• Aucun résultat trouvé

Images de rétrécissement ou d’élargissement de l’espace

CHAPITRE I : Poétique de l’opposition et plénitude impossible

I.4 Images de rétrécissement ou d’élargissement de l’espace

Les images matérielles élaborées par l’imagination créatrice de notre poète accordent un rôle important à la représentation de l’espace et aux symboles relatifs.

Dans la conception du poème comme « état naissant d’une plénitude impossible », les images qui opèrent des transformations de l’espace apportent une contribution essentielle, par leur dynamisme et leur pouvoir d’évocation. Dans les poèmes étudiés, nous rencontrons des images de changement de l’espace, à travers soit un rétrécissement, soit un élargissement de l’espace.

Ainsi avions-nous cru réincarner nos gestes, Mais la tête niée nous buvons une eau froide, Et des liasses de mort pavoisent ton sourire,

Ouverture tentée dans l’épaisseur du monde. (D, p. 63)

La froideur de l’eau est synonyme du manque de vitalité, voire de vie même, vu que « des liasses de mort pavoisent » le sourire de Douve. Une fois l’eau froide bue, la mort commence à couler de la bouche de Douve, faisant appel à une image antérieure, celle du froid qui saignait sur les lèvres de Douve109. Dès lors, nous pouvons considérer cette eau froide comme un sang froid. Or, ce qui est intéressant dans cette strophe n’est pas seulement l’interprétation de la substance froide de l’eau,

107 Giguère, op. cit., p. 91.

108 Voir G. Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, op. cit., p. 199.

109 Voir p. 22.

39 mais l’« ouverture tentée », par l’intermédiaire de cette froideur, le chemin que cette eau froide trace dans son passage à travers un monde épais et gluant, deux qualités qui renvoient respectivement au monde souterrain et au sang. Ainsi, l’eau froide qui suscite les « liasses de mort » constitue en même temps un moyen d’évasion d’un monde dense et suffocant, ce qui traduit une tentative d’élargissement d’un espace visqueux.

De même, dans l’image suivante nous assistons à un élargissement de l’espace:

O terre d’un destin ! Une première salle Criait de feuille morte et d’abandon.

Sur la seconde et la plus grande, la lumière

S’étendait, nappe rouge et grise, vrai bonheur. (D, p. 95)

En effet, l’image centrale de cette strophe s’appuie sur une transition d’un espace étroit à un espace ouvert. Plus précisément, dans les deux premiers vers nous avons l’image d’une « sale », d’un endroit qui crie « de feuille morte et d’abandon », ce qui symbolise le vide et l’obscurité. Or dans les deux vers suivants, nous sommes transportés dans un endroit plus ouvert, une salle « plus grande », pleine de lumière et de « vrai bonheur ». Cette altération d’espace traduit en outre une transition du souterrain à la surface de la terre, où prédominent le rouge brûlant de la luminosité vive du soleil et le gris froid des pierres. Par conséquent, cette transition ambivalente désigne le passage d’un lieu clos à un lieu ouvert.

Dans le poème « Le lieu des morts » (PE, p. 205), Bonnefoy reprend l’image de Phénix :

Phénix a-t-il construit pour eux un château, Dressé pour eux une table ?

Le cri de quelque oiseau dans le feu de quelque arbre Est-il l’espace où il se pressent tous ?

Dans ces vers, l’image de Phénix s’appuie non sur une renaissance, mais sur un rétrécissement de l’espace. En particulier, Phénix paraît avoir construit pour les morts un château, à savoir un édifice encore plus spacieux qu’une maison, apparemment pour les abriter, vu qu’il a également « dressé pour eux une table ». Le château « donne une impression de sécurité, comme la maison, en général, mais une

40 sécurité affectée d’un quotient élevé. Il est un symbole de protection »110. Or, dans les vers suivants, le château ne constitue pas un abri, ni une demeure confortable, mais plutôt un « espace où ils se pressent tous », autrement dit, un lieu confiné et, par extension, une sorte de prison.

