Le rôle de « capacitation » s’inscrit dans la continuité directe de l’hospitalité qui caractérise le CCO. Accueillir les gens comme ils sont c’est être attentif à ce qu’ils aspirent également à être et à devenir. Les collectifs, les associations, les gens venus là à divers titres sont engagés ici pour développer ce qui leur importe, sans être importunés ou s’ils le souhaitent en y étant aidés. Ils contribuent à faire vivre le lieu en termes d’occupation des locaux, de contribution aux évènements programmés par le CCO (nous y reviendrons dans le dernier point), et financièrement aussi. Ce qu’ils y font caractérise aussi les qualités et valeurs du lieu, les réinterpellent parfois. Dans les témoignages recueillis la possibilité de faire ici ce que l’on n’aurait pas pu faire ailleurs revient fortement, et c’est d’ailleurs là que se manifeste un attachement émotionnel au lieu « CCO » dès lors qu’on évoque un possible déménagement (Heinich, 2012). C’est notamment à l’occasion de l’atelier « speed dating interculturalité » que l’on a pu entendre s’exprimer le plus fortement cette dimension. Les personnes venues là faisant part, à l’écoute du témoignage des autres, de leur propre attachement au CCO. Elles y expriment en particulier en quoi le CCO a été pour elles un tremplin et un lieu d’effervescence et d’ébullition. Fabienne Tanon relève à plusieurs reprises l’expression « Le CCO c’est un lieu culte ! »94. Cet attachement émotionnel n’est pas exclusif d’ailleurs d’attachements plus utilitaristes. Toutefois être accompagnés, pouvoir devenir capables suppose plus qu’un espace de possible : il se joue là une dimension importante de ce qui se transmet au CCO, selon des modalités plus ou moins formalisées, identifiées ou reconnues que nous allons tenter d’analyser ici. Extrait entretien Marie Claire Corbier militante association AFPS (association solidarité France Palestine), dont le mari a été président du CCO. / réalisé par Fabienne Tanon, Juillet 2012. « Il a été porteur parce qu’il proposait un lieu. Je crois que c’est ça, on commence par des moyens matériels. Je ne me souviens pas si on payait ou pas, j’ai fait tellement de réunions ici. Donc c’était un lieu, et puis après c’était une sorte d’endroit où on était sûr de rencontrer des gens pour nous aider à penser, pas à faire du tricot… j’ai fait des pâtes ici, il me semble bien que c’était là, parce qu’on fait partie d’un groupe qui rassemblait des Italiennes et il me semble qu’on était venu faire des pâtes au CCO Fabienne : C’était des lasagnes ?
Non c’était des pâtes carrément, on découpait des grandes plaques pour faire des pâtes, des lasagnes aussi peut‐être. Il me semble que c’était au CCO, parce que les centres sociaux étaient beaucoup moins ouverts pour des gens comme nous. Il fallait être adhérent. On pouvait faire des groupes de paroles dans les centres sociaux, mais ils ne voulaient pas que ce soit politique. C’est politique, pas politique ? Ici au CCO on était sûr qu’on pouvait être accueilli à condition qu’on ne soit pas terroriste. F ‐ Donc ici vous étiez sûr d’être accueilli ? 94 « Lieu culte » souvent mis en regard et en lien d’un autre lieu important : La maison des passages avec laquelle des circulations et des fécondations réciproques s’opèrent. Paradoxalement c’est dans cet atelier où il était question d’interculturalité que la mention du lieu CCO est revenue plus fortement, alors que l’attachement au bâtiment lui‐même s’est peu manifesté dans l’atelier « fabrique du CCO de demain » : la rupture annoncée y étant sans doute déjà acceptée.
X ‐ Oui, on pouvait négocier une salle, négocier le matériel de sérigraphie. Je pense qu’on devait payer des feuilles je ne sais plus comment on faisait. Et ça c’est pour moi… Maintenant on le voit, chaque fois qu’on veut militer quelque part, savoir si on va avoir la salle, si ceci, si cela, il faut remplir des papiers, etc. Il y avait rien de tout cela. C’était un lieu très ouvert. (…) Avec le CCO on était sur qu’on pouvait trouver une solution. Et donc pour moi c’est très important ça.
