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1.3 Nanoparticules métalliques et leurs applications en chimie de produits fins

1.3.2 Hydrosilylation des oléfines

Les polysiloxanes, des squelettes alternés de silicium et d’oxygène, sont considérés comme des polymères d'une polyvalence unique en raison de leur grande durabilité, de leur inertie chimique, de leur résistance mécanique et thermique et de leurs propriétés imperméables, lubrifiantes, optiques et électriques.142 Selon les groupements organiques (aliphatiques ou aromatiques) présents sur l’atome de silicium, ainsi que leur poids moléculaire et leur degré de réticulation, des fluides de silicones, des élastomères ou des résines sont produits et commercialisés sous forme de silicones purs ou de matériaux modifiés par des silicones. En 2016, plus de 2 millions de tonnes de polymères de silicone ont été produites dans le monde par polymérisation de composés organosiliciés.143 Ces matériaux offrent des avantages

essentiels aux segments clés de notre économie, notamment les soins personnels, la santé, l’électronique, les industries automobiles et les industries de la construction.

L’hydrosilylation des oléfines est l’une des méthodes les plus importantes de synthèse des composés organosiliciés. En particulier, cette réaction est utilisée pour la production d’organosilanes par l’addition de liaisons Si-H à des doubles liaisons, procédé favorisé par l’irradiation UV, par la chaleur ou par la présence d’un catalyseur.144 Parmi ces méthodes,

l'hydrosilylation catalysée par un métal de transition est l'approche la plus courante en raison de son activité élevée et des conditions de réaction modérées (Figure 1.5).145

Figure 1.5 Réaction d’hydrosilylation catalytique. Addition de la liaison Si-H à une double

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En général, l’hydrosilylation catalytique est effectuée à l’aide de catalyseurs à base de métaux nobles, principalement du Pt,146 mais également du Pd,147 du Rh148 et du Ru.149 Des complexes de métaux non nobles tels que les complexes de Ni,150, 151, 152 de cobalt153,154, 155 et de fer156, 157, 158 ont été développés en tant qu’alternatives aux catalyseurs nobles coûteux et ont été testés dans la réaction d’hydrosilylation. Malheureusement, à l’exception des complexes bis(imino)pyridine de Fe développés par Chirik,156 aucun de ces complexes de métaux non nobles ne peut rivaliser avec les complexes de Pt en termes d’activité et de sélectivité.

De nombreux articles et revues scientifiques ont fourni des explications sur le mécanisme de la réaction d'hydrosilylation catalysée par les complexes des métaux de transition, mécanisme initialement proposé par Chalck et Harrod en 1965.159 Le mécanisme ci-dessous, initialement

proposé pour la réaction d'hydrosilylation d'oléfine avec un catalyseur de Pt homogène (H2PtCl6), s’est avéré généralement valable pour expliquer l’activité catalytique d’autres

catalyseurs à base de métaux de transitions. Ce mécanisme implique l’addition d’oxydante classique du silane trisubstitué HSiR3 au Pt, la coordination d'oléfine, l’insertion migratoire

de l'oléfine dans la liaison Pt-H, suivie de l’élimination réductrice du produit d'hydrosilylation par la formation d'une liaison S-C considérée aussi comme étape déterminante de la vitesse de réaction. Plus tard, ce modèle a été amélioré par le travail mécanistique fondamental de Lewis et Stein,160 de Roy161 et d’autres.162, 163 Leurs travaux ont soutenu et amélioré la compréhension des étapes fondamentales du mécanisme de Chalk- Harrod pour la réaction d’hydrosilylation catalysée par le Pt au lieu de la version modifiée, qui consistait à insérer la molécule d’oléfine dans la liaison Pt-Si au lieu de la liaison Pt-H (Figure 1.6).164

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Figure 1.6 Mécanisme proposé pour l’hydrosilylation d’oléfines catalysée par Pt.

En résumé, il a été établi que la réaction d'hydrosilylation se déroule de manière homogène et que les espèces catalytiques actives contiennent des liaisons Pt-C et Pt-Si.159 Il a également

été établi que l'insertion d'oléfine dans la liaison Pt-Si n'est pas favorisée, que les réactions d'isomérisation peuvent entrer en compétition avec la réaction d’hydrogénation si le silane n’est pas présent en excès161 et que l’oxygène avait un effet bénéfique sur la réaction

d’hydrosilylation.159, 160 Cependant, le mécanisme de Chalk-Harrod n'explique pas les

périodes variables d'induction, la couleur et le besoin d’oxygène dans la réaction d’hydrosilylation. À la fin des années 80 et au début des années 90, la période d'induction a été attribuée à la formation d'espèces colloïdales actives stabilisées par l'oxygène et responsables de la couleur des produits de réaction.165