L’analyse des images réfutées par une image opposée révèle une tentative continuelle de naissance et d’achèvement d’images matérielles qui, cependant, reste impossible. Les deux pôles opposés entre qui oscillent ces images, créent une base fertile pour l’imagination du lecteur, qui se trouve épris par le faisceau d’images successives que les vers éveillent chez lui. Ainsi, au terme de ce premier chapitre, l’impression qui se dégage est que la transition d’une image à une image opposée, soit à travers un renversement soudain, ou d’une métamorphose, n’est qu’un voyage sans destination précise, ce qui traduit une intention du poète de faire rêver des images qui ne suivent pas la voie commune.

110 Dictionnaire des symboles, op. cit., « château ».

41

CHAPITRE II

L’imaginaire de l’inaccompli.

42 Dans le chapitre précédent, nous avons étudié les images qui oscillant entre deux pôles opposés sont finalement réfutées. Dans ce chapitre nous allons étudier des images qui restent inachevées à travers, d’une part, des éléments désignant l’infini, l’intemporalité, le refus de l’achèvement de leur action ou des éléments évoquant une décomposition. D’autre part, nous allons traiter des images qui restent inaccomplies à cause d’une progression vers l’imperfection ou même le néant, de la symbiose de plusieurs éléments psychanalytiques ou du changement de l’élément principal, et, finalement, à cause de l’interruption de l’image initiale par une autre.

II.1 Images de l’infini ou de l’intemporalité.

Une des notions-clés primordiales dans l’étude de la poésie de Bonnefoy est celle de vrai lieu. En effet, l’écriture poétique devient quête du vrai lieu, de cet espace-temps où le réel est perception immédiate, que l’on ne peut plus approcher.

Bonnefoy lui-même définit le vrai lieu comme « fragment de durée consumée par l’éternel », ainsi que comme « l’universel qui est en chaque lieu dans le regard qu’on en prend, l’usage qu’on peut en faire »111.

Un premier type d’images inachevées est celui où l’image proposée par Bonnefoy renvoie à l’infini, à l’intemporalité ou à la réfutation de l’accomplissement du sens de l’image. Étant donné que cette catégorie comprend un grand nombre d’images, nous allons limiter notre étude aux plus représentatives :

Tu es seul maintenant malgré ces étoiles, Le centre est près de toi et loin de toi,

Tu as marché, tu peux marcher, plus rien ne change, Toujours la même nuit qui ne s’achève pas. (HRD, p. 120)

L’imagination poétique construit dans ces vers un lieu plutôt désertique où la lumière des étoiles est si faible qu’elle n’y ajoute aucun élément de vitalité. Douve paraît être la seule présence dans ce désert, tandis que l’espace-temps n’a plus de sens, car Douve marche, mais sans avancer, et la nuit qui progresse « ne s’achève pas ». Cet inachèvement renvoie à une obscurité, qui non seulement impose le noir de la nuit

111 Y. Bonnefoy, L’Improbable et autres essais, op. cit., p. 128.

43 mais prédomine dans le temps et l’espace, sans permettre par conséquent au moment projeté d’atteindre son accomplissement.

Dans les deux dernières strophes du recueil Dans le leurre du seuil, les mots, associés à l’image céleste, relèvent à la foi du fini et de l’infini, unifiant ainsi le globe terrestre et la sphère céleste selon l’analyse de Giguère112 :

Les mots comme le ciel Aujourd’hui,

Quelque chose qui s’assemble, qui se disperse.

Les mots comme le ciel, Infini

Mais tout entier soudain dans la flaque brève. (DLS, p. 332)

Les mots ont, en effet, une présence infinie qui pourtant s’estompe et devient une flaque. Pour Bonnefoy, les mots sont présentés dans ces vers comme les étoiles et les nuages du ciel qui s’assemblent et qui se dispersent. La flaque dans ces vers est un instrument d’illusion : « elle permet à l’éternité de prendre forme en tant que reflet.

Dans le temps mort qui stagne, la couleur de l’éternité peut se recueillir à travers son reflet immobile »113. Ainsi, à la dernière page de Dans le leurre du seuil, c’est dans une « flaque brève que l’infini du ciel vient se mirer ». On comprend alors que leur présence n’est pas stable, ce qui nous permet de suggérer qu’elle subit une sorte de dilatation, ce qui conduit l’image à une mise en suspens.

