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II En aval : aggravation du régime de l’état d’urgence

Dans le document L’état d’urgence au prisme contentieux (Page 61-79)

L’aggravation quant à elle se lit à trois niveaux principaux : celui de la durée de la prorogation accordée, celui du régime des mesures liées à l’état d’urgence, et celui de la posture du législateur, caractérisée soit par la volonté —bien au-delà de proroger l’état d’urgence— d’introduire des mesures à portée plus large (notamment à l’occasion de la 4ème

loi de prorogation du 21 juillet 2016), soit par —dans un jeu de collaboration ambigu avec le Conseil constitutionnel- de corriger sans cesse le régime juridique de l’état d’urgence.

A – Durée

La question de la durée de prorogation de l’état d’urgence est, d’emblée, une question essentielle —en particulier du point de vue de la problématique du contrôle de l’action gouvernementale et, donc, du rôle des contre-pouvoirs270.

Car l’état d’urgence, par définition, c’est le transfert à l’autorité administrative d’un

266 V. par ex. CE, 8 déc. 2016, n°392427 NOR : INTX1633947L : à propos de l’état d’urgence : « dont l’application fait l’objet d’un contrôle approfondi par le juge administratif, qui s’assure que chacune des décisions prises, dont l’auteur doit préciser les motifs, est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit ». 267 V. dans le présent volume, Stéphanie Hennette Vauchez, Maria Kalogirou, Nicolas Klausser, Cédric Roulhac, Serge Slama, Vincent Souty, « Le contentieux de l’état d’urgence : éléments d’analyse », infra.

268 Conseil d’Etat, Section, 11 décembre 2015, n° 395009 : « 20. Considérant qu’eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté d’aller et venir, une décision prononçant l'assignation à résidence d’une personne, prise par l’autorité administrative en application de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, porte, en principe et par elle-même, sauf à ce que l’administration fasse valoir des circonstances particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de nature à créer une situation d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521 2 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de très brefs délais, si les autres conditions posées par cet article sont remplies, une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde ».

269 V. art. 14-1 de la loi du 3 avril 1955, modifiée par la 4è loi de prorogation du 21 juil. 2016 : « la condition d’urgence est présumée satisfaite pour le recours juridictionnel en référé formé contre une mesure d’assignation à résidence ».

270 Véronique Champeil Desplats, « Le temps de l’état d’urgence » in Stéphanie Hennette Vauchez, Jean-Luc Halpérin, Eric Millard, L’état d’urgence : de l’exception à la banalisation, op cit..

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nombre accru de pouvoirs —dont beaucoup impliquent ou passent part une restriction aux libertés : perquisitions administratives, assignations à résidence et autres restrictions à la liberté d’aller et venir, fermeture de salles de spectacle et de divertissement, interdiction des manifestations et rassemblements… On pourrait dès lors considérer que si le déclenchement de l’état d’urgence demeure une compétence de l’exécutif, sa prorogation doit être le plus précisément circonscrite possible (notamment dans le temps) et donner lieu à un réel contrôle —qu’il soit parlementaire ou judiciaire. De sorte que, le fait même pour le Gouvernement de demander d’emblée, en novembre 2015, une prorogation de trois mois pouvait être considéré comme excessif —ou devant être justifié. Mais de justification il n’y pas eu —et de contestation, pas davantage. Au contraire : la lecture des débats parlementaires révèle que les interventions mettant en cause la durée proposée de prorogation (trois mois en novembre 2015 et juillet 2016) sont demeurées rarissimes. En revanche, nombre de parlementaires sont intervenu-es au cours du processus législatif (que ce soit dans les débats ou par voie d’amendements) pour proposer des durées plus longues –six mois, un an… En réalité, le fait pour certains parlementaires de proposer des durées de prorogation toujours plus longues que celles sollicitées par les projets de loi gouvernementaux aura été une constante de l’état d’urgence 2015-17 : apparemment peu sensibles au caractère dérogatoire ou exceptionnel du régime de l’état d’urgence, certain-es proposaient encore en juillet 2017 que la prorogation soit d’un an…271

