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En somme, plusieurs écrits scientifiques démontrent que les facteurs de risque sont de bons indicateurs à l’imprégnation de la déviance; il importe toutefois de rappeler que la présence de facteurs de progression et d’interruption peut exercer une influence tout au long du parcours. « Il faut bien mentionner que les

mêmes variables peuvent constituer, pour certaines personnes, des facteurs de progression alors que, pour d’autres, il s’agira de facteurs d’interruption » (Brochu, 2006; p. 184). En ce qui concerne les facteurs de progression, des indicateurs tels que la substance elle-même, un milieu de vie stigmatisant et la présence d’un évènement marquant sont ciblés. En contrepartie, des pairs prônant des valeurs prosociales, les pressions d’organisations prosociales, les pressions reliées au milieu délinquant, ainsi que les pressions internes et personnelles constituent des facteurs d’interruption.

Le concept de style de vie déviant décrit par Brochu (2006) permet d’examiner les interactions entre la consommation de drogues et la perpétration de délits tout en prenant en considération divers facteurs pouvant influencer les comportements marginaux et délinquants. Par l’adoption d’un style de vie déviant, le sujet intègre des valeurs marginales, voire délinquantes, ce qui favorise sa participation à diverses activités criminelles. Certes, le modèle de Brochu suggère qu’il existe une évolution dynamique entre l’individu et son environnement.

La notion d’évolution dynamique prend davantage d’importance lorsque vient le temps d’expliquer les liens pouvant unir la toxicomanie et la délinquance. D’ailleurs, certains auteurs ont opté pour une explication sous forme de cycle où la personne évolue à travers différentes étapes comme le suggère le prochain modèle.

La trajectoire de toxicomanies

Les notions de trajectoire de toxicomanies, « carrière » ou « cycle de dépendance » permettent une meilleure compréhension des problématiques drogue-délinquance. Ces conceptualisations se basent sur l’idée que le consommateur passe d’une phase à une autre, phases qui s’inscrivent dans le temps, se succèdent, mais ne suivent pas nécessairement une progression linéaire (Mercier, 2001). « La plupart des toxicomanes font alterner des périodes de consommation intensive avec des périodes d’abstinence, volontaires ou non, une part d’entre eux connaissant aussi des périodes d’usage occasionnel » (Lowenstein, Gourarier, Coppel, Lebeau, Hefez, 1995; p. 44). Bien que plusieurs

auteurs aient tenté, au fil des ans, de créer des conceptualisations des trajectoires de toxicomanies, l’étude rétrospective de Hser, Anglin, Booth et McGlothlin est celle qui s’avère la plus pertinente et juste. Selon ces auteurs, ces phases se résument comme suit (figure 6) : 1) l’initiation, 2) l’installation de la dépendance, 3) la dépendance, 4) le traitement et la réinsertion (Anglin, Hser et Booth, 1987; Anglin, Hser et McGlothlin, 1987; Hser, Anglin et Booth, 1987; Hser, Anglin et McGlothlin, 1987).

Les problèmes familiaux, la distanciation des repères prosociaux, l’influence des pairs ainsi que la précocité de l’agir sont mis en cause pour expliquer l’initiation à un comportement, soit la consommation. Les principales raisons d’un début de consommation sont la recherche de plaisir et le sentiment d’appartenance. La consommation est alors expérimentale et occasionnelle et, avec l’adoption de valeurs laxistes, le consommateur peut s’impliquer dans une petite délinquance.

Ensuite vient l’installation de la dépendance. Selon les écrits scientifiques, une minorité des consommateurs évoluerait vers une consommation abusive et développe une dépendance. La consommation modérée se transforme progressivement en usage quotidien. Les partenaires de consommation ainsi que les attentes du consommateur envers la substance intoxicante peuvent expliquer cette progression (Mercier, 2001).

Puis survient la phase de la carrière de délinquance. Ici, la consommation est considérable puisque la substance intoxicante devient le centre de la vie d’une personne (Mercier, 2001). La principale motivation du sujet est de se procurer l’argent nécessaire afin de se payer la drogue convoitée. Toutes les activités ainsi que l’implication criminelle dépendent alors de la consommation de l’individu. L’usage intensif de drogues et l’implication criminelle peuvent être momentanés ou constituer une des caractéristiques les plus permanentes d’un style de vie (Pudney, 2002). « Chez les deux sexes, l’abus et la dépendance entraînent une augmentation des activités criminelles, mais ces activités diffèrent suivant le genre » (Mercier, 2001; p. 4).