Or, pour D. Leuwers, « les mots peuvent être les témoins de l’infini mais celui-ci perd toutes ses connotations célestes dès lors qu’il se réduit à des pierres qui, en le déchirant, attestent le primat de la terre, ou qu’il s’assemble tout entier dans la flaque brève »114. Le ciel immense et « infini » s’accumule soudainement dans une flaque, qui fait penser à une sorte de miroir dont la surface n’est pas limpide, ni claire comme celle des miroirs rencontrés dans d’autres poèmes de Bonnefoy. Ainsi, cette crispation de l’infini du ciel nous offre une image inachevée.

112 Voir, Giguère, op. cit., p. 106. En particulier, Giguère précise « ces deux sphères s’unissent entre elles dans une sorte de construction en abîme, le ciel étant dans la première strophe synonyme du fini qui s’enfonce dans l’infini de la seconde strophe. La dernière strophe prolonge cet enracinement, ou cette plongée, en introduisant le “tout entier” entendons l’infini, “dans la flaque brève”, le fini » ; ibid.

113 G. Gasarian, op. cit., p. 83.

114 D. Leuwers, Yves Bonnefoy, Amsterdam, Rodopi, 1988, p. 42.

44 L’image de la « nuit interminable » revient dans le poème « L’ordalie » (HRD, p. 137) :

J’étais celui qui marche par souci

D’une eau dernière trouble. Il faisait beau Dans l’été le plus clair. Il faisait nuit De toujours et sans borne et pour toujours.

L’image centrale de ces vers ne s’appuie pas tant sur l’opposition entre la clarté de l’été et l’obscurité de la nuit, que sur le caractère infini de cette nuit. En effet, au lieu de céder sa place à la lumière du jour, la nuit persiste « sans borne et pour toujours » laissant, par conséquent, la durée nocturne inaccomplie. L’image aquatique, associée à celle de la nuit, détermine l’espace d’une eau dont la combinaison avec l’élément nocturne compose une image d’une eau sombre et calme, voire dormante, prête à tout avaler et absorber :

Souvent dans le silence d’un ravin

J’entends (ou je désire entendre, je ne sais)

Un corps tomber parmi les branches. Longue et lente Est cette chute aveugle ; que nul cri

Ne vient jamais interrompre ou finir.

Je pense alors aux processions de la lumière Dans le pays sans naître ni mourir. (HRD, p. 128)

La première strophe reflète l’image d’une chute prolongée, lente et aveugle qui présente toutes les caractéristiques de la chute imaginaire dans l’eau115. Selon Bachelard, l’image d’une chute « pure » est rare116, ce qui est bien le cas dans ces vers et surtout dans la première strophe où la chute parait «longue et lente», mais aussi aveugle, afin de nous fait sentir la profondeur, la douleur de cette chute, une chute qui, par extension, se fait sentir plus pesante, plus lourde et incontrôlable. On constate également que la chute n’est pas accompagnée de cri, ce qui fait que nous avons une chute silencieuse, muette. D’habitude, le cri manifeste le point culminant d’un désir, d’une force, d’une douleur, recevant les traits d’une lame, car il s’agit d’un son

115 Voir G. Bachelard, L’Eau et les Rêves, op. cit., pp. 97-125. En particulier, dans ces vers le poète

reprend l’image du corps qui s’affaisse lentement parmi les branches et le feuillage des arbres, image pareille à celle que nous avons déjà étudiée à la page 29 du présent mémoire : « Blessée confuse dans les feuilles, /Mais prise par le sang de pistes qui se perdent, / Complice encor du vivre ». (D, p. 43).

116 Voir L’Air et les songes, op. cit., p. 109.

45 perçant117. Pour Bachelard, « le cri est à la fois la première réalité verbale et la première réalité cosmogonique »118. Or, en l’occurrence, le cri reste inerte et il n’interrompt, ni ne perturbe le parcours de cette chute lente, dont la finitude est, de cette façon, laissée en suspens.

