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Identification des plantes indigènes, des archéophytes et des néophytes 1 Méthodologie et utilisation des données disponibles

Pour séparer les archéophytes et les néophytes des plantes natives dans nos cortèges de plantes anthropiques, le statut de chaque espèce est évalué à la lumière des six critères précédemment énoncés. L’attribution du statut d’archéophyte ou de néophyte se fait dans la mesure où l’espèce se conforme au minimum à quatre des six critères. Quatre statuts sont définis : indigène, archéophyte, néophyte et étranger (indéterminé). Ce dernier est utilisé pour les espèces dont le non indigénat est attesté mais pour lesquelles le manque de données archéologiques ou historiques ne permet pas de déterminer de façon certaine leur période d’introduction dans la région et dans les régions frontalières.

Ainsi, au vu des données disponibles, soit le statut peut être déterminé précisément par la présence d’une majorité de critères, soit nous attribuons le plus probable assorti d’un point d’interrogation (on note alors « archéophyte ? », « néophyte ? » etc.)

L’évaluation de chacun des critères se fait à la lumière de différentes sources :

[1] Il ne doit pas y avoir de preuve fossile de la présence des plantes étrangères à l’Holocène avant le Néolithique.

Pour répondre à ce critère nous utilisons les nombreuses données disponibles pour le Tardiglaciaire et les périodes antérieures : Richard, 1983 ; Bégeot, 2000, Richard et alii, 2000, etc. Ces données, uniquement palynologiques, limitent fortement pour notre travail, les possibilités de savoir précisément si une espèce était présente ou non avant l’arrivée de l’homme. Cette limite est évidemment due au niveau de détermination des types polliniques. Seule la présence de quelques espèces peut être attestée (par ex. Plantago lanceolata,

Plantago major/media, Sanguisorba minor etc.). Ces données, très parcellaires pour nous,

pourraient être complétées par l’étude conjointe dans les sédiments fossiles des grains de pollen et des macro-restes végétaux. En effet, comme le souligne Birks & Birks (2000), les macro-restes végétaux peuvent apporter une valeur ajoutée importante à l’étude et à l’interprétation des données polliniques fossiles (précision taxonomique plus grande, représentation de la végétation immédiatement environnante etc.) Mais il faut déplorer que ce type d’étude n’existe pas encore dans notre région (à l’exception du travail de C. Bégeot, 2000).

[2] Les archéophytes comme les néophytes doivent de préférence se limiter aux milieux anthropisés ou être plus fréquentes dans ces lieux que dans les milieux semi-naturels ou naturels.

L’évaluation de ce critère se fait au moyen de deux caractéristiques attribuées à chaque espèce. Tout d’abord, l’attribut « habitats usuels » (annexe 4) qui permet d’estimer la spécificité ou non d’une espèce vis-à-vis d’un ou plusieurs habitats ; l’attribut « présence dans la végétation semi-naturelle ou naturelle » (annexe 4) qui permet d’évaluer si une espèce est présente exclusivement dans les milieux anthropisés ou non.

[3] et [4] Evaluation de la période d’introduction des espèces étrangères et variations de leurs fréquences dans la végétation depuis 200 ans.

L’évaluation de la période d’introduction se fait à la lumière des données paléobotaniques et historiques (annexes 5 et 6). Quand les données paléobotaniques font défaut, les variations de fréquences des espèces estimées à partir des données historiques permettent parfois de déterminer une période d’introduction probable (cf. [4] supra).

[5] Il est préférable que ces espèces ne soit pas indigènes dans d’autres pays d’Europe et [6] Il est préférable que les archéophytes se soient aussi installées en « néo-Europe ».

Nous nous appuyons particulièrement sur le statut des espèces déterminé au Royaume- Uni et en République Tchèque (annexe 4) et sur les données chorologiques (annexe 4). Comme nous l’avons précisé en II.3.3., l’existence ou non de ces espèces en « néo-Europe » est évaluée à partir des données synthétisées dans l’étude Preston et alii (2004).