L’analyse de la fabrique législative de l’état d’urgence fait d’ailleurs apparaître que cette stratégie parlementaire qui consiste à préconiser des prorogations plutôt plus longues que celles sollicitées par les projets de loi gouvernementaux porte, à l’occasion, ses fruits. Ainsi par exemple, alors que le projet présenté par le Gouvernement en juillet 2016 envisageait une prorogation de trois mois, ce sont six mois qui ont été alloués ; c’est d’ailleurs le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, Pascal Popelin, qui revendique la paternité de cette extension272 —laquelle n’est guère remise en cause, et que certains appellent encore à

dépasser en proposant des durées d’un an ou plus273. Tout ceci est d’autant plus frappant que

ces débats sur les durées de prorogation interrogent la mesure dans laquelle les travaux parlementaires sont le lieu de la justification de l’action publique (et donc, de la responsabilité). Car en effet le plus souvent, personne ne justifie les durées dont il est débattu274. On cherche en vain une justification de l’extension de trois à six mois de la

prorogation votée en juillet 2016 dans l’épais rapport remis par la Commission des lois de l’Assemblée nationale275. A telle enseigne que, pendant longtemps, la formulation la plus

aboutie des justifications à apporter aux délais envisagés de prorogation semble être celle de la députée Marie-Françoise Bechtel qui « approuve la prorogation à six mois » en expliquant que ce délai « a un sens : il nous mène jusqu’aux fêtes de fin d’année » (sic).

271 Voir en ce sens l’amendement présenté en Commission des lois de l’Assemblée nationale par M. Eric Ciotti ou les propos tenus par le député Philippe Gosselin (séance du 5 juillet 2017).

272 AN, Commission des lois, Rapport de Pascal Popelin.

273 V. par ex. à l’AN : Eric Ciotti, Guillaume Larrivé, Valérie Boyer, Marc Le Fur…

274 Sauf erreur, jusqu’à la 4ème loi de prorogation, le seul parlementaire à dénoncer explicitement cette absence totale de justification de la durée de 6 mois de la prorogation votée par la loi du 21 juillet 2016 (et à dénoncer l’instauration d’un état d’urgence permanent) est Pierre Laurent (Sénat, groupe communiste). Par la suite, et notamment lors de la 6ème prorogation qui est combattue, par exemple, par le groupe France Insoumise à l’Assemblée nationale, le débat est un peu plus nourri (et non restreint à ce seul groupe parlementaire).

275 Manuel Valls commente ainsi en séance publique l’extension proposée par la Commission des lois : « c’est une bonne chose » : AN, 19 juillet 2016.

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B - Régime des mesures permises par l’état d’urgence

Là encore, il faut avoir prêté attention à chacune des différentes étapes de la fabrique parlementaire de l’état d’urgence pour prendre la pleine mesure du processus d’aggravations répétée des rigueurs du régime qui s’est déroulé sans être jamais troublé ou interrompu, depuis la 1re à la 6ème loi de prorogation. On essaie là encore de capturer cette logique de

manière visuelle, en proposant le tableau ci-bas qui vise à montrer que le régime juridique applicable aux différentes mesures n’a jamais évolué que dans le même sens tout au long de la période 2015-2017, ie. celui d’une aggravation.

Loi de 1955 Projets du

Gvt Loi 20 nov 2015 Loi 21 juillet 2016 Loi 19 déc. 2016 Loi 11 juil. 2017

Durée Fixée par

loi, non prorogeabl e

3 mois 3 mois 6 mois 7 mois 4 mois (env.)