Dans la deuxième strophe, l’assimilation de la chute aux processions de la lumière lui ajoute une luminosité paradoxale, puisque la rêverie du poète l’emprunte au « pays sans naître, ni mourir », au pays alors de l’immortalité. Les deux images élaborent ainsi la représentation d’un mouvement vers le bas, vertical et infini qui se révèle éternellement inachevé.

Du ciel inchangé l’errante lumière

Recommencera l’éternel matin. (HRD, p. 148)

Dans ces vers c’est l’image d’un ciel qui semble immobile et « inchangé » qui domine et la lumière qui est censée annoncer l’avènement du jour semble « errante », à savoir comme si elle cherchait son chemin, comme si elle était fortuite, et la seule chose qu’elle a réussie est de recommencer un matin « éternel », sans fin. L’image de l’avènement de la lumière matinale est ainsi laissée en suspens.

Tu croiras renaître aux heures profondes Du feu renoncé, du feu mal éteint.

Mais l’ange viendra de ses mains de cendre Étouffer l’ardeur qui n’a pas de fin. (ibid.)

L’élément principal de l’image reflétée par ces deux distiques est le feu. Plus précisément, la renaissance à partir d’un feu évoqué par le poète nous renvoie à celle du Phénix, le symbole absolu de la renaissance. Or, ce feu n’est qu’un feu « renoncé

», « mal éteint » dont l’ardeur est étouffée par un ange aux « mains de cendre », pourtant sans succès, car cette ardeur « n’a pas de fin ». En d’autres mots, le feu seulement quand il devient cendre peut mener à une renaissance, pour pouvoir donner une nouvelle naissance, alors que la moindre chaleur montre l’existence de vie. Par conséquent, ni l’image de feu, ni l’image de renaissance ne s’achèvent.

117 Selon le Dictionnaire des symboles, le cri peut être maléfique et paralysant, mais il peut aussi bien tuer que confirmer la vie, le cri peut constituer une arme persuasive ou dissuasive ; op.cit., « cri ».

118 L’Air et les songes, op. cit., p. 259.

46 Dans un sens complètement opposé, nous rencontrons des images de cristallisation. Pour Bachelard, « le cristal éveille un matérialisme de la pureté » et voit en lui le resserrement et la condensation de la limpidité qui prouvent que la pierre a atteint la solidité absolue119. Ainsi, les rêveries de cristallisation sont automatiquement des rêveries de solidité excessive, de prise de dureté. Pour Bachelard, « les pierres précieuses sont destinées par leur finesse et leur durée, à représenter en raccourci l’éclat des astres »120. Chez notre poète, nous en trouvons un exemple dans les vers suivants :

N’étais-je pas le rêve aux prunelles absentes Qui prend et ne prend pas, et ne veut retenir De ta couleur d’été qu’un bleu d’une autre pierre

Pour un été plus grand, où rien ne peut finir ? (PE, p. 191)

Dans ces vers, le rêveur s’identifie à un rêve fait d’un regard vide et la seule couleur d’été qu’il retient est le « bleu d’une pierre ». Cette dernière image nous renvoie à la rêverie cristalline des pierres précieuses et, en particulier, à l’image du saphir, qui, selon l’approche bachelardienne, rassemble en elle tout le bleu du ciel121. Pour Bachelard, « il semble que dans le saphir, tout le bleu du ciel vient s’absorber.

Le bleu est en effet primitivement une couleur aérienne. […] Le bleu du ciel venant dans le saphir, il semble qu’un immense espace se glisse, s’enferme dans un espace sans dimension »122. Les dimensions du ciel se reflètent ainsi dans cet été qui devient

« plus grand, où rien ne peut finir ».

Comme nous avons déjà signalé, la disposition graphique des poèmes intitulées « Une pierre » est très particulière : ils sont « centrés » et non « justifiés », en opposition avec la plupart des autres poèmes. Selon Himy, lorsqu’on lit ces quinze textes, on s’aperçoit bien vite qu’ils remplissent une fonction d’épitaphe123 :

Il me disait, Tu es une eau, la plus obscure, La plus fraîche où goûter l’impartageable amour.

119 Voir La terre et les rêveries de la volonté, op. cit., p. 276.

120 Ibid., p. 273.

121 Pour Bachelard, « Dans le règne des rêves, les cristaux sont toujours influencés par des participations aux autres éléments : au feu, à l’air, à l’eau » ; La terre et les rêveries de la volonté, ibid., p. 283.

