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Chapitre 1 : Hydroboration d’alcynes catalysée par des complexes de

I. Rappels bibliographiques

I.2. Hydroboration d’alcynes

I.2.1. Hydroboration d’alcynes ‒ Résultats préliminaires

L’hydroboration, réaction impliquant l’addition d’une liaison B‒H sur une insaturation, est l’une des réactions les plus étudiées en synthèse organique. Le bore possède trois électrons de valence ce qui implique que les composés borés sont déficients en électrons de par la présence d’une orbitale p vacante centrée sur le bore. Dans le cas d’hydrocarbures insaturés, la réaction d’hydroboration en présence de BH3 est connue pour procéder de la manière suivante (Schéma I.16).30 Un recouvrement orbitalaire entre le système π de l’insaturation et l’orbitale p vacante du bore conduirait à la formation d’un état de transition à quatre centres. La liaison carbone‒ bore serait la première à se créer ce qui impliquerait une polarisation du système π due à la

22 délocalisation de sa densité électronique vers l’atome de bore. Logiquement, le défaut de charge apparaît sur le carbone le plus prompt à stabiliser un intermédiaire de type carbocationique, ceci justifiant la régiosélectivité finale observée après formation de la nouvelle liaison C‒H. En conclusion, pour ces conditions d’hydroboration, la réaction procède selon une addition syn de la liaison B‒H sur l’insaturation avec une régiosélectivité de type anti-Markovnikov, considérant le fait que l’hydrogène se retrouve finalement sur le carbone le plus substitué. Toutefois, dans des conditions moins classiques d’hydroboration (substituants sur l’insaturation, utilisation d’un borane plus sophistiqué), les paramètres stériques sont à prendre en compte tout autant que les paramètres électroniques pour expliquer la régiosélectivité de la réaction.

Schéma I.16. Mécanisme général de l’hydroboration d’oléfines non catalysée

Si cette réaction chimique est encore aujourd’hui l’une des réactions clés en synthèse organique, c’est parce qu’elle permet d’accéder à des composés borés qui représentent des précurseurs à haute valeur ajoutée en synthèse. En particulier, l’hydroboration d’alcynes conduit à la formation de vinylboranes qui sont des intermédiaires de choix en synthèse organique. Outre leur inhérente stabilité, leur faible toxicité, et leur compatibilité avec un grand nombre de groupements fonctionnels, ils sont utilisés comme précurseurs pour la formation sélective de liaisons C‒C par des réactions de couplage croisé ou encore pour la formation d’amines allyliques par la réaction de Petasis (Schéma I.17). Parce que l’intérêt majeur de ces composés est leur utilisation en synthèse organique, une attention particulière des chercheurs est portée depuis plus d’un demi-siècle sur le contrôle des régio- et stéréosélectivités de cette transformation, qui constitue un facteur majeur au succès de cette stratégie en synthèse. En effet, comme dans le cas précédent des réactions d’hydrosilylation d’alcynes, quatre produits différents peuvent être obtenus.

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Schéma I.17. Hydroboration d’alcynes, enjeux et intérêts

L’hydroboration a été découverte en 1956 par H. C. Brown,31 qui a par la suite largement contribué au développement de cette méthodologie,32 à tel point qu’il a été récompensé du prix Nobel de Chimie en 1979 pour l’intégralité de sa contribution dans le domaine de la chimie du bore. Il a d’abord remarqué que les oléfines étaient capables de réagir soit avec du borohydrure de sodium en présence d’un acide de Lewis, soit avec du diborane, pour former les trialkylboranes correspondants (Schéma I.18). A partir de cette première observation, il a réalisé d’importants travaux mettant en évidence la possibilité de réaliser des réactions d’hydroborations d’alcynes, de dérivés carbonylés et de nitriles.

Schéma I.18. Premières hydroborations d’alcènes

En ce qui concerne l’hydroboration d’alcynes, le premier exemple à avoir été décrit est celui de l’hydroboration d’alcynes terminaux et internes portant des substituants aliphatiques.33 A ce stade, il est primordial de distinguer les alcynes vrais des alcynes disubstitués, car leurs réactivités, ainsi que les problématiques qui leurs sont associées sont tout à fait différentes.

De manière générale, il a été observé que dans le cas des alcynes terminaux, le produit d’hydroboration est plus réactif que l’alcyne de départ ce qui a pour conséquence de favoriser

31 H. C. Brown, B. C. Subba, J. Am. Chem. Soc. 1956, 78, 5694‒5695.

32 H. C. Brown, Hydroboration, W. A. Benjamin, New York, 1962.

24 la dihydroboration à défaut de la monohydroboration (Schéma I.19, équation 1). Pour pallier ce problème, il est nécessaire d’utiliser des boranes secondaires portant des substituants encombrants (Schéma I.19, équation 2). C’est ainsi que le disiamylborane (bis(1,2-diméthylpropyl)borane) a fait son apparition parmi les réactifs classiques d’hydroboration. Brown a montré par le même temps que ces vinylboranes pouvaient être transformés en alcènes et aldéhydes respectivement par des réactions de protodéborylation et d’oxydation. Si la réduction de l’alcyne en alcène ne nécessite pas de régiosélectivité, ni de stéréosélectivité particulière pour l’étape d’hydroboration, ce n’est pas le cas de la réaction d’oxydation. En effet la transformation de type anti-Markovnikov de l’alcyne en aldéhyde et non en cétone repose sur une étape d’hydroboration régiosélective où le groupement boré se retrouve en position terminale.