AR Oui Oui (cond.

assouplies) Oui Oui (maintenu) Oui création et régime AR ultra longue durée

Oui (maintenu)

AR +

astreinte Non 8h/jour 12h/jour Oui (maintenu) Oui (maintenu) Oui (maintenu) AR +

bracelet Non Non Oui Oui (maintenu) Oui (maintenu) Oui (maintenu)

AR + interdiction

contact

Non Oui mais

seulement durant l’AR

Oui au-delà

de l’AR Oui (maintenu) Oui (maintenu) Oui (maintenu)

Perquisition Oui Oui (+

perquisitio n par ricochet juil. 2016) Oui + interruptio n services en ligne Oui + fermeture lieux de culte + interdiction cortèges voie publique Oui

(maintenu) Oui (maintenu)

Perquis +

saisie Non Oui Oui Oui (nouveau régime suite

QPC)

Oui

(maintenu) Oui (maintenu) Perquis +

rétention Non Non Non Oui Oui (maintenu) Oui (maintenu)

Dissolutions Non Oui Oui Oui

(maintenu) Oui (maintenu) Oui (maintenu) Contrôles

identité et fouilles

Non Non Non Oui Oui

(maintenu) Oui (maintenu) Interdictions

de séjour Oui Oui (maintenu) Oui (maintenu) Oui (maintenu) Oui (maintenu) Nouvelle rédaction suite censure CC

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La réalité que cherche à saisir ce tableau, c’est celle qui détermine le fait que le régime de l’état d’urgence tel qu’il a été amendé et façonné au fil de ce processus législatif fait de 6 lois de prorogations est devenu bien plus rigoureux, du point de vue des restrictions aux libertés, que le régime qui préexistait au 14 novembre 2015 –ie. celui qui résultait de la loi du 3 avril 1955 qui n’avait été que peu amendée depuis sa naissance, et essentiellement sur des aspects procéduraux mais guère du point de vue du régime des restrictions aux libertés. En d’autres termes, on a donc abouti à connaître, en ce début de 21ème siècle, un régime

d’exception bien plus rigoureux que celui qui avait été inventé pour faire face à la guerre d’indépendance algérienne. En deçà de cet élément parlant de mise en perspective historique, le tableau permet encore de souligner que, à la suite de chacune des 6 lois de prorogation, le texte finalement voté est bien plus lourd que celui proposé par le Gouvernement : interrogeant à nouveau le rôle de contre-pouvoir du Parlement, ce processus législatif révèle que le régime de l’état d’urgence est toujours systématiquement aggravé —et jamais allégé— par les parlementaires. On peut démontrer ce point en observant plus dans le détail les débats relatifs à certaines mesures-phare de l’état d’urgence.

C - Assignations à résidence

La première intervention du législateur sur ce point était notable dès la définition des conditions dans lesquelles il devient possible d’assigner une personne à résidence ; car en effet, alors que la loi de 1955 ne le permettait qu’à l’égard des personnes « dont l’activité s’avère dangereuse » pour l’ordre et la sécurité publics, elle le permet désormais (loi du 20 novembre 2015), vis-à-vis de « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». La nuance est de taille, comme l’ont fait observer quelques rares interventions de parlementaires, puisque le nouveau critère est bien plus flou et, tout entier fondé sur le « comportement » plutôt que sur des faits tangibles (actions, activités). En cela, le nouveau critère participe d’une forme de rupture avec certains principes centraux de l’Etat de droit (et notamment les principes du droit pénal moderne qui à l’instar des principes de légalité et de nécessité des peines génèrent une exigence particulière de précision des termes de la loi pénale) et d’un affaiblissement corrélatif du contrôle que le juge est susceptible de faire peser sur la légalité des mesures prises sur son fondement276.

En outre, la loi du 20 novembre 2015 crée la possibilité d’assortir la mesure d’assignation à résidence de diverses mesures complémentaires loin d’être bénignes. L’assignation peut ainsi être complétée par une astreinte à demeurer 12h par jour dans un lieu

276 Voir aussi les analyses très riches de Maxence Chambon, « Une redéfinition de la police administrative », in Julie Alix, Olivier Cahn dir., L’hypothèse de la guerre contre le terrorisme, Dalloz, 2017, p. 133, p. 137 qui insiste d’une part sur le manque de rigueur de cette référence aux « raisons sérieuses de penser » : « avec ce standard, le comportement individuel est réputé constituer une menace à l’ordre public, laquelle sera présumée et donc seulement virtuelle (…)», et d’autre part sur le basculement ainsi imprimé à l’ordre public (et donc, à la police administrative), qui s’éloigne de sa dimension « holiste » pour s’attacher davantage à des comportements individuels (p. 139 : « puisqu’il n’est plus besoin de démontrer que le comportement d’une personne constitue effectivement une menace à l’ordre public, alors ce comportement devient le seul objet direct et tangible de la mesure de police administrative quand bien même il est réputé constituer par lui-même une menace à l’ordre public ».