122 Ibid., p. 286.

123 Voir O. Himy, Yves Bonnefoy, poèmes commentés, Paris, Champion, 1991, p. 78.

47 J’ai retenu son pas, mais parmi d’autres pierres,

Dans le boire éternel du jour plus bas que jour. (PE, p. 201)

Le poème nous met face à une image purement aquatique. En particulier, il nous fait rêver d’un fleuve dont l’eau, bien qu’elle soit obscure, garde une fraîcheur parfaite, reste « la plus fraîche ». Pendant que ce fleuve coule, les pierres retiennent son pas, comme si elles voulaient l’attraper, l’absorber, la boire124. Or, ce « boire » n’a pas de fin, ce qui est n’est pas une surprise, si nous considérons que le fleuve n’arrête jamais de couler.

Il est remarquable, de plus, cette image inachevée du « boire éternel » se reprend dans la partie « Deux couleurs » du recueil Dans le leurre du seuil :

Bois, en reflet.

Aime sur moi, que tu ne peux saisir, D’une bouche sans fin,

La présence immobile de l’étoile. (DLS, p. 273)

Dans ce cas, la soif ne peut être satisfaite par aucun élément nourricier, mais par une lumière fixe, celle de « la présence immobile de l’étoile » qui apparemment se reflète sur la surface du fleuve. En effet, Gasarian affirme que « désirée à travers son reflet, dans le mirage de son intense proximité, l’étoile semble prés d’assouvir la soif qu’elle suscite »125. Or, ce reflet, « en se laissant ‘‘boire’’ à travers l’ ‘‘eau’’ qui en est

‘‘brûlée’’, parvient à donner le goût de la ‘‘présence immobile de l’étoile’’ »126. Du point de vue symbolique, le thème du reflet sert d’image concrète au « leurre » de la présence. À travers son reflet, l’irréel et l’inaccessible, représentés par l’étoile, sont offerts sur le flot. Or, « en cherchant à saisir l’étoile qui se reflète dans l’eau, le poète cherche à se faire illusion sur la nature purement illusoire du reflet »127.

Dans les lignes précédentes, nous avons étudié l’eau comme substance de fraîcheur et de soif insatiable. Dans les vers qui suivent, l’eau nous fait rêver d’une autre substance nourricière :

124 D’ailleurs, l’eau est envisagée par Bachelard comme « le premier substantif buccal » ; L’Eau et les rêves, op.cit., p. 135.

125 G. Gasarian, op.cit., p. 120.

126 Ibid.

127 Ibid., p. 99.

48 liquide est une eau; ensuite toute eau est un lait »128. Dans ce cas, d’une première vue, il s’agit d’un lait qui n’est pas nourricier, mais au contraire ténébreux. Or, malgré sa propriété mortuaire, ce lait est en mesure d’inciter, d’exalter le poète. Ainsi, le liquide devient une vraie nourrice « mais d’immortalité », à savoir d’une vie qui n’a pas de terme, qui ne s’achève pas129.

Les deux images suivantes font penser à la rêverie de la profondeur, élaborée plutôt par des éléments terrestres :

Se penche vers le fond de la lumière.

Sa bêche en prend les gravats

Pour le comblement impossible. (DLS, p. 294)

Dans ces deux strophes, l’image principale est celle de l’homo faber, vu que l’envie d’utiliser des outils pour creuser et traiter la substance des matières est très évidente. Plus précisément, dans la première strophe, la terre est paradoxalement assimilée à « l’inachevable lumière » d’une faux, ce qui éloigne le symbolisme négatif de l’outil de Charon, pour faire dominer le sens d’outil de fauchaison, utilisé non pas pour recueillir le blé, mais l’écume de l’eau, comme s’il voulait ‘nettoyer’ cette dernière de toute substance impure. Or, cette lumière est inachevable, ce qui montre que l’image de fauchaison ne s’accomplit pas.

128 L’Eau et les Rêves, op. cit., p. 135.

128 L’Eau et les Rêves, op. cit., p. 135.