II.4.2. Difficultés rencontrées pour la détermination du statut de chaque espèce

Avant d’analyser plus avant la répartition des espèces dans les différentes catégories (cf. infra III.), il paraît important de discuter des difficultés rencontrées pour déterminer le statut de chacune d’entre elles dans la région.

En effet, dans la flore des champs cultivés 48 espèces (soit 21,33%) ont un statut douteux et dans la flore des milieux rudéraux ce sont 59 d’entre elles (16,67%) dont le statut est incertain. Les proportions des statuts déterminés de façon certaine ou probable sont présentées dans la figure 2.

Figure 2 : niveau de détermination du statut des espèces (sûr ou probable) selon les différents statuts. Les statuts sont classés selon leur sûreté de détermination décroissante

Les raisons de douter de l’origine d’une espèce sont nombreuses et certaines attributions de statut sont faites avec prudence au regard des données disponibles. C’est évidemment pour déterminer avec certitude les espèces archéophytes que les difficultés sont les plus grandes (figure 2). Il y a plusieurs raisons à cela ; nous ne présenterons que les principales.

Tout d’abord, la chorologie actuelle et surtout l’aire de répartition originelle de certaines espèces sont incertaines ou mal connues et les données disponibles varient selon les auteurs (cf. en annexe 3 : les différences entre les données chorologiques tirées de Julve, 1998a et de Lauber & Wagner, 2000). Un exemple typique est celui de l’espèce Vulpia

bromoides dont la répartition géographique est l’Europe tempérée pour Julve (1998a), la

région méditerranéenne pour Lauber & Wagner (2000) et la zone subméditerranéenne- subatlantique pour Preston et alii (2004). De plus, Vulpia bromoides est classée dans les espèces indigènes au Royaume-Uni et en Allemagne et dans les archéophytes en République Tchèque. Au vu de ces incertitudes, il est difficile de trancher et nous avons choisi de la considérer comme une espèce indigène douteuse (« indigène ? »). Probablement indigène car on ne la trouve pas exclusivement dans les milieux anthropisés et parce que son aire de répartition couvre vraisemblablement la Franche-Comté, mais peut-être étrangère si elle s’avérait originaire de la zone méditerranéenne uniquement.

Une autre difficulté est d’arriver à déterminer si certaines espèces présentes à la fois dans des milieux anthropisés et dans des habitats naturels sont natives de ces derniers ou si

Milieux cultivés 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

indigène archéophyte néophyte étranger (indéterminé) % sûr probable Milieux rudéraux 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

indigène archéophyte néophyte étranger (indéterminé)

%

sûr probable

elles y sont arrivées secondairement. C’est notamment le cas des espèces que l’on trouve dans les milieux anthropisés mais aussi dans des milieux « primaires » naturels, comme par exemple les milieux ouverts sur des sols humides et sableux, les prairies, les berges de rivières ou encore les habitats côtiers. Un certains nombre d’exemples sont présentés dans le tableau 2.

Espèces Statut Habitat natif possible Statut attribué en Franche-Comté

Aethusa cynapium L. iAIAA Lisières de bois Archéophyte ?

Ajuga chamaepitys (L.) Schreb. iAIA- Prairies ouvertes crayeuses Archéophyte ?

Arctium minus (Hill) Bernh. IAIIA Bois Indigène ?

Reseda lutea L. IAAIN Prairies humides Archéophyte ? Sagina apetala Ard. IAAI- Sols humides et sableux Archéophyte ? Sherardia arvensis L. IAIAC Habitats côtiers Archéophyte ? Tanacetum vulgare L. IAaII Berges de rivières Indigène ? Veronica arvensis L. IAAAA Prairies humides, habitats ouverts Archéophyte ?

