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ii. Influences de l’âge sur la fidélité à la marque

Dans le document Effets masqués en analyse prédictive (Page 147-153)

B. Double positionnement

C.1. ii. Influences de l’âge sur la fidélité à la marque

Les effets d’âge couvrent une large gamme d’impacts menant à une recherche d’information limitée. Parmi eux on peut compter l’âge biologique et le déclin physique, une limitation de l’espace géographique de recherche, mais aussi un déclin cognitif limitant le nombre d’options traitées, une plus grande prudence dans la prise de décision et une plus grande

sélectivité socio-émotionnelle (Lambert-Pandraud, Laurent et Lapersonne, 2005). Deux facteurs affectifs liés à l’âge pourraient aussi jouer en faveur d’une plus grande fidélité à la marque : l’attachement (Kleine et Baker, 2004) et la nostalgie (Holbrook, 1989).

Cependant, nous soutiendrons ici que, même si le facteur de nostalgie est davantage visible avec l’âge, il s’agit en réalité d’un facteur lié à la cohorte. En effet, la nostalgie porte sur des objets, ici les marques, qui dépendent entièrement d’une expérience vécue à un âge et une période donnés. Typiquement, les marques que l’on a connues durant sa jeunesse ou à un moment clef de son cycle de vie. Nous les retraiterons donc plus en détail dans la section C.2. sur l’impact de la cohorte sur la consommation.

Les quatre principaux liens entre l’âge et la fidélité à la marque restants sont donc : - le vieillissement biologique,

- le déclin cognitif,

- l’aversion au changement, - la sélectivité socio-émotionnelle, - l’attachement.

Nous allons ici reprendre chacun d’entre eux pour en détailler le contenu théorique.

Le vieillissement biologique

Le vieillissement, phénomène continu décrit comme un « déclin des capacités physiques » (Barrère, 1992), a été avancé pour expliquer la réduction du nombre de distributeurs visités (ici les concessionnaires) par les personnes plus âgées. L’argument consiste simplement à dire qu’il est plus difficile pour ces personnes de se déplacer. Cependant, parmi les personnes âgées de 60 à 74 ans19, plus de 80% sont tout à fait mobiles, alors qu’il en va de même pour seulement 34% des personnes âgées de 80 ans et plus (David et Sarzec, 1996). La contrainte physique pourrait ainsi réduire le nombre de distributeurs visités pour les personnes très âgées (75 ans et plus), mais cette explication semble moins pertinente pour les jeunes seniors (entre 60 et 74 ans). Dans le cadre de la fidélité à la marque, la réduction du nombre de distributeurs potentiels joue en défaveur du nombre de marques incluses dans l’ensemble de considération,

et donc en faveur de la fidélité aux marques prises en compte. Spécialement sur le marché automobile européen, dans lequel la plupart des concessionnaires sont encore mono-marque.

Le déclin cognitif

Lié à la mémoire de travail (Park et Gutchess, 2004) et l’intelligence fluide (Chasseigne, Mullet et Stewart, 1997 ; Chasseigne et Mullet, 2004), le déclin cognitif a été évoqué comme un antécédent potentiel de la réduction de la recherche d’information par les consommateurs plus âgés, car la mémoire de travail et l’intelligence fluide sont jugées nécessaires pour prendre en considération et comparer de nouveaux modèles dans le cadre de la consommation de biens durables aussi complexes que l’automobile.

Plusieurs tests psychométriques convergent pour mettre en évidence ce déclin cognitif (Salthouse,1991). Ces conclusions sont renforcées et étayées dans des études récentes mettant en œuvre des techniques d’imagerie neurologique (Heden et Gabrieli, 2004) pour montrer que le déclin lié à l’âge prend place dans le cortex préfrontal dorsolatéral, qui est en charge de fonctions comme la mémoire de travail (MacPherson, Philips et Della Sala, 2002). La mémoire de travail opère l’encodage de l’information en direction de la mémoire de long terme, mais aussi le traitement conscient de l’information concernant les évènements récents (Park et Gutchess, 2004). Les données neurologiques mettent en évidence des difficultés particulières des personnes âgées dans les tâches de maintenance et de manipulation de l’information dans la mémoire de travail (Yoon et Cole 2006, p13).