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fixé par le ministre de l’Intérieur277; elle peut aussi être assortie d’un placement sous bracelet

électronique (pour les personnes ayant été condamnées à des peines privatives de liberté pour crime ou délit terroriste puni de 10 ans d’emprisonnement et ayant terminé l’exécution de leur peine depuis moins de 8 ans) ; elle peut s’accompagner d’une interdiction d’entrer en contact avec certaines personnes, d’une obligation de se présenter au services de police ou de gendarmerie selon une périodicité pouvant aller jusqu’à trois fois par jour ou encore de la remise de passeport aux autorités... : on le voit, l’assignation à résidence version 2015 est bien plus robuste que celle envisagée par le législateur de 1955.

Sur tous ces points, l’œuvre du Parlement a été d’aggraver le projet initial du gouvernement ; il n’a jamais opéré en sens inverse. Ainsi lors de la 1re loi de prorogation, c’est

le Parlement qui porte à 12h par jour la durée maximale de l’astreinte à demeurer dans un lieu déterminé ; le Gouvernement ne « demandait » que 8h. C’est de même le Parlement qui permet que l’interdiction d’entrer en contact avec certaines personnes puisse, le cas échéant, perdurer au-delà de la durée pour laquelle l’assignation à résidence est prononcée ; le Gouvernement n’en espérait pas tant, qui avait prévu que cette mesure complémentaire soit levée automatiquement avec la fin de l’assignation à résidence, mesure principale. Plus encore, c’est le Parlement qui prévoit le placement sous bracelet électronique des assignés —une mesure tout simplement absente du projet de loi initial— et relevant, jusque-là, de la compétence exclusive du juge judiciaire278. Plus tard, lors de la 5ème loi de prorogation, le

Parlement sera encore actif dans la création d’un régime d’assignation à résidence ultra- longue durée. Le tout, comme on l’a dit, sans que le contre-pouvoir potentiellement représenté par le contrôle a priori du juge constitutionnel n’ait été invité à jouer un rôle279 —

et sans que le contrôle exercé au moyen de la QPC ne s’affirme comme très incisif.

C’est d’ailleurs en se prononçant sur le régime juridique de l’assignation à résidence que le Conseil rend la 1re des 9 décisions QPC que générera l’état d’urgence. Or, à cette

occasion, il définit l’assignation comme une pure mesure de police administrative (« cette assignation à résidence (…) est une mesure qui relève de la seule police administrative et qui ne peut donc avoir d’autre but que de préserver l’ordre public ») qui « ne comport[e] pas de privation de la liberté individuelle » —ce qui se donne notamment à voir par le fait que « la plage horaire maximale de l’astreinte à domicile dans le cadre de l’assignation à résidence, fixée à douze heures par jour, ne saurait être allongée sans que l’assignation à résidence soit alors regardée comme une mesure privative de liberté, dès lors soumise aux exigences de

277 Article 6 modifié de la loi du 3 avril 1955. 278 CC, 2005-527DC, Récidive des infractions pénales.

279 Etant entendu que, dans le cadre de son contrôle a posteriori, le juge constitutionnel a jugé assez largement que « l’assignation à résidence… est une mesure qui relève de la seule police administrative et qui ne peut donc avoir d’autre but que de préserver public et de prévenir les infractions » et que, dès lors, elle ne saurait être comprise comme emportant « privation de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution », y compris lorsqu’elles sont assorties d’une astreinte à demeurer dans un lieu donné, puisque celle-ci ne saurait être supérieure à 12 heures et que ce n’est qu’au-delà qu’elle devrait être soumise aux exigences de l’article 66 : Sur tous ces points, la jurisprudence constitutionnelle de 2015 tranche avec La possibilité même d’envisager le placement sous surveillance électronique mobile en l’absence de toute infraction et, a fortiori, de toute condamnation tranche singulièrement avec le régime juridique antérieurement applicable au PSEM. En 2005, s’il avait jugé qu’une telle mesure ne constituait ni une peine ni une sanction, c’est dans un contexte où elle ne pouvait s’appliquer qu’à des personnes condamnées à une peine privative de liberté de plus de 10 années que le Conseil constitutionnel avait admis le bracelet électronique : CC, 2005-527 DC, 8 décembre 2005.