Tableau 2 : exemples d’espèces dont le statut est incertain sur la base de données écologiques et dont le statut dans au moins un autre pays européen diffère de celui attribué. Le statut au Royaume-Uni, en République Tchèque, Allemagne, Pologne et Finlande est indiqué (dans cet ordre) par les codes suivants : I pour indigène, A pour archéophyte, N pour néophyte, C pour accidentel. Un tiret indique que le taxon est absent du pays concerné. Les lettres sont en minuscules si le statut attribué est considéré comme douteux. Les données pour les pays européens sont tirées de Preston et alii (2004).

II.4.3. Répartition des statuts au sein des deux grands types d’habitats de la flore anthropique

Dans la flore adventice des champs cultivés, sur un total de 225 espèces, 64% sont des plantes étrangères et seulement 36% sont indigènes dans le territoire d’étude.

Dans la flore rudérale, plus riche en espèces (310 au total), le rapport est inversé : 43,5% sont des plantes étrangères et 56,4% sont indigènes (tableau 3).

L’importance des espèces étrangères dans nos cortèges floristiques des lieux anthropisés est tout à fait conforme aux résultats de nombreuses études (Pyšek et alii, 2002 ; Preston et alii, 2004, Chytrý et alii, 2005). Dans leur étude des habitats les plus perméables aux espèces étrangères, Chytrý et alii (2005, figure 1, p. 344) montrent que c’est dans les milieux cultivés que l’on en trouve le plus (archéophytes et néophytes confondues), suivi par les dépotoirs, les zones herbacées anthropisées et les zones piétinées. En un mot tous les

milieux anthropisés sont très perméables à l’introduction et à l’établissement d’espèces originaires de régions biogéographiques voisines.

La répartition des statuts entre la flore des milieux cultivés et celle des milieux rudéraux est significativement différente (cf. G-test14, tableau 3). Les archéophytes sont sur- représentées dans les milieux cultivés et au contraire les indigènes sont, elles, sur-représentées dans la flore rudérale.

Milieux cultivés Milieux rudéraux Statut des espèces Nombre d’espèces % Nombre d’espèces % Indigène 81 36 175 56,45 Etranger (total) 144 64 135 43,55 Archéophyte 106 47,11 70 22,58 Néophyte 20 8,89 44 14,19 Etranger (indéterminé) 18 8 21 6,77 TOTAL 225 100 310 100

Tableau 3 : répartition des espèces des milieux anthropisés selon leur statut (voir supra pour les définitions et les différents critères qui ont permis de définir le statut de chaque espèce). « Etranger (total) » = archéophyte + néophyte + étranger (indéterminé). La répartition des différents statuts dans les milieux cultivés et rudéraux est significativement différente (Un G-test est réalisé à partir du tableau de contingence sans tenir compte de la ligne étranger (total), G = 38,64 ; df = 3 ; P < 0,001).

Nous pouvons aussi recouper ces résultats avec ceux d’études de cas précis. Ainsi, dans un article sur les plantes étrangères des milieux cultivés en République Tchèque, Pyšek

et alii (2005, fig. 1, p. 775) trouvent 50,5% d’indigènes, 40,5% d’archéophytes et 9% de

néophytes. Pour les néophytes, la répartition est assez proche de celle trouvée à partir de notre cortège floristique (tableau 3) mais elle différe pour les archéophytes (plus nombreuses) et les indigènes (moins nombreuses). De la même façon, Chocholoušková & Pyšek (2003, fig. 3, p. 369) estiment qu’au début du XIXe siècle dans la ville de Plzeň (République Tchèque), les

14 Pour donner plus de poids scientifique aux appréciations telle « significativement différente », on soumet toujours les données comparées à un test statistique (G-test, cf. Zar, 1999) dont on énonce le résultat. Il s'agit d'un test statistique (G-test) qui détermine si une première variable (statut) est indépendante ou non d'une deuxième variable (milieu). Les deux variables sont considérées comme indépendantes, si la valeur de la probabilité associée à la statistique calculée est supérieure à un seuil donné (classiquement 0,05): le test est alors dit « non significatif ». Si cette probabilité est inférieure, on conclut que les variable sont associée (dépendante) : le test est alors dit « significatif ».

espèces qui composent la flore rudérale se répartissent de la façon suivante : environ 60% sont indigènes, 30% sont des archéophytes et 10% sont des néophytes. Même si c’est un cas d’étude particulier et limité à une flore urbaine, la répartition est sensiblement du même ordre de grandeur que celle trouvée dans notre cortège d’espèces rudérales (tableau 3).

