’ASE, alors que ces jeunes peuvent être porteurs de pathologies potentiellement graves, et qu’il est indispensable d’effectuer au plus vite un bilan médical – et que lorsqu’elle est présente dans les rapports de l’ASE, « cela se limite le plus souvent à mentionner la fréquence élevée des psychotraumatismes, sans plus entrer dans les détails. »

Un bilan exhaustif et détaillé des besoins de ces jeunes en termes de santé (physique et psychique), d’apprentissage de la langue et de formation scolaire, de sécurisation du statut (et donc d’accompagnement aux démarches administratives de régularisation), et de maintien ou de reprise des liens familiaux doit donc être effectué dans les premiers temps de la prise en charge de ces jeunes, afin de dessiner avec eux les contours de leur PPE (articles

32  Op. cit.

L. 223-1-1 et D. 223-15 du CASF) 33. Lors de la prise en considération des besoins de ces jeunes définis par le texte cité plus haut, il apparaît également important que le professionnel en charge de ce projet réfléchisse avec le jeune à son rapport subjectif au temps et à l’espace, pour envisager précisément ce qu’est son projet migratoire (voir collectif Babel « Pour une prise en compte du projet migratoire… »).

Plus globalement, il apparaît que les MNA sont peu impliqués dans le travail concerté autour de leur PPE, et que peu d’outils sont mobilisés et élaborés pour leur permettre de mettre en œuvre un projet personnel, de formation et d’insertion professionnelle qui soit solide et étayé. L’accompagnement des MNA devant s’inscrire dans une approche globale, et non uniquement professionnelle, il faut selon l’Uniopss penser des accompagnements différents, centrés sur les compétences personnelles, relationnelles, sociales et professionnelles de chaque jeune pour lui permettre d’accéder à l’autonomie.

L’Uniopss relève également de fortes incohérences entre les territoires dans la délivrance d’autorisations provisoires de travail, freinant les projets des jeunes en termes de formation.

Par ailleurs, la France, signataire de la Cide, est tenue de garantir aux mineurs isolés, quelle que soit leur nationalité, leur origine et leur parcours, l’accès aux mêmes droits que ceux résidant sur le territoire français. Les contributions de ce dossier thématique permettent de questionner la réalité et l’effectivité de ces droits pour les MNA et laissent entrevoir de nombreuses améliorations indispensables à une prise en charge conforme à leur meilleur intérêt et à leurs besoins fondamentaux (voir la contribution du Défenseur des droits).

Les impératifs et les vicissitudes de l’accompagnement