F ‐ D’accord.
X ‐ Puis donc de rencontrer des gens qui nous forçaient à penser. Parce que c’est vrai qu’on ne pense pas tout seul, on pense avec des autres. Les réunions, les films, toutes les idées qui ont été agitées, les apéros citoyens, tout ça, bien entendu c’est vraiment aussi, quelque chose qui est… F ‐…très porteur X ‐…qui est porteur et encore maintenant, parce que ça nous aide, après on peut retourner chez nous et réfléchir autour de ce qui a été dit. Mais je pense qu’on est là dans quelque chose qui ne nous laisse pas nous assoupir dans nos certitudes. Enfin pour moi ça a été vraiment… II‐2.3.1. « C’est la valeur de l’expérience qui fait patrimoine » : l’expérience Book sprint en miroir L’expérimentation, devenue projet, dont il va être question ici nous paraît significative de la fonction capacitante que le CCO réalise pour ceux qui le côtoient et s’y engagent. Lorsque la proposition de book‐sprint est faite dans la perspective du cinquantenaire, l’idée de se lancer dans une performance d’écriture collective a rapidement suscité l’enthousiasme : La forme permettait d’être en cohérence avec les modes de faire du CCO et la question à traiter. Mais cela demeurait à ce stade un pari : Julie Chateauvert est au Québec ! Ensuite, le « recrutement » des sprinteurs a fonctionné par la mobilisation personnelle de chacun qui a répondu plus souvent par attachement au lieu et à ceux qui leur faisaient la proposition ou pour tenter l’aventure qu’en mesurant totalement la nature de ce qui était attendu. La confiance et l’amitié ont été ici les premières conseillères. Ensuite l’expérience est vécue, le « book » est réalisé, il est distribué sous forme de clé USB le jour du cinquantenaire et mis en ligne sur le site du CCO. Enfin, après l’expérience un véritable travail de reprise est fait : sur les satisfactions, les frustrations, les envies. Il en ressort ce qui en a été acquis, le sens que chacun veut y mettre, et ce qu’il importe de transmettre. Or ce n’est pas sur le contenu de « l’œuvre » que le groupe va vouloir transmettre mais sur le fait de transmettre cette expérience. In fine, le groupe s’est tout à fait autonomisé et de la recherche et du suivi et temps de bilans accompagnés par la direction du CCO et la responsable de la recherche‐ action… le projet qui est présenté ci‐dessous ne figure donc pas ici comme un résultat « en propre » de la recherche‐action, évidemment !
Ce document a été rédigé à l’automne 2013, par une partie des « sprinteurs » issue du groupe de départ : Anne Aubry (membre recherche‐action), Eliane Benbanaste (membre du CA), Marie‐Ange Byard (membre du CA, suivi à distance), Jean‐Pierre Corduant (membre du CA), Louise Herbin(membre du CA), Geneviève Gibert (membre CA et du copil RA), Romain Goujon (Association Grand ensemble et membre du CA), Lydie Mariller (public du CCO, ancienne membre d’Odyss’art, venue parce qu’elle a lu l’annonce du book sprint sur le site du CCO)95.
95 Avait également participé au book sprint Christine Adjahi (conteuse, association Do Masse, n'était plus
disponible pour poursuivre avec le groupe l'écriture du projet), Patricia Faivre (ex membre d'Odyss'art, n'était plus disponible pour poursuivre avec le groupe l'écriture du projet), Romain Goujon (association Grand Ensemble, n'était plus disponible pour poursuivre avec le groupe l'écriture du projet),Hadda Djaber (comédienne et metteuse en scène, Compagnie Leila Soleil dont la déception et les critiques ont également
Nous présentons ici in extenso ce projet, malgré sa longueur, car chaque élément manifeste très précisément la traduction que le groupe fait de son expérience et la façon dont il souhaite la transmettre : Etre vigilant notamment par rapport aux difficultés éventuelles qu’ils ont eux mêmes rencontrées (la difficulté à écrire à plusieurs, le fait que tout le monde n’a pu être présent de façon continue dans le processus de collaboration par exemple).