• Aucun résultat trouvé

Chapitre I : Les nouvelles formes d’écriture, vers un changement du statut

A) Une image à double facette

En effet, nous constatons que de nos jours, la société ainsi que les Nouvelles technologies de l’Information et de la Communication entretiennent l’idée d’une image positive et enviable de la profession d’écrivain.

Cette représentation de l’auteur a toujours été une image assez stéréotypée. L’individu de tout temps a constamment entretenu ce cliché : passant de l’image de génie, au rentier ou bien encore à celle de l’être solitaire.

Métier libre, sans contraintes et qui fait rêvé, voilà l’image que l’on peut avoir des écrivains. Cependant, il semblerait que l’avènement du numérique révèle une image à double facette.

• Un statut en dehors des normes : l’image visible de l’écrivain

On constate que l’écriture a toujours été une profession en dehors des normes, présentant souvent l’écrivain comme un homme vivant « d’amour et d’eau fraîche ».

Cette image existe toujours et nous l’avons retrouvé au travers des dires de nos entretiens. Les écrivains que nous avons pu rencontrer nous expliquent que cette image semble être la représentation que notre société en fait, un métier sans réel problème et marginal.

« […] il y a quelques poètes qui sont très riches, je ne citerai pas de noms, mais qui roulent dans de belles voitures, mais ce sont des rentiers, il en existe quelques-uns84 [..] »

« […] il y aura encore des émissions de télé, il y aura toujours des crétins à chevelure qui se feront passer pour des héros romantiques du XIXeme et il y aura toujours des rentrées littéraires…85 »

ou encore :

« […]qu’on arrête de voir une sorte d’espèce de crétins gominés sur les plateaux de télé qui font croire que l’écrivain c’est une espèce d’être…et puis cela pose le statut économique puisque tous les gens qui jouent aux écrivains, qui font les écrivains relayent une espèce d’imaginaire de l’écrivain dans l’opinion publique, sont des gens qui pour la plupart gagnent bien leur vie, qui sont soit éditorialiste, ou autre, cela ne correspond pas du tout à la réalité de ce qu’est l’écriture aujourd’hui86. »

84 Annexe III, Entretien auteur n°2 Benoît Conort, sur la question « Est-ce que vous pensez que le livre

numérique puisse entraîner une certaine « mort » du statut d’écrivain ? »

85 Annexe II, Entretien auteur n°1 Gilles Amalvi, sur la question « Est-ce que vous pensez que le livre

numérique puisse entraîner une certaine « mort » du statut d’écrivain ? »

86 Annexe II, Entretien auteur n°1 Gilles Amalvi, sur la question « L’auteur doit-il s’adapter au support

De plus, on observe que le numérique accélère considérablement cette image du génie et la rend toujours plus médiatique. Ainsi, les nouvelles technologies entretiennent cette vision un peu mystique qu’ont les écrivains avec leurs œuvres. Nous sommes souvent dans une image du paraître et on note que le numérique accentue énormément ce cliché. Nous sommes vraiment dans la représentation du personnage public et qui, entouré des Nouvelles Technologies de l’Information et Communication se voit ainsi exposé à l’ensemble d’un lectorat. Le numérique crée alors cette image lisse et parfaite d’une profession enviée par de nombreux lecteurs.

De plus, les réseaux sociaux y sont pour beaucoup. Ils aident à créer ce que l’on souhaite donner et montrer sur et pour la sphère publique et numérique. Comme certains qui écrivent sous pseudonyme – une expérience faite à peu près dans l’ensemble de la profession d’après Benoît Conort:

« […] on écrit beaucoup sous pseudo c’est tout le problème d’Internet, mais ce n’est pas nouveau ça non plus, il y a tellement d’écrivains qui écrivent sous pseudo, je ne connais pas un écrivain à un moment ou à un autre qui n’ait risqué un truc sous pseudo. Parfois il a honte donc il n’ose pas le dire87. »

Ainsi, les nouvelles technologies permettent de se présenter sous couverture, de montrer qu’une certaine image de soit.

