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Cette étude a été réalisée dans le but d’illustrer les conflits possibles entre les influences réfléchies et impulsives (Strack & Deutsch, 2004) dans le cadre de l’homophobie.

Plus précisément, nous avons cherché à étendre les résultats de l’étude d’Adams et al. (1996) ayant mis en évidence que les hommes homophobes pouvaient manifester un intérêt à l'égard de stimuli de nature homosexuelle. Cependant, contrairement à ces derniers, nous avons pris en compte que les individus pouvaient aussi différer dans leurs impulsions spécifiques envers les stimuli homosexuels. En conséquence, basé sur le MRI, l’objectif principal de notre étude était d’examiner si l'attraction pour les stimuli homosexuels chez des hommes homophobes dépendait de leurs impulsions spécifiques (i.e., leurs tendances impulsives d’approche) vis-à-vis des stimuli homosexuels. Dans l’ensemble, les résultats ont mis en évidence que, comme attendu, l'attraction envers les stimuli de nature homosexuelle chez les participants homophobes dépendait de leur tendance impulsive: seuls les participants qui avaient un niveau d'homophobie élevé avec une forte tendance impulsive d’approche des stimuli de nature homosexuelle manifestaient un intérêt plus important (i.e., temps de regard et évaluation explicite) pour les images de nature homosexuelle qu'hétérosexuelle.

Tout d'abord, conformément au MRI (Strack & Deutsch, 2004), nous avons retrouvé des différences interindividuelles au sein des processus impulsifs. Certains participants avaient une forte tendance à approcher les stimuli de nature homosexuelle, tandis que d'autres manifestaient une faible tendance à approcher ces stimuli. Deuxièmement, cette étude à bien relevé l'existence d'un conflit entre les attitudes raisonnées et les processus impulsifs puisque nous avons retrouvé que certains participants avaient des attitudes négatives à l'égard de l'homosexualité (i.e., un niveau d'homophobie élevé) tout en ayant un processus impulsif orienté positivement (i.e., une forte tendance automatique d'approche) vers les stimuli de nature homosexuelle.

Concernant nos prévisions, nous nous attendions pour notre hypothèse principale à ce que, chez les participants avec un haut niveau d'homophobie, la tendance impulsive à approcher les stimuli homosexuels (i.e., IAH) soit associée à une augmentation du temps de regard pour les images de nature homosexuelle mais pas pour les images de nature hétérosexuelle. Conformément à cette hypothèse, les résultats ont mis en évidence que chez

les participants avec un niveau d’homophobie élevé, l’IAH était positivement lié au temps de regard pour les images homosexuelles mais pas pour les images hétérosexuelles. Plus précisément, les participants avec un haut niveau d'homophobie qui ont une forte tendance impulsive à approcher les stimuli de nature homosexuelle vont regarder plus longtemps les images à caractère homosexuel qu'hétérosexuel dans la tâche de visualisation d’images. Ceci témoigne d’un plus grand intérêt pour les stimuli homosexuels qu'hétérosexuels (Friese &

Hofmann, 2012 ; Gress, 2005 ; Harris, Rice, Quinsey, & Chaplin, 1996). A l'inverse, ces participants qui avaient un niveau d'homophobie élevé ne regardaient pas plus longtemps les images de nature homosexuelle quand ils avaient un IAH bas. Ainsi, en accord avec le MRI, nous retrouvons que les comportements spontanés (tel que le temps de regard) sont particulièrement bien prédits par les processus impulsifs (Friese et al., 2008 ; Hofmann, Friese, & Wiers, 2008). Par ailleurs, ce résultat montre que certains homophobes peuvent manifester un intérêt envers des stimuli homosexuels en dépit d'un système réfléchi basé sur des valeurs ou des principes négatifs à l'égard de l'homosexualité. Cependant, ce phénomène ne semble concerner que les personnes homophobes qui ont créé des associations positives vis à vis de l'homosexualité au sein de leur SI (i.e., une tendance automatique à approcher les stimuli homosexuels).

