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1. Introduction

1.1. L'homophobie

Aux abords des années 1970 débutent les premières recherches sur les attitudes négatives concernant les orientations sexuelles. Dans ce contexte, Weinberg, en 1972, propose le terme "homophobie", qui deviendra très populaire, pour décrire "la peur d’être en interaction avec des personnes homosexuelles" (Weinberg, 1972, cité par O’Donohue &

Caselles, 1993, p. 180 ; traduction libre).

Un an plus tard, l’homosexualité, qui depuis 1952 était considérée comme un trouble sexuel, est retirée du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) de l’Association Américaine de Psychiatrie (O'Donohue & Caselles, 1993). Après ces modifications nosologiques, il commence à être suggéré que l’homophobie, plus que l’homosexualité elle-même, soit la source des difficultés et du mal être rencontrés par les personnes homosexuelles. Dès lors, l’homophobie se voit attribuer de nombreuses définitions en fonction de la perspective théorique adoptée et de l’évolution des normes sociales. Certains auteurs définissent par exemple l’homophobie comme le fait de ne pas considérer le style de

vie homosexuel à l’égal du style de vie hétérosexuel (Morin & Garfinkle, 1978). D’autres encore considèrent l’homophobie comme reflétant la peur d’être catégorisé soi-même comme homosexuel (Kimmel, 1997).

La définition originelle de l’homophobie (Weinberg, 1972) souligne son fondement dans la peur conformément à son étymologie (i.e., phobie). Le terme phobie se réfère généralement à une peur irrationnelle à l’égard de l’objet de la phobie. Cependant, selon O’Donohue & Caselles (1993), l’homophobie peut, dans certains cas, ne pas être irrationnelle.

Selon ces auteurs, si pour certaines personnes l’homosexualité est moralement inadmissible, il n’est pas irrationnel de vouloir éviter les personnes homosexuelles et de développer une anxiété en présence de ces individus. Par ailleurs, il y a de plus en plus d’évidences que les émotions principales associées à l’homophobie sont la colère et le dégoût plus que la peur (Bernat, Calhoun, Adams, & Zeichner, 2001). Ainsi, pour s’éloigner de la connotation phobique de la définition originale qui n'est pas toujours justifiée, et parer au fait qu’elle n’inclut pas les attitudes culturelles qui encouragent la dépréciation des personnes non hétérosexuelles, certains auteurs préfèrent parler d’homonégativité (Morrison & Morrison, 2002). L’homonégativité se réfère à tout affects ou attitudes négatives envers l’homosexualité incluant les attitudes culturelles qui soutiennent ces différents préjugés (Mayfield, 2001).

Actuellement, on peut définir l’homophobie d’une façon plus large en y incluant le concept d’homonégativité tel que cela a été proposé par Ryan et Blascovich (2015). Selon ces auteurs, l’homophobie fait référence à "toutes les pensées, les attitudes ou les comportements négatifs détenus ou promulgués par des individus ainsi que toutes les croyances religieuses ou politiques qui désavantagent les minorités sexuelles" (p. 719 ; traduction libre).

Alors que les causes exactes de l’homophobie ne sont pas définies, certains principes psychanalytiques postulent que l’homophobie est le résultat de pulsions homosexuelles refoulées ou d'une homosexualité latente1 (Adams, Wright, & Lohr, 1996). Effectivement, dans la tradition psychanalytique, chaque personne a une vision idéalisée d’elle-même (e.g.,

"je suis totalement hétérosexuel") qui ne correspond pas toujours à la réalité. Lorsque des pensées ou des sentiments menacent cet idéal (e.g., des pulsions homosexuelles), la personne va mettre en place des mécanismes de défense. L'un de ces mécanismes de défense consiste à adopter des valeurs ou à s’engager dans des comportements qui sont en opposition avec ces sentiments ou ces impulsions jugés inacceptables (Weinstein, Ryan, DeHann, Przybylski,

1 L'homosexualité latente peut être définie comme un "arousal homosexuel" (i.e., intérêt homosexuel) qui est ignoré ou dénié (West, 1977, cité par Adams, Wright, & Lohr, 1996).

Legate, & Ryan, 2012). Ainsi, une homosexualité non assumée pourrait conduire certaines personnes à réprimer leurs désirs homosexuels non conscients ou déniés par des comportements homophobes.

En 1996, Adams et al. sont les premiers à tester de manière empirique le lien présupposé entre l’homophobie et l'homosexualité latente. Plus spécifiquement, ils examinent si des hommes homophobes vont montrer plus d’intérêt sexuel lors de la présentation de stimuli homosexuels que des hommes non homophobes. Dans leur étude, 64 étudiants hétérosexuels (âge moyen= 20.3 ans) en psychologie de l'université de Géorgie ont rempli, dans un premier temps, l'index of homophobia (Hudson & Ricketts, 1980). L'index of homophobia a été utilisé pour évaluer le degré d'homophobie propre à chaque participant et a permis aux auteurs de les diviser en deux groupes: un groupe de participants homophobes et un groupe de participants non homophobes. Dans un deuxième temps les participants étaient invités à visionner 3 types de vidéos érotiques très explicites mettant en scène des activités hétérosexuelles, des activités homosexuelles masculines et des activités homosexuelles féminines. Pendant la diffusion des vidéos, l'intérêt sexuel des participants était mesuré par pléthysmographie pénienne. Cette technique permet d’enregistrer les variations de diamètre de la verge, même celles imperceptibles par le participant (Vulgaris médical, récupéré le 6 août 2015 de http://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie-medicale/plethysmographie-penienne). Les résultats ont révélé que, lors de la présentation des vidéos homosexuelles masculines, 20% des participants homophobes ne manifestaient pas d'intérêt sexuel et 54%

manifestaient une forte augmentation de la circonférence du pénis (i.e., > 12 mm). Plus spécifiquement, l'ANOVA réalisée par les chercheurs révèle que seuls les participants homophobes manifestent une augmentation de la taille de leur pénis lors des vidéos homosexuelles. Ces résultats soulignent que les participants homophobes, contrairement aux participants non homophobes, manifestent un intérêt sexuel lorsqu’ils sont exposés à des stimuli homosexuels. Pour ces participants homophobes, il existerait donc une inconsistance entre leur jugement verbal explicite (e.g., "je n’aime pas les homosexuels, ils ne m’attirent pas") et leur manifestation comportementale (e.g., réaction physiologique manifestant un intérêt).

Pour rendre compte de cette inconsistance comportementale, les modèles duaux semblent particulièrement bien adaptés. En effet, ils permettent de comprendre pourquoi, à certains moments, nos actions ne sont pas en accord avec nos buts et nos valeurs. Plus

spécifiquement, les modèles duaux proposent que les comportements ne soient pas uniquement guidés par les attitudes raisonnées, les valeurs et les croyances des individus mais aussi par des processus plus automatiques et impulsifs. Parmi ces modèles, le modèle réflexion-impulsion (MRI ; Strack & Deutsch, 2004) semble particulièrement bien adapté à la problématique soulevée par Adams et al. (1996) puisqu’il modélise explicitement les conflits qui peuvent exister entre les processus raisonnés, contrôlés et les processus plus involontaires.

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