En dernier lieu peut apparaître la phase du traitement et de la réinsertion, caractérisée par un arrêt de la consommation combiné à des moments de rechute. « La réadaptation implique aussi des changements dans les domaines de la vie autres que celui de la consommation de psychotropes, en particulier pour les consommateurs les plus engagés dans des styles de vie marginaux ou criminalisés » (Mercier, 2001; p. 7). Selon cette auteure, la « fatigue » et le désir de changer son mode de vie sont les principales raisons évoquées pour cesser les comportements de consommation. Selon Castel (1992), certains toxicomanes cesseront leur consommation seuls et d’autres nécessiteront l’aide d’un traitement ou d’un programme de réadaptation. Certes, il a soulevé que les processus de sortie de la toxicomanie diffèrent selon que le cheminement se fait seul ou à l’aide de ressources externes.

Mercier et Alarie (2000) ont identifié quatre étapes communes de sortie de la toxicomanie, soit (1) la prise de conscience et la décision, (2) la réduction, le contrôle ou l’arrêt de la consommation, (3) la stabilisation et (4) le maintien à long terme. La prise de conscience et la décision s’expliquent par une période pendant laquelle l’individu remet en question ses comportements et modifie sa perception de sa problématique de consommation. Il s’agit d’un tournant où il prend la décision de s’engager dans un processus de changement. La réduction, le contrôle ou l‟arrêt de la consommation s’inscrit dans une centralisation de l’énergie vers les comportements de consommation afin de mieux les gérer et d’en arriver à intégrer des alternatives pour combler le vide créé par l’abandon de la consommation (Mercier et Alarie, 2000). Selon ces auteurs, les rechutes font partie intégrante du cheminement et elles sont jugées positives dans l’optique où elles sont plus espacées et moins intenses, et que les personnes sont plus en contrôle et moins désorganisées. « La stabilisation de la consommation va de pair avec la stabilisation dans d’autres domaines de la vie, prioritairement la situation résidentielle et financière. […] Les participants à l’enquête insistent aussi sur la nécessité de prendre conscience de leurs limites, de se donner des modèles positifs ainsi que des mécanismes de contrôle extérieurs à eux. » (Mercier et Alarie, 2000; p. 343). Finalement, le maintien à long terme suggère que les personnes souhaitent s’impliquer dans des démarches de croissance personnelle, une fois un contrôle atteint quant aux

différentes sphères de leur vie, aspirant, entre autres, à un bien-être psychologique (Mercier et Alarie, 2000).

Dans un même ordre d’idées, Prochaska et DiClemente (1972) ont élaboré le modèle transthéorique qui traite du processus de changement dans lequel les individus souhaitant modifier des comportements évoluent. Ce modèle sera au cœur de la prochaine section tout comme les notions de réhabilitation et de réintégration sociale puisqu’il s’agit d’enjeux importants dans une démarche thérapeutique pour des libérés conditionnels présentant une double problématique de délinquance et de toxicomanie.

P R É P A R A T I O N A U C H A N G E M E N T

Le modèle transthéorique

Dans le cadre du processus de changement, il est inévitable de se référer au modèle transthéorique élaboré par Prochaska et DiClemente dès 1972. Ce modèle suggère que les personnes devant modifier certains comportements dans leur vie évoluent à travers divers stades avant d’aboutir au changement escompté. Toutefois, chaque individu franchit les stades d’une manière qui lui est propre. Ainsi, la durée des stades peut varier d’une personne à l’autre, et certains peuvent même être sautés.

Le modèle transthéorique du changement comporte six étapes permettant d’évaluer la motivation actuelle de la personne. Le premier stade est celui de la « précontemplation », où le sujet est dans le déni. Il n’a pas l’intention de modifier ses habitudes dans les six prochains mois puisqu’il ne reconnaît pas avoir un problème quelconque. Ensuite vient l’étape de la « contemplation », moment où il y a une certaine ambivalence. L’individu commence à se questionner quant à ses habitudes et à considérer un éventuel changement. Il ne se sent toutefois pas prêt à passer à l’action. Lors du troisième stade, la « décision », la personne est en préparation et s’engage à apporter des changements face à ses habitudes. Elle acquiert alors activement des outils et identifie des ressources pour mettre en place son plan d’action. À l’étape de l’action, le quatrième stade, la personne adopte les nouvelles habitudes et attitudes ainsi que de nouveaux comportements. Lorsqu’elle consolide ses acquis, elle se trouve au cinquième stade, soit le maintien. La rechute, quant à elle, peut survenir, peu importe le stade dans lequel se trouve la personne. Il s’agit d’une étape normale dans le processus de changement.

FIGURE 6. LE MODÈLE TRANSTHÉORIQUE DES STADES DE CHANGEMENT DE