L’image de l’auteur, cette face visible ne montre alors que le côté enviable de la profession : écrire, créer, faire connaître son écriture et réussir correctement dans sa vie. Une image complètement stéréotypée puisque l’on constate que cette situation n’est possible que pour un petit nombre d’entre eux, au contraire la majorité des écrivains ne peuvent vivre de leur plume, c’est malheureusement ce que nous confirme Benoît Conort :

« Moi j’appartiens à une catégorie d’écrivains qui de toute façon ne fera pas de « fric », je ne connais pas un poète qui vive de sa plume réellement. Parfois il vit de sa plume, mais au prix d’ateliers d’écriture, au prix de faire autre chose88 […] »

• Une situation difficile : l’image cachée de l’écrivain

En effet, le numérique joue énormément sur le statut de l’écrivain et accentue cette image enviable de la profession. Certes, il existe de nombreux écrivains dont la situation professionnelle ne semble pas poser de problèmes : ils écrivent, se font publier et peuvent ainsi vivre de leur métier. Cependant, ce n’est pas le cas de tout le monde et on constate qu’un certain nombre d’écrivains ne peut vivre seulement de leur plume.

87 Annexe III, Entretien auteur n°2 Benoît Conort, ibid. 88

Nous sommes donc face à des écrivains multifonction : la situation est telle que ces différentes personnes ne sont écrivains que la nuit ou quand le temps le permet. C’est d’ailleurs le cas de nos deux auteurs rencontrés : Gilles Amalvi et Benoît Conort, tous deux sont écrivains mais ont un autre métier à côté de cette profession. Ainsi, l’un est critique de danse tandis que l’autre est professeur des Universités.

Ces derniers – comme une grande partie de la profession – ont donc un double statut, ainsi « il y a beaucoup de fonctionnaires qui sont écrivains mais parce qu’un écrivain ne peut pas vivre de sa plume89. » En effet, « 98% des auteurs publiés ont un autre métier90. »

Pour remettre cela dans notre contexte de recherche, il est intéressant de montrer que les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ont de plus en plus une implication dans cette situation. Bien sûr, bien avant les nouvelles technologies, beaucoup d’auteurs étaient aussi multifonction : Claudel, Bonnefoy ou encore Duras91, cependant, force est de constater qu’elles accentuent davantage la profession d’écrivain comme une profession à risque.

Mais en quoi ?

Comme dit précédemment, les nouvelles technologies ont suscité de nouveaux formats d’écriture, les réseaux sociaux ou bien les plateformes d’écriture tels que les blogs apportent, dans le milieu du livre le développement même de cette profession. Ainsi, il y a de plus en plus de personnes qui souhaitent se lancer dans cette aventure de l’écriture, cependant il semblerait que la situation ne soit pas si facile que cela et que les chances d’être publié et d’être reconnu sont assez maigres… C’est en tout cas ce que nous explique cet article « Comment les écrivains français gagnent leur vie » :

« Sujet tabou entre tous, le train de vie des grandes plumes françaises reste un secret bien gardé par les grandes maisons de Saint-Germain- des-Prés. En tout, les écrivains vivant de leurs livres ne sont pas plus de cent cinquante92. »

Les nouvelles technologies favorisent une écriture de masse, un flux important d’informations, de textes et d’œuvres et il est alors difficile pour les écrivains de réussir à se démarquer des autres pour se faire éditer et publier.

89 Annexe III, Entretien auteur n°2 Benoît Conort, ibid.

90 ARTUS Hubert, SERVENAY David, « Comment les écrivains français gagnent leur vie » dans,

LE NOUVEL OBSERVATEUR, [http://rue89.nouvelobs.com/2008/11/09/comment-les-ecrivains-francais- gagnent-leur-vie], 9 novembre 2008, consulté le 25 mai 2014, non paginé.

91 D’après Benoît Conort. 92