Les études approfondies menées par Lewis et Stain et leurs collaborateurs ont conclu que la réaction d'hydrosilylation est un processus moléculaire catalysée par une espèce de Pt active se présentant comme une espèce mononucléaire contenant des liaisons Pt-C et Pt-Si, quelle que soit la nature des réactifs ou la stoechiométrie. Ils ont également conclu que la formation de colloïdes au cours de la réaction d’hydrosilylation est responsable de la désactivation du catalyseur.160

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De plus, le complexe de Pt proposé comme espèce active dans le mécanisme de Chalk-Harrod n'a pas été observé dans le cas de catalyseurs très actifs.160 Une multitude d'études mécanistiques ont été présentées depuis 1965 pour la réaction d'hydrosilylation catalysée par des métaux de transition moins actifs. Cependant, les rapports sur les études cinétiques et mécanistiques de la réaction d’hydrosilylation catalysée par les catalyseurs à base de Pt, et en particulier par les catalyseurs hétérogènes à base de Pt, sont relativement rares, probablement en raison du niveau élevée d'activité catalytique et du caractère extrêmement sensible des intermédiaires de réaction.166

De nos jours, des complexes de Pt homogènes, tels que le catalyseur de Speier167 (H2PtCl6/i-

PrOH), les catalyseurs de Karstedt,168, 169 synthétisés par la réaction de 1,3-divinyl-1,1,3,3-

tétraméthyldisiloxane avec H2PtCl6 ou avec PtCl2(cyclooctadiene) et le catalyseur de

Markó170 connu sur le nom de catalyseur modifié de Karstedt contenant le ligand 1,3-divinyl- 1,1,3,3-tétraméthyldisiloxane et une carbene (Figure 1.7), sont toujours les catalyseurs industriels les plus utilisés.

Figure 1.7 Catalyseur de Karstedt et catalyseur modifié de Karstedt

L’inconvénient de ces catalyseurs est qu'ils sont piégés dans les produits de réaction et ne sont pas récupérables ou réutilisables. Leurs coûts pourraient représenter jusqu'à 30 % du coût des produits finis.171 De plus, certains produits d’hydrosilylation sont colorés en raison d’une contamination par les métaux qui n’est pas conforme aux spécifications et, par conséquent, ces produits doivent être distillés. Cependant, le processus de distillation entraine

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une consommation d’énergie élevée due au chauffage et au vacuum utilisé, ce qui réduit le rendement du produit et augmente considérablement le coût du produit fini.

Les ressources limitées et les coûts élevés des métaux précieux, ainsi que leur demande croissante, ont fait de la faible présence de métaux précieux dans les produits à base d'organosilicium et de leur récupération un sujet important ces dernières années.172 Afin de réduire les coûts et d'améliorer la pureté de ces produits, utilisés de plus en plus dans le domaine médical, des efforts de recherche intensifs ont été déployés pour concevoir de nouveaux catalyseurs homogènes et de nouveaux catalyseurs hétérogènes efficaces et réutilisables.173 Un exemple de nouveau catalyseur homogène est le complexe de Pt à base d’un carbène N-hétérocyclique commercialisé depuis le début des années 2000. Ce catalyseur homogène a montré une activité catalytique, une sélectivité et une stabilité supérieures à celles des catalyseurs de Speier et de Karstedt pour des teneurs plus faibles en Pt. De plus, la présence de sous-produits indésirables n'a pas été observée lorsque de l’hydrosilane Si-H a été ajouté pour former la liaison Si-C requise.174 Un autre exemple de nouveau catalyseur homogène développé est représenté par la série des complexes de pyridine diimine de Co(II)bis(carboxylate) développée par l’équipe de Chirick.171 Cependant, ces catalyseurs ne sont ni récupérables ni réutilisables.

L'utilisation de catalyseurs hétérogènes à base de métaux précieux représente une approche viable pour la fabrication de produits organosiliciés incolores à très faible teneur en métaux. Une première classe de catalyseurs hétérogènes de Pt(0) utilisée dans la littérature pour l’hydrosilylation d'alcènes est représentée par les complexes de Pt(0) supportés.175 Dans les

essais catalytiques, ces catalyseurs ont atteint des activités avec un TON de 104. Leurs faibles performances catalytiques par rapport au complexe de Karstedt homogène ont été attribuées à la faible stabilité des complexes de Pt, ce qui a été expliqué par une faible liaison entre l’atome de Pt et le support.176 Parmi les complexes de Pt supportés et testés dans la réaction

d’hydrosilylation le complexe de Karstedt immobilisé sur un support de silice s’est le plus démarqué. En 2003, Miao et coll.177 ont rapporté la préparation d’un catalyseur hétérogène de Pt sur le modèle de catalyseur de Karstedt. À cette fin, la surface du support en silice a été functionalisée avec du vinyltriéthoxysilane. Le matériau obtenu a ensuite été traité avec une

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solution aqueuse d’acide hexachloroplatinique pour former un complexe similaire au complexe de Karstedt (Figure 6). Le catalyseur hétérogène obtenu a montré une activité catalytique éleveé et une remarquable stabilité. Il s’est avéré très actif dans la réaction d’hydrosilylation à température ambiante et sous pression atmosphérique (2,25 103 TONs).

