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Iconoclasme et Iconoclash

Chapitre 2. La destruction de l’image.

2.1 Iconoclasme et Iconoclash

Etymologiquement parlant, l’iconoclasme42, c’est la

« destruction de l’image ». Le mot « iconoclaste » vient du grec classique eikôn (icône) et klân (briser). Le terme en grec byzantin eikonoklastês, « briseur d’images » a été largement employé pendant la querelle iconoclaste de Byzance pendant les VIIIe et IXe siècles. Les deux autres épisodes auxquels les historiens se reportent comme des moments clés pour l’histoire de l’iconoclasme sont l’iconoclasme protestant au XVIe siècle et la vague iconoclaste pendant la Révolution Française.

Ce qui est en jeu pour l’iconoclaste classique c’est la communication pure, sans des intermédiaires construits par les humains. En effet, pour les iconoclastes byzantins et protestants, la visée était d’accéder à Dieu directement et d’interdire voire détruire les images crées pour le représenter. Les iconoclastes de la révolution bourgeoise détruisaient les symboles de la couronne. Pour eux, la gouvernabilité devait être accessible à tous indépendamment de son origine social, et donc être indépendante de des symboles et conventions de l’aristocratie.

Le terme « iconoclasme » a considérablement élargi son champ d’acceptions au fil du temps. Après l’avènement de la modernité, ce qui est iconoclaste c’est aussi ce qui s’oppose à la tradition et à la norme. Pendant l’éclosion des avant-gardes du début du XXe siècle, l’adjectif « iconoclaste » était utilisé en France pour désigner les artistes qui réfutaient les conventions de l’académie.

Dans ce sens, l’iconoclasme marque les ruptures, le mépris pour le vieux et par l’ordre établit. Mais, en évitant une acception simpliste qui comprend les iconoclastes comme des révolutionnaires qui travaillent contre les formes archaïques et dépassées, le terme peut

42 J’utiliserai le terme « iconoclasme » en dépit de « vandalisme » pour éviter une connotation négative indésirable. Sur les différentes acceptions « d’iconoclasme » et « van- dalisme », consulter GAMBONI Dario, La Destruction de l’art. Iconoclasme et vandalisme

depuis la révolution française, traduit de l’anglais par Estelle Beausigneur, Collection Œuvres

en sociétés, Paris, Les presses du réel, 2015, c1997, pp. 25-26.

englober aussi des mouvements moins organisés voire inconscients. Détruire une image pour être également une action émotionnelle, individuelle, une forme de canalisation de l’énergie43.

2.1.1 Entre les gestes destructif et constructif

Dans le texte « Iconoclash », le philosophe Bruno Latour s’investit de trouver les nuances dans ce contraste radical entre vrai et faux :

Parce que nous fouillons à la recherche des sources d’une distinction absolue – et non relative entre vrai et faux, entre un monde pur, entièrement vidé de tout intermédiaire d’origine humaine et un monde répugnant composé de médiateurs d’origine humaine, impurs mais fascinants. 44

Dans cette intention, le philosophe propose la notion « d’iconoclash ». L’Iconoclash ou iconocrise serait une destruction non aboutie. C’est le geste qui s’est arrêté à mi-chemin, qui hésite, qui est troublé par l’incertitude à telle point qu’on ne sais pas s’il s’agit d’un geste destructif ou constructif45.

Peut-être, alors, tout iconoclasme serait en fait un iconoclash, autrement dit, une destruction suivie d’une construction. Après tout, des événements que je viens de citer, il demeure toujours les résidus, les traces, soient-elles des ruines, des écrits et des registres divers.

L’historien d’art Dario Gamboni nous conseille d’éviter

43 Dario Gamboni aborde l’histoire du terme « iconoclasme » dans le chapitre 1 «Théories et Méthodes ». D. GAMBONI, La destruction de l’art, op. cit.

44 LATOUR Bruno, « Iconoclash » in LATOUR Bruno, Sur le culte moderne des dieux faitiches, suivi de Iconoclash, Paris, Éditions La Découverte, Coll. Les empêcheurs de penser en rond, 2009, pp. 135 – 196, p. 139.

une opposition binaire entre « destruction » et « création ». « La “création” elle-même peut être le résultat – tout édifice ancien est là pour en témoigner – de plusieurs de ces intervention dont le nombre dépend du moment à partir duquel on décide de situer l’existence standard de l’objet ».46

2.1.2 «brosser l’histoire à rebrousse-poil »

Si on interprète la notion d’iconoclash ou iconocrise, la destruction incomplète dont parle Bruno Latour, comme une fracture, un moment de scission, on se rapproche des thèses messianiques de Walter Benjamin, les thèses « Sur le concept d’histoire » qui, selon son auteur, avaient l’intention d’ « Établir une scission irrémédiable entre notre façon de voir et les survivances du positivisme »47. Le document Sur le concept d’histoire a été rédigé au début 1940, peu avant le suicide de son auteur.

La thèse VI de ce document, Walter Benjamin alerte l’historien de qu‘ « Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître “tel qu’il a été effectivement”, mais bien plutôt devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un péril ».48

Selon Walter Benjamin, le matérialisme historique croyait naïvement que le cours de l’histoire découlerait automatiquement en direction au triomphe du socialisme. Pourtant, pour « gagner la partie », pour changer le cours de l’histoire il fallait la réinterpréter. Il fallait « lutter contre la vision historique des oppresseurs ».49

Dans ce sens, l’effort de réinterprétation de l’histoire comme elle a été racontée par les vainqueurs, c’est lutter contre l’oubli. Dans la thèse VII, Walter Benjamin présente une de ses expressions les

46 D. Gamboni, La destruction de l’art, op. cit., p. 37.

47 LÖWY Michael, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », Coll. Pratiques Théoriques, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, 137 p., p. 21.

48 Ibidem, p. 50.

plus connues. C’est la tâche du théoricien du matérialisme historique celle de « brosser l’histoire à rebrousse-poil »50. « Brosser l’histoire à rebrousse-poil », c’est relire l’histoire dans l’objectif de saisir ce qui n’a pas été raconté.

Est-ce que l’acte iconoclaste serait-il capable de « brosser l’histoire à rebrousse poil » ? Est-ce qu’une action physique et visuel tel comme la mutilation des symboles de pouvoir peut être comprise comme une forme de réinterprétation de l’histoire ?