Nos résultats sont concordants avec ceux de l'étude d'Adams et al. (1996) puisque nous retrouvons qu'une partie des participants homophobes montrent plus d'intérêt pour les stimuli de nature homosexuelle qu'hétérosexuelle. Néanmoins, en prenant en compte les différences interindividuelles dans la force et la direction du système impulsif comme cela est suggéré par le MRI, nous apportons plus de précisions sur les résultats d'Adams et collaborateurs (1996). Effectivement, comme nous venons de le voir, seuls les participants homophobes avec un système impulsif orienté positivement vers les stimuli de nature homosexuelle vont montrer un intérêt pour ces stimuli. En d'autres termes, les conclusions de l'équipe d'Adams sont retrouvées mais ne s'appliquent qu'aux participants homophobes qui ont une tendance automatique à approcher les stimuli homosexuels. Par ailleurs, considérer la variabilité interindividuelle dans les processus impulsifs pourrait expliquer pourquoi dans l'étude d'Adams, certains homophobes n'ont pas eu une augmentation du diamètre de leur pénis. En effet, il se pourrait que les homophobes qui n'ont pas manifesté d'intérêt sexuel lors de la présentation de stimuli homosexuels soient ceux qui n'ont pas de processus impulsifs orientés positivement vers l'homosexualité. Inversement, ceux qui ont manifesté un intérêt sexuel lors de la présentation de stimuli homosexuels dans l'étude d'Adams, pourraient être ceux qui ont des processus impulsifs positifs à l'égard de l'homosexualité.

Dans la deuxième partie de notre première hypothèse, nous nous interrogions sur l'effet que pouvait avoir l'IAH sur le temps de regard des participants qui avaient un faible niveau d'homophobie. Les résultats de nos analyses montrent que, chez ces participants peu homophobes, l'IAH n'est pas significativement relié au temps de regard des images de nature homosexuelle ou hétérosexuelle. Plus spécifiquement, les participants peu homophobes regardent plus longtemps les images de nature hétérosexuelle que les images de nature homosexuelle, quel que soit leur niveau d'IAH. Nous retrouvons donc que les processus impulsifs (i.e., IAH) de ces participants n'influencent pas le temps de regard, malgré l'aspect peu contrôlable de ce dernier. Une explication possible pour ce résultat serait que, chez les participants qui ont un niveau d'homophobie élevé, la perception de stimuli homosexuels peut être vécue comme une situation potentiellement stressante en raison de leurs valeurs négatives et de leur mépris vis-à-vis de l'homosexualité. A l'inverse, pour les participants qui ont un niveau d'homophobie faible, la perception de stimuli homosexuels ne devrait pas être vécue comme une situation stressante puisque pour ces derniers, l’homosexualité n’est pas perçue comme particulièrement négative. Or, dans les situations où le niveau de stress ressenti par l'individu est bas, c'est le système réfléchi qui a le plus d'influence sur le comportement (Mischel & Ayduk, 2004). En effet, sans condition particulière, chaque individu est capable de réguler son comportement en accord avec ses normes personnelles et ses valeurs (Hofmann, Friese, & Strack, 2009). Par conséquent, nous pensons qu'il est possible qu'en raison d'un niveau de stress peu élevé, les participants faiblement homophobes ont plus regardé les images de nature hétérosexuelle qu'homosexuelle en accord avec leur préférence sexuelle consciemment accessible dans le système réfléchi (i.e., leur hétérosexualité).

Pour ce qui est de notre deuxième hypothèse, nous nous attendions à ce que la tendance impulsive à approcher les stimuli homosexuels (i.e., IAH) n’ait aucun effet sur l’évaluation explicite des images au vu de l’aspect fortement contrôlable de ce type de comportement. Les résultats de nos analyses semblent valider cette hypothèse pour les participants qui ont un niveau d'homophobie bas. En effet, pour ces derniers, les analyses révèlent que l'IAH n'est pas relié à l'évaluation explicite des images quel que soit leur nature (homosexuelle ou hétérosexuelle). De plus, les résultats montrent qu'ils évaluent plus positivement les images de nature hétérosexuelle qu'homosexuelle. Ce résultat est cohérent avec les suggestions du MRI concernant le fait que les processus impulsifs (i.e., IAH) ont moins d'influence que les processus réfléchis sur le comportement lorsqu'il est contrôlable (e.g., une évaluation explicite). En ce sens, les participants évaluent plus positivement les

images de nature hétérosexuelle comparativement aux images de nature homosexuelle, en accord avec leur orientation hétérosexuelle.

Cette évaluation plus négative des images de nature homosexuelle comparativement aux images de nature hétérosexuelle est retrouvée chez les participants qui ont un niveau d'homophobie élevé. En effet, les analyses révèlent qu'ils évaluent les images de nature homosexuelle significativement moins plaisantes que les images de nature hétérosexuelle.