Schéma I.19. Hydroboration d’alcynes terminaux et fonctionnalisation

Pour ce qui est des alcynes internes, Brown a montré que ces derniers posaient moins de problèmes lorsqu’ils étaient mis en réaction avec du diborane, puisque le produit d’hydroboration est moins réactif que l’alcyne de départ. Par conséquent, la dihydroboration est défavorisée et la réaction s’arrête au stade de la monohydroboration (Schéma I.20, équation 1). Ceci étant dit, un problème majeur avec les alcynes disubstitués est la régiosélectivité de la réaction. Même si ces derniers réagissent très bien en présence de dialkylboranes, pour donner des produits de syn addition de la liaison B‒H, cette étape n’est cependant pas régiosélective. Contrairement aux alcynes terminaux, la différence entre les deux carbones de la triple liaison n’est pas suffisante pour permettre une distinction nette ce qui entraîne de fait l’obtention d’un mélange de régioisomères. Ceci ne permet donc pas de réaliser la transformation efficace et sélective des alcynes en cétones correspondantes, mais peut tout de même permettre la

25 réduction des alcynes en oléfines (Z) par ajout d’acide acétique sur les vinylboranes préalablement obtenus (Schéma I.20, équation 2).

Schéma I.20. Hydroboration d’alcynes internes et fonctionnalisation

Ce dernier exemple met en lumière toute la difficulté et les enjeux de cette réaction : si l’objectif est d’utiliser les vinylboranes pour n’importe quelle autre fonctionnalisation que la réaction de réduction, alors il est nécessaire de trouver une méthode d’hydroboration stéréo- et régiosélective.

A cela s’est ajoutée la découverte de la réaction de couplage croisé de Suzuki-Miyaura, en 1979.34 Cette formidable transformation utilisée aujourd’hui autant en laboratoire qu’en industrie est la réaction entre un dérivé halogéné ou pseudo-halogéné et un dérivé boré en présence d’un catalyseur organométallique (le plus classiquement un complexe de palladium et ses ligands) et d’une base (de type HO ou RO). Le couplage de Suzuki-Miyaura le plus couramment utilisé met en jeu des acides boroniques. Les esters boroniques sont des substrats tout aussi viables pour cette réaction et malgré une économie d’atomes moindre, ils jouissent d’une meilleure stabilité vis-à-vis de l’oxydation et ne sont pas sensibles à la déshydratation. Ceci constitue un avantage considérable par rapport à l’utilisation d’acides boroniques, susceptibles de se déshydrater pour former des boroxines qui sont des réactifs relativement inertes et donc forcément moins intéressants pour les couplages.

De la même manière, la plus grande stabilité de la liaison B‒O par rapport à la liaison B‒H a conduit à un large développement de l’hydroboration d’alcynes à partir de dérivés dialkoxyboranes. Les enjeux étaient clairs : augmenter la sélectivité des réactions d’hydroboration grâce à la présence de substituants encombrants sur le bore sans en perdre

26 l’efficacité en termes de conditions réactionnelles et permettre la synthèse directe de substrats post-fonctionnalisables. Les deux dialkoxyboranes qui se sont distingués sont le catécholborane et le pinacolborane (Figure I.1).

Figure I.1. Principaux dialkoxyboranes utilisés pour l’hydroboration

Brown a travaillé intensivement sur l’hydroboration avec le catécholborane, montrant que malgré une réactivité moindre des dialkoxyboranes, il était possible de gagner en régiosélectivité par rapport aux analogues alkylboranes, grâce à l’encombrement stérique induit par le groupement catéchol.35 Cependant, les dérivés du catécholborane sont connus pour leur sensibilité à l’hydrolyse, ce qui a conduit à rechercher d’autres dérivés moins sensibles pour cette transformation, comme le pinacolborane.

L’hydroboration d’alcynes utilisant le pinacolborane a été réalisée pour la première fois par Knochel en 1992 (Schéma I.21).36 Les conditions utilisées sont particulièrement douces, et malgré deux équivalents de borane nécessaires au succès de la réaction, celle-ci reste très efficace notamment car elle jouit de bonnes régio- et stéréosélectivités en faveur du produit (E)-β de type anti-Markovnikov. Les produits formés présentent également une certaine stabilité et sont purifiables par chromatographie sur gel de silice. Il est cependant à noter que seuls des alcynes vrais ont permis d’obtenir de bons résultats dans ces conditions. Un alcyne interne portant un groupement méthyle par exemple provoque une baisse significative de la régiosélectivité de la réaction. De plus, cette méthode a montré par la suite des résultats aléatoires, selon la nature des groupements portés par la triple liaison.

Schéma I.21. Hydroboration d’alcynes vrais avec du pinacolborane

35 H. C. Brown, S. K. Gupta, J. Am. Chem. Soc. 1975, 97, 5249‒5255.

27 Au vu des difficultés associées à l’hydroboration d’alcynes, en termes de réactivité mais surtout en termes de sélectivité, des méthodes catalytiques ont été envisagées. En effet, il faut noter que le pinacolborane, malgré ses avantages, est moins réactif que le catécholborane pour lequel le bore est davantage électron-déficient étant donné la délocalisation possible des doublets des deux oxygènes. En plus de cette réactivité moindre du pinacolborane, il faut noter aussi que pour des substrats difficiles comme les alcynes internes, la réaction d’hydroboration ne marche pas sans catalyseur dans la plupart des cas ou nécessite des conditions bien drastiques. Pour toutes ces raisons, un certain nombre de méthodes ont été envisagées pour réaliser l’hydroboration d’alcynes catalysée, et comme bien souvent, deux stratégies distinctes se sont révélées : l’organocatalyse et la catalyse faisant appel à des métaux de transition.