À partir de l’âge de 60 ans, les personnes peuvent aussi subir une réduction de leur mémoire explicite, forme de mémoire qui rend possible le traitement conscient de l’information et de ses sources (e.g., se souvenir à quel constructeur correspond une publicité et quand elle a été vue). Par exemple, le rappel d’une série de mots ou d’un texte décline significativement avec l’âge (Zelinsky et Burnight, 1997). La mémoire de travail permet aussi aux gens de manipuler plusieurs éléments d’information simultanément et de les comparer (Mather, 2003). Du fait de ce déclin de la mémoire de travail, les personnes plus âgées peuvent éviter certains efforts cognitifs, tels que la comparaison de trop d’alternatives de choix, et plutôt privilégier des heuristiques simples. Par exemple, Cole et Blasubramanian (1993) mesurent la préférence pour la première option satisfaisante lorsqu’un problème se complexifie.

Ces aspects du déclin cognitif pourraient avoir un impact sur les variables que nous analysons. Dans le cas du choix complexe d’un bien durable, les consommateurs pourraient décider de se restreindre aux choix entre des alternatives faciles d’accès, faisant appel à des connaissances déjà intégrées depuis longtemps.

De surcroît, l’âge est négativement corrélé avec l’intelligence fluide (intelligence requise pour traiter de nouveaux problèmes ou de nouvelles situations), mais l’intelligence cristallisée (intelligence basée sur l’expérience) reste intacte (Salthouse, 1991). Le déclin de l’intelligence fluide est continu, mais il franchit des seuils de performance. Ces seuils d’âge ne sont pas universels. Ils dépendent des individus et de leur vécu. Chasseigne, Mullet et al. (1997, 2004) font l’hypothèse d’une « diminution graduelle de la flexibilité cognitive chez les adultes âgés », particulièrement dans des cas de relations inversées entre des indicateurs et leurs conséquences. Sur le marché de l’automobile, si les prix sont gonflés pour permettre de plus gros rabais, les consommateurs âgés seraient moins capables d’utiliser cette relation inverse, même avec une aide visuelle. Par contre, leur expérience (intelligence cristallisée qui reste elle intacte) peut leur permettre de conserver des réflexes et des raisonnements acquis de longue date.

Le déclin de la mémoire de travail et de l’intelligence fluide devraient entraîner une réduction du nombre de marques, de modèles et de concessionnaires pris en considération. Racheter un véhicule d’une même marque peut alors devenir un choix heuristique (Jacoby et al. , 1978).

L’aversion au changement

L’aversion aux risques liés au changement, même si la situation présente est loin d’être idéale, est un phénomène bien documenté en gérontologie. Wallach et Kogan (1961) et Botwinick (1966) demandent à des sujets de choisir entre deux options : rester à un poste sûr bien que médiocre, avec des perspectives d’augmentation et d’évolution très limitées, ou choisir une position qui pourrait mener avec une probabilité p à une augmentation de salaire et avec une probabilité 1-p à de mauvaises conditions financières. Les sujets âgés ont une probabilité plus marquée de choisir de ne pas changer, quelle que soit la valeur de p (Botwinick ,1978). Botwinik (1978) suggère deux hypothèses pour expliquer cette résistance au changement. Premièrement, étant donné leur déclin intellectuel, les personnes âgées pourraient vouloir éviter de prendre des décisions. Les résultats précédents corroborent cette hypothèse. Ensuite,

les personnes plus âgées pourraient avoir tendance à vouloir minimiser le risque lié aux décisions qu’ils prennent, spécialement quand ce risque est financier. Cependant Botwinick (1978) remarque aussi que lorsque l’option de statu quo n’est pas disponible ou que l’option complexe est plus rémunératrice (Okun et Elias, 1977), les sujets âgés ont une fonction d’utilité semblable à celle des plus jeunes. Des études de laboratoire récentes dans lesquelles les sujets âgés ont à choisir des cartes suivant leur ratio niveau de rémunération / niveau de risque établissent qu’ils ont un comportement proche de celui des sujets plus jeunes (MacPherson, Phillips, et Dalla Sala, 2002).

Ainsi le comportement d’achat des personnes plus âgées peut être influencé par cette aversion au changement (plus qu’au risque), qui les mènerait à répéter leurs achats précédents du moment qu’ils en ont été satisfaits. Rester engagé avec la même marque ou le même concessionnaire est une manière d’éviter la complexité d’une nouvelle décision, tout comme racheter une nouvelle version d’un modèle que l’on connaît.