Cela est conforme à leur dépréciation de l'homosexualité (i.e., leur niveau élevé d'homophobie) ainsi que, comme pour les participants peu homophobes, à leur hétérosexualité. Cependant, malgré le fait que l'évaluation des images soit parfaitement maîtrisable, et que par conséquent nous ne nous attendions à aucune influence des processus impulsifs, les résultats ont montré que chez les participants avec un niveau d'homophobie élevé, les processus impulsifs vont avoir le même effet que celui que nous avons observé pour le temps de regard. En effet, nos analyses révèlent que, chez ces participants, l'IAH est positivement relié à l'évaluation explicite des images de nature homosexuelle. Effectivement, les participants homophobes avec un IAH fort évaluent explicitement les images homosexuelles de façon plus négative que les images hétérosexuelles, mais cette évaluation reste, tout de même, moins négative que celles des participants homophobes qui ont un IAH bas. En d'autres termes, plus les participants homophobes ont une forte tendance impulsive vis-à-vis des stimuli homosexuels, plus l'évaluation explicite de ces stimuli est positive.

Comment expliquer que, pour ces participants, un comportement dont on pourrait penser qu'il est totalement sous un contrôle conscient (i.e., l'évaluation explicite), soit influencé par les processus impulsifs (i.e., IAH)? Une explication possible est que comme nous l'avons dit ci-dessus, la perception de stimuli homosexuels pourrait générer un état de stress pour les participants qui ont un niveau d'homophobie élevé. Dans ces situations particulièrement stressantes, l'influence des processus réfléchis sur les comportements est diminuée alors que l'influence des processus impulsifs est augmentée (Mischel & Ayduk, 2004). Ainsi, il se pourrait qu'en raison d'un fort état de stress, les tendances automatiques d'approche des stimuli homosexuels (i.e., les précurseurs impulsifs) des participants qui ont un niveau d'homophobie élevé aient une influence sur l'évaluation explicite de ces stimuli. Ce résultat est particulièrement intéressant car il met en évidence que les processus impulsifs peuvent, dans certaines circonstances (i.e., une situation de stress pour les participants homophobes) impacter des comportements qui, a priori, apparaissent totalement contrôlables. Toutefois, il est intéressant de noter que le pourcentage de variance expliquée est plus grand pour le temps de regard que pour l'évaluation explicite. En conséquence, même si les processus impulsifs

peuvent impacter les comportements contrôlables, ils semblent garder, malgré tout, plus d'influences sur les comportements peu contrôlables.

Les résultats des modèles mixtes sur le temps de regard ont aussi révélé un résultat non attendu mais néanmoins intéressant. En effet, nous avons retrouvé que les participants avec un niveau d'homophobie élevé regardaient moins longtemps les images, quel que soit leur nature homosexuelle ou hétérosexuelle, comparé aux participants qui avaient un niveau d'homophobie faible. Nous pouvons expliquer cela au regard des caractéristiques de l’échelle moderne d’homonégativité (Morrison & Morrison, 2002) utilisée dans notre étude.

Effectivement, cette dernière corrèle positivement avec des échelles évaluant l'implication religieuse (Morrison & Morrison, 2002). Ainsi, plus les individus sont homophobes, plus ils ont tendance à avoir des attitudes et des comportements religieux. Il se pourrait que la nature sexuelle des images soumises aux participants aille à l'encontre de certains principes religieux. Par conséquent, les participants pourraient être mal à l'aise avec ces images et les regarder moins longtemps.

Malgré tous les soins apportés à la réalisation de cette étude, nous sommes conscients de certaines de ses limites. La principale limite que nous pouvons soulever concerne notre échantillon. En effet, il s’agissait de jeunes étudiants en première année de psychologie à l’université de Genève. Ainsi, cet échantillon peut avoir des caractéristiques qui lui sont spécifiques et rendre difficile la généralisation des résultats à la population générale. Par exemple, nous avons retrouvé que nos participants n'avaient pas globalement un fort niveau d'homophobie. Or nous ne pouvons pas exclure que le niveau d'homophobie dans la population générale soit plus fort que celui que nous avons observé. De plus nos analyses ne portent que sur 38 participants, ce qui reste une taille d’échantillon assez faible, limitant encore la généralisation des résultats. Il serait alors nécessaire de pouvoir répliquer cette étude sur un échantillon plus grand et plus représentatif de la population générale dans des études futures.

Une seconde critique que nous pouvons faire sur notre étude concerne le fait que nous ne pouvons pas être certains que les participants regardaient bien les images qui apparaissaient sur l'écran lors de la tâche de visualisation d'images. En effet, comme le participant était seul pour cette tâche, on ne peut pas exclure que son regard se portait ailleurs que sur l'écran (e.g., sur d'autres objets du laboratoire ou sur son téléphone portable) ou qu'il se portait sur des caractéristiques non pertinentes de l'image (e.g., la mer dans les

photographies de couples se baladant sur une plage). Ainsi, il est possible que certains temps de regard ne reflètent pas tout à fait un intérêt pour l'image. Nous aurions pu contrôler cela en vérifiant, à l'aide de l'eye-tracker, que le regard se portait bien sur les aspects pertinents des images (i.e., les visages et les corps) et ainsi supprimer des analyses les temps de regard non adéquats.

