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CHAPITRE IV : Proposition d’une typologie des images mentales mobilisées dans l’apprentissage en danse

2. L’image du corps

L’image du corps renvoie à la perception qu’on a de son propre corps, la manière dont on le perçoit (Sibony, 2005). D’après Lacan (1949), la fonction de l’image du corps est d’établir une relation de l’organisme à sa réalité. Paturet (1981) précise que nous avons plus souvent une image statique que mobile de nous même, au sens ou nous nous représentons immobile en position anatomique de référence (De face, debout les bras le long du corps).

L’auteur nomme cette dimension immobile du corps « l’image que j’ai de moi et de mon corps ». Cette image comprend deux entités : l’une est le corps extérieur et l’autre le corps intérieur. Lorsque nous parlons d’image du corps, l’habitude oriente l’imagination vers le corps extérieur, mais se constitue aussi une image du corps intérieur.

Le corps extérieur se construit grâce au reflet du corps dans le miroir. Cette étape est importante pour que l’enfant puisse se localiser dans l’espace et dans le temps (Paturet, 1981)

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mais aussi permet de s’identifier visuellement (Lacan, 1949). Il semble toutefois que

« l’image que j’ai de moi et de mon corps », avant d’être visuelle soit surtout tactile.

Le corps intérieur est le lieu des sensations cénesthésiques. La cénesthésie est définie comme « la sensibilité organique, émanant de l’ensemble des sensations internes, qui suscite chez l’être humain le sentiment général de son existence indépendamment du rôle spécifique des sens » (Ricoeur, 1949 cité par Paturet 1981). D’après Paturet (1981), « être touché » participe à la formation de l’image du corps.

Pour Lacan (1949), le corps interne est un « corps morcelé » tant que le corps extérieur n’y est pas associé. En effet, l’enfant commence par se sentir, se ressentir, notamment sur des parties spécifiques du corps (bouche, pouce…) avant de se voir et de pouvoir se représenter visuellement. Ainsi, l’image du corps se construit graduellement.

L’image du corps est une construction variable, puisqu’elle s’enrichit et se nourrit sans cesse d’échanges perpétuels avec le milieu extérieur et d’expériences induites par ses interactions. La construction de l’image du corps s’établit dès la toute petite enfance, par intégration dans le champ de la conscience des parties du corps, et permet à l’individu de se sentir soi, d’être soi, quelles que soient l’évolution des années et les tribulations du corps (Paturet, 1981). De plus, la construction de l’image du corps est indissociable de l’affectivité, c’est-à-dire du rapport que nous entretenons avec notre corps (Pérez & Thomas, 2000). Nous élaborons cette image à partir des expériences, c’est-à-dire que nous accordons à chaque partie du corps une valeur différente en fonction du vécu personnel. L’exécution de mouvement produit des modifications du corps perçues par le système sensitif et donnant lieu à des sensations multiples et variées (visuelles, auditives, kinesthésiques, tactiles, etc.). C’est dans ces échanges incessants entre l’environnement, le corps en mouvement et les informations sensorielles induites qu’il est possible de percevoir son corps, de se créer une image de son corps. Ainsi, l’image du corps est une intégration subtile des données biologiques et des données affectives et émotionnelles (Pérez & Thomas, 2000).

Le Boulch (1995) distingue le schéma corporel de l’image du corps. Le schéma corporel correspond au versant sensori-moteur de la réponse motrice alors que l’image du corps correspond au versant cognitif du stockage de l’information extéroceptive et intéroceptive devenue consciente.

De fait, l’image du corps se nourrit des sensations qui permettent la connaissance du corps comme objet, sensations qui sont enregistrées dans la mémoire qui réfère aux expériences antérieures vécues par le corps.

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2.2. Place de l’image du corps en danse

D’après Paturet (1981), il y a très souvent un décalage entre l’image qu’on a de soi et l’image de notre corps dans un miroir. Selon lui, 99% des personnes interrogées dans son étude affirment leur surprise devant l’image qu’elles découvrent d’elles-mêmes. Ces résultats montrent, qu’en général, chacun à une image personnelle de son corps ou d’une partie de celui-ci, qui est différente de l’image qu’il donne.

En danse, il s’agit de réduire ce décalage entre l’image reflétée dans le miroir et l’image qu’on a de soi. En effet, c’est par la connaissance de l’image du corps que l’individu acquiert la maîtrise de son corps, de ses mouvements, de ses comportements. Cette connaissance de l’image du corps se construit d’une part à partir de l’exécution de mouvements et de ce qu’on nomme en danse la conscience du corps, et d’autre part à partir de l’utilisation du miroir.

En effet, pour danser, il faut prendre conscience de son corps, en explorer les différentes parties, pour l’ouvrir sur tous les possibles du mouvement (Peix-Arguel, 1980). La conscience du corps est considérée comme l’expérience des moyens personnels de l’action, elle est le résultat de l’expérience corporelle, une expérience réorganisée en permanence face à la nouveauté (Vayer & Roncin, 1999).

D’après Faure (2000a), le miroir est un outil privilégié du retour réflexif.

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas par narcissisme que le danseur utilise le miroir, mais en tant qu’outil ou de public potentiel (Guisgand, 2002a). Il permet, pour les apprenants, de juger le corps dansant. Il ne s’agit pas ici d’évaluer une représentation subjective mais l’exacte image reflétée dans le miroir. Cet état des lieux immédiat permet de comparer les sensations assemblées en modèle interne au résultat visible (Cadopi et Bonnery, 1990). De plus, Le Boulch (1995) précise que la représentation mentale permet d’associer l’image visuelle du corps aux informations kinesthésiques rendues ainsi localisables. C’est à partir de cette représentation mentale que pourront être organisés les programmes moteurs qui serviront de support à l’apprentissage de certaines habiletés motrices.

Ainsi, l’apprentissage de la danse passe par un processus où l’image du corps vue de l’intérieur doit coïncider avec l’image vue de l’extérieur (Faure, 2000a). En effet, le danseur qui apprend doit faire coïncider des sensations proprioceptives avec une image visuelle exacte du mouvement à réaliser. Pour cela, il va devoir construire une correspondance entre l’image proprioceptive et l’image visuelle qu’il a de son corps en mouvement, afin de les faire coïncider avec la forme à reproduire (Pailhous, 1985 ; Cadopi, 1992).

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De fait, l’enseignement de la danse est reconnu comme une éducation sensorielle qui est au centre de la construction de l’image du corps (Pérez & Thomas, 2000 ; Dereux, 2003). En effet, la danse accorde une place centrale au corps et, de fait, participe à la construction de l’image du corps du danseur.