Sélectivité socio-émotionnelle

La théorie de la sélectivité socio-émotionnelle avance que les personnes âgées qui perçoivent leur horizon temporel comme plus limité attachent plus d’importance à leurs sentiments et à leurs émotions et ont moins tendance à s’intéresser à la nouveauté. Ils donnent la priorité à des contacts émotionnels proches et familiers, plutôt qu’à des contacts plus récents, plus informatifs (Carstensen, Isaacowitz, et Charles, 1999 ; Isaacowitz, Charles et Carstensen, 2000). Quand on leur demande de choisir pour une activité sociale entre plusieurs compagnies potentielles suivant trois degrés de familiarité à savoir un membre de leur famille immédiate, une connaissance récente ou l’auteur d’un livre qu’ils viennent de lire, 65% des sujets âgés choisissent la personne la plus familière, contre seulement 30% chez les jeunes sujets. Des résultats similaires sont obtenus auprès de jeunes sujets dont l’horizon temporel a été artificiellement raccourci à cause, par exemple, d’un déménagement imprévu à effectuer dans la semaine ou d’une maladie soudaine diagnostiquée comme fatale (Fredrickson et Cartensen, 1990). On peut analyser d’une manière similaire la relation des personnes âgées avec leur concessionnaire traditionnel, avec lequel elles ont établi un rapport de confiance sur des années, particulièrement dans le cas d’un achat aussi important que celui d’un véhicule.

La sélectivité socio-émotionnelle peut aussi biaiser la mémoire des personnes au sujet de leurs choix précédents. Dans une expérimentation, Mather et Johnson (2000) trouvent que les sujets âgés ont plus tendance que les jeunes sujets à préférer mettre en avant les aspects positifs de l’option qu’ils ont choisie plutôt que les aspects négatifs de l’option qu’ils ont rejetée. De même, dans Lambert-Pandraud et al. (2005), les consommateurs plus âgés ont plus tendance à être satisfaits de leurs précédents choix de voitures. Sur une échelle de 1 à 10, les scores élevés (8 et plus) étaient donnés par 56% des jeunes, 67% des personnes d’âge moyen, 78% des jeunes seniors et 86% des seniors âgés. De plus, pour un niveau de satisfaction donné, les personnes âgées ont davantage tendance à considérer la marque précédente, et elle seulement, dans leur achat suivant. Cette tendance à défendre leurs précédents choix reflète leur fidélité plus élevée à la marque et aux concessionnaires.

L’attachement

Un consommateur peut développer un attachement à une voiture, identique à l’attachement que l’on peut porter à toute autre possession matérielle. Cette relation conduirait à racheter cette voiture plutôt qu’à en essayer d’autres. Bien que l’attachement ait initialement été introduit à propos du lien entre les parents et enfants (Bowlby, 1979), il a été appliqué aux consommateurs de tout âge. Dans leur revue de littérature, Kleine et Baker (2004, p.4) définissent l’attachement à une possession matérielle comme « une propriété multi-facettes de la relation entre un individu… et un objet matériel spécifique que l’individu s’est psychologiquement approprié, débanalisé et singularisé au sein d’une interaction personne-objet. » La plupart des caractéristiques de l’attachement définies par Kleine et Baker (2004) peuvent s’appliquer à l’automobile. La voiture peut être considérée comme une possession qui est une part du soi étendu (Belk, 1998). Dans Belk (1988), « l’habillement…, le logement…, et les automobiles sont tous considérés comme une « seconde peau » dans laquelle les autres peuvent nous voir » (p.151), « un individu peut utiliser ses possessions personnelles comme les bijoux, l’automobile, le maquillage, et les vêtements peuvent l’aider à se définir en tant que tel » (p152). De la même manière, la définition formelle de l’attachement, proposée par Ball et Tasaki (1992, p.158) s’applique aussi à la voiture : « la mesure dans laquelle un objet qu’un individu a possédé, souhaite posséder, ou a précédemment possédé, est utilisé par cet individu pour contribuer à sa construction personnelle» . D’après Thomson, McInnis et Park (2005), « des attachements forts se développent au cours du temps et sont souvent basés sur des interactions entre un individu et

un objet d’attachement… Ces interactions motivent la construction de sens et lient de fortes émotions à l’objet d’attachement. » (p78).

Ainsi, à des âges plus avancés, les personnes ont davantage d’attentes ayant une signification émotionnelle car leur horizon temporel est vu comme limité (Fung et Carstensen, 2003) et leurs attachements pourraient amener les utilisateurs à racheter un véhicule de même marque.

Dans le document Effets masqués en analyse prédictive (Page 147-153)