La seule étude française qui cherche à déterminer la part respective des espèces étrangères et natives dans la flore des milieux cultivés est celle de P. Jauzein (2001a). Pour cet auteur, ce sont les espèces spontanées qui composent « la part logiquement la plus importante » de la flore des champs cultivés. Il considère comme « archéophytes de France » une quarantaine d’espèces (dont un grand nombre spécifiques du midi de la France sont absentes de notre région) auxquelles on peut ajouter une douzaine d’espèces qu’il note comme archéophytes dans la partie septentrionale du territoire (cf. Jauzein, 2001a, pp. 49-51). Au regard de notre étude, il apparaît que l’importance des archéophytes est ici largement sous-estimée. Cette différence d’appréciation tient, à notre avis, à deux facteurs importants :

– tout d’abord, il y a la taille de l’aire géographique considérée. En effet, cet article a pour périmètre de référence le territoire français alors que nous nous limitons à une portion plus petite et septentrionale de ce territoire. Et, comme nous le verrons par la suite, un grand nombre d’espèces, archéophytes en Franche-Comté, peuvent sans doute être considérées comme indigènes dans des zones plus méridionales (comme la région méditerranéenne). Mais ce seul critère peut difficilement expliquer des divergences aussi importantes.

– c’est surtout parce que le travail de P. Jauzein ne s’appuie que sur trois références archéobotaniques (Baudais-Lundström, 1984 ; Marinval, 1985 et Bouby, 1998) que l’on a des différences d’appréciations aussi marquées.

Certes un grand nombre de travaux restent non publiés (rapports de fouilles etc.) ou sont difficiles d’accès (éditions relativement confidentielles). Mais les publications sur l’ensemble du territoire français se sont malgré tout multipliées ces dix dernières années. Il reste que réaliser une synthèse de ces données est un travail de longue haleine et plaide pour la création d’une base comme il en existe, par exemple, en Allemagne (ArboDat, Kreuz & Schäfer, 2002) ou au Royaume-Uni (Archaebotanical Computer Database (ABCD), Tomlinson & Hall, 1996). Car l’existence de références archéobotaniques pourrait éviter ces quelques erreurs de jugement, notamment la sous-estimation de l’importance des archéophytes dans la flore des milieux cultivés.

Citons l’exemple de Myagrum perfoliatum, espèce que P. Jauzein considère comme arrivée de l’Orient entre les XVe et XVIIe siècles, alors qu’elle est présente dans des

assemblages archéobotaniques en Côte-d’Or et en Alsace dès la période romaine (Wiethold, com. pers. ; Jacomet et alii, 2003).

Dans notre démarche de caractérisation évolutive de la flore anthropique, il faut à présent approfondir la recherche de ses attributs biologiques, écologiques, chorologiques etc.

I

IIIII..CCOOMMPPOOSSIITTIIOONNEETTSSTTRRUUCCTTUURREEDDEELLAAFFLLOORREEAANNTTHHRROOPPIIQQUUEE

En plus des données précédemment récoltées et définies (statut etc.), des caractéristiques variées ont été compilées pour chaque espèce, principalement à partir de la « Baseflor » de P. Julve (2006) mais aussi de la Flore de la Suisse (Aeschimann & Burdet, 1989), de la Flore des champs cultivés (Jauzein, 1995). Ce sont surtout des attributs biologiques et écologiques (type biologique, longévité, type de pollinisation, cycle de vie, phénologie, chorologie etc.).

III.1. Quelques caractéristiques biologiques et écologiques essentielles de la flore