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l’article 66 de la Constitution »280. Le juge constitutionnel n’en dit pas davantage —et

notamment sur les motifs et arguments permettant de penser que la distinction entre mesure restrictive et mesure privative de liberté repose sur ce seuil de douze heures par jour. Il fait ainsi apparaître, fût-ce non intentionnellement, la fragilité voire la porosité de cette distinction et, mutatis mutandis, de celle qui sépare police administrative et police judiciaire. En effet, à suivre le raisonnement proposé par le Conseil, on ne peut que conclure qu’il s’en est fallu de peu qu’une assignation à résidence relève de l’article 66 de la Constitution et commande alors la compétence du juge judiciaire.

D – Perquisitions

Sur le régime juridique des perquisitions, on observe la même dynamique. Il faut avant tout souligner que le concept même de perquisition administrative est, en soi, éminemment problématique. Certes, elles sont prévues par la loi du 3 avril 1955 ; mais nombre d’évolutions juridiques advenues depuis le vote de ce texte conduisaient à interroger leur conformité à notre cadre constitutionnel actuel. En particulier, le droit au recours effectif ou encore le principe, énoncé à l’article 66 de la Constitution, selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle (laquelle englobe l’inviolabilité du domicile ou le droit au respect de la vie privée)281, auraient pu être interprétés comme interdisant le principe même de

perquisitions administratives. A vrai dire, le Conseil constitutionnel a effectivement été amené à dire que le régime des perquisitions tel qu’il existait au terme de la loi du 3 avril 1955 dans sa version mise en application le 14 novembre 2015282 était en effet inconstitutionnel : « en ne

soumettant le recours aux perquisitions à aucune condition et en n’encadrant leur mise en œuvre d’aucune garantie, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée »283. Cette déclaration d’inconstitutionnalité a cependant donné lieu à une

neutralisation remarquable de ses effets, le Conseil jugeant dans le même mouvement que « la remise en cause des actes de procédure pénale consécutifs à une mesure prise sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et aurait des conséquences manifestement excessives », de sorte que « les mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, dans le cadre de l’ensemble des procédures pénales qui leur sont consécutives, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité »284. Il a ainsi « couvert » l’inconstitutionnalité constatée des perquisitions

réalisées sur le fondement de ces dispositions législatives, ie. entre la mise en œuvre de l’état d’urgence (14 novembre 2015) et l’entrée en vigueur du cadre législatif révisé par la 1re loi de

prorogation (loi du 20 novembre 2015285) —étant entendu que c’est pendant ces premiers

jours de l’état d’urgence que le nombre de perquisitions a été particulièrement élevé286.

280 CC, 22 déc. 2015, 2015-527 QPC, cons. 5 et 6.

281 Paul Cassia « Prorogation bis de l’état d’urgence », op. cit.

282 La loi dans sa version en vigueur au 14 novembre 2015 disposait simplement que “ Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peuvent, par une disposition expresse : 1°) conférer aux autorités administratives visées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ».

283 CC, 2016-567/568 QPC, 23 septembre 2016. 284 Ibid, cons. 11.

285 La loi du 20 novembre 2015 précise en effet le cadre légal des perquisitions administratives.

286 890 perquisitions administratives entre le 14 et le 20 novembre 2015 : Assemblée nationale, Rapport d’information n°4281 réalisé par MM. Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, 6 déc. 2016, p. 33.

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Révisé par la loi du 20 novembre 2015, le cadre législatif des perquisitions est incontestablement amélioré du point de vue des garanties offertes aux individus. Si elles demeurent possibles de nuit et peuvent être ordonnées, à l’instar des assignations à résidence,

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