Le catalyseur a été réutilisé dans cinq cycles sans perte d’activité catalytique.

Une deuxième classe de catalyseurs hétérogènes étudiés en hydrosilylation est représentée par les NPs de Pt déposés sur des supports de carbone avec des teneurs en Pt de 1-5 % massique. En général, cette classe de catalyseurs hétérogènes (Pt/C) a montré de meilleures performances catalytiques que les complexes de Pt supportés, jusqu’à des activités catalytiques avec des TONs d’ordre 106, mais dans des conditions réactionnelles plus sévères

pour atteindre une sélectivité élevée (des températures de 130°C à 160 °C).178

Une troisième classe de catalyseurs hétérogènes étudiés est representée par les NPs de Pt supportées sur des oxydes ou des polymères. Ces catalyseurs ont présenté de meilleures performances catalytiques que les complexes de Pt supportés et des performances quasi similaires à celles de Pt/C. En 2011, Wawrzynczak et coll.179 ont montré que le Pt sur un support de polystyrène-divinylbenzène s’est avéré stable pendant plusieurs cycles catalytiques, mais à une activité catalytique inférieure à celle des complexes de Pt supportés ou de Pt/C. En 2012, Bandari et coll.180 ont rapporté la synthèse d’un catalyseur hétérogène à base de NPs de Pt supportées sur un monolithe de type polymère. Ce catalyseur a montré une stabilité plus faible, la lixiviation du Pt dans le produit final étant plus élevée. En 2014, Bai a rapporté l’utilisation de plusieurs catalyseurs hétérogènes au Pt en mode discontinu et continu afin d’obtenir des produits incolores et moins contaminés par du Pt. Les valeurs de la lixiviation de Pt dans le produit liquide après filtration ont été inférieures à 1 ppm. Cependant, ces concentrations représentent 5 % de la quantité totale de Pt utilisée.181

Parmi les nouveaux catalyseurs solides à base de Pt rapportés, deux présentent une forte activité catalytique et une résistance à la lixiviation élevées pour la réaction d'hydrosilylation : le catalyseur hétérogène obtenu par l’immobilisation du complexe de Karstedt sur un support en silice177 et le catalyseur hétérogène à base de NPs de Pt intégrées

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dans la porosité d'une silice mésostructurée.182 Ces catalyseurs sont capables d’atteindre des TONs de 105 et des TOFs de 105 h-1, tout en étant stables à l'air.

Un progrès remarquable dans la réaction d'hydrosilylation a été récemment réalisé par Beller et ses collaborateurs.183 Ils ont rapporté la synthèse d’un catalyseur hétérogène d'Al2O3 de

type nanorodes décorées avec du Pt à l’état atomique (SAC : single-atom catalyst). Dans leur étude, les auteurs ont montré que pour concevoir un tel catalyseur, le choix du support est essentiel car il permet la création de sites métalliques à la surface et empêche la formation de NPs métalliques. Le nouveau catalyseur, Pt/NR-Al2O3-IP, a sélectivement catalysé

l'hydrosilylation d’une large gamme de substrats avec un TON d’ordre 105. De nombreuses oléfines portant différents groupes fonctionnels ont été converties quantitativement en produits silylés correspondants. Le catalyseur a également présenté une excellente stabilité sur six cycles consécutifs. Cependant, ces résultats ont été obtenus dans des conditions assez séveres, plus spécifiquement, à 100-120 °C sous pression d’azote de 10 atm.

L’avantage d’utiliser des catalyseurs hétérogènes dans l'hydrosilylation des olefines est principalement obtenu par la simplicité de leur séparation et de leur réutilisation et par la qualité des produits organosiliciés obtenus, caractérisés par une faible teneur en métal. Une fois que les catalyseurs hétérogènes de métaux nobles ont été consommés, ils peuvent être traités de sorte que les métaux soient récupérés sous forme élémentaire. Ces avantages peuvent inclure des améliorations de la qualité des produits organosiliciés et des économies de coût significatives.

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