Une autre critique pourrait être faite sur l'interprétation des temps de regard.

Effectivement, le fait de demander aux participants d'évaluer les images comme étant agréables ou désagréables pourrait engager des processus en lien avec l'accessibilité des attitudes. En fait, le temps de réponse du participant pourrait être une mesure de la force du lien entre l'image et l'évaluation de cette image (Fazio & Williams, 1986). Si la latence est courte, alors l'attitude envers l'image est plus accessible. Dans cette perspective, le temps de regard des participants pourrait refléter l'accessibilité de leurs attitudes sur les images et non pas un intérêt pour ces images. Néanmoins, cette interprétation nous paraît peu applicable à nos données puisque les consignes que nous avons donné aux participants ne sont pas celles qui sont données dans les tâches traditionnellement utilisées pour évaluer l'accessibilité des attitudes. En effet, ces tâches demandent aux participants d'évaluer des stimuli comme étant agréable ou désagréable le plus rapidement possible (Fazio & Williams, 1986) alors que les participants de notre étude étaient informés qu'ils disposaient de tout le temps nécessaire pour faire la tâche.

Dans le but d'améliorer les recherches concernant les conflits entre les influences réfléchies et impulsives sur les comportements dans le domaine de l'homophobie, nous proposons qu'il serait important de s'assurer de la validité écologique de nos résultats. Par exemple, nous pourrions, dans le cadre d'une future recherche, mesurer l'intérêt pour des stimuli homosexuels en comptabilisant le nombre de contacts visuels lorsque les participants sont en interaction réelle avec des personnes homosexuelles (un nombre de contacts visuels élevés reflétant une forte attraction ; Kleinke, Meeker, & LaFong, 1974). De même, nous pensons qu'il serait intéressant d'essayer de répliquer nos résultats avec des participants de sexe féminin afin de voir si hommes et femmes diffèrent dans leur niveau d'homophobie et dans leurs processus impulsifs à l'égard de l'homosexualité.

Finalement, nous suggérons, qu'il serait nécessaire de contrôler certaines caractéristiques dispositionnelles et situationnelles qui peuvent modifier l’influence des systèmes réfléchis et impulsifs sur le comportement (Strack & Deutsch, 2004). En effet, comme nous l'avons vu, l'influence des deux systèmes varie selon le niveau de stress ressenti

par l'individu lors de la présentation de stimuli (Mischel & Ayduk, 2004). Par conséquent, nous pensons que l'état de stress au moment de l'expérience doit être contrôlé. Les études futures devraient prendre en compte la réponse électrodermale – qui est une mesure parfaitement valide du niveau de stress (Boucsein, 2012) – dans le but de tester si la différence des effets observés entre les participants qui ont un niveau d'homophobie élevé et un niveau d'homophobie faible peut être expliquée par cet état de stress.

D'autres facteurs auraient pu expliquer les différents résultats obtenus entre les participants qui ont un niveau d'homophobie élevé et un niveau d'homophobie faible et devraient être pris en compte dans les prochaines études, comme c'est le cas des capacités en mémoire de travail. En effet, Hofmann, Gschwendner, Friese, Wiers, & Schmitt (2008) retrouvent que les processus impulsifs ont de plus fortes influences sur le comportement chez les individus qui ont de faibles capacités en mémoire de travail comparativement à ceux qui ont de bonne capacité en mémoire de travail. A l'inverse, les auteurs retrouvent que les attitudes explicites prédisent mieux les comportements chez les individus qui ont de bonnes capacités en mémoire de travail comparativement à ceux qui n'en n'ont pas. Dans les prochains travaux, les capacités en mémoire de travail devraient donc être contrôlées afin de voir si elles sont susceptibles d'influencer nos résultats.

Alors que l'influence des processus impulsifs sur le comportement a déjà été étudié dans de nombreux domaines (e.g., activité physique, alcool, tabac), peu d'études l'ont étudié dans le domaine de l'homophobie. De part cette recherche, nous avons apporté une meilleure compréhension des processus psychologiques impliqués dans l’homophobie. En effet, nous avons mis en évidence qu'il n'était pas uniquement question de croyances et d'attitudes explicites négatives, mais aussi de processus plus impulsifs. La prise en compte de la variabilité dans les tendances impulsives envers les stimuli homosexuels nous permet de mieux comprendre la régulation des comportements chez les participants qui ont un niveau d'homophobie élevé. L’homophobie étant encore largement répandue dans nos sociétés, il est essentiel d’améliorer d’avantage nos connaissances sur les mécanismes qui la sous-tendent.

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