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Chapitre III : La protéine Prion cellulaire

I. Histoire de la protéine PrP C

I.1.Découverte des maladies à prions

En 1732, les premiers cas de tremblante du mouton également appelée "scrapie" du mouton (de l’anglais "tremblante") ont été décrits en Grande-Bretagne. Cette maladie fut nommée ainsi car les moutons développaient des troubles du comportement et notamment des tremblements en lien avec des atteintes du système nerveux central.

Ce n’est que plus tard, au début du 20ème siècle, que des écrits ont été retrouvés concernant cette pathologie. En 1920, le neurologue allemand Hans Gerhard Creutzfeldt décrit pour la première fois des atteintes neurologiques similaires à la tremblante du mouton chez l’Homme. C’est en examinant le corps d’une jeune femme affectée par une maladie du système nerveux qu’il rédigea un article nommé "à propos d’une singulière atteinte du système nerveux central, avec formation de foyers de dégénérescence" (216). Parallèlement, à H. G. Creutzfeldt, un autre neurologue allemand, Alfons Jakob, publie en 1921 un article rapportant deux autres nouveaux cas de dégénérescence neuronale (217). Tous ces cas présentaient une maigreur extrême, une atteinte grave de l’état général et des troubles de coordination entraînant la mort. Les cerveaux des malades étaient tous criblés de trous faisant penser à une éponge, d’où le nom d’encéphalopathie spongiforme qui fut donné à cette maladie et qui plus tard prendra le nom des deux neurologues l’ayant découverte : Maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ).

Parmi les étapes importantes de la compréhension de ces pathologies humaines et animales, les travaux des français Jean Cuillé et Paul Louis Chelle dans les années 1930 ont permis d’apporter les preuves de la transmission de la tremblante du mouton par l’injection d’homogénats de cerveaux de moutons malades à des moutons sains (218),(219). Le terme d’encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST) fut alors utilisé. En 1956, les américains Vincent Zigas et Carleton Gajdusek décrivirent une maladie touchant un peuple aborigène des Fores de Nouvelle-Guinée, le kuru ou "peur de trembler" dans leur langue locale. Cette maladie se traduisait par une ataxie progressive évoluant vers un état

grabataire en six mois et une mort inéluctable après un ou deux ans (220),(221),(222).

Dans la même année, William J. Hadlow note de nombreuses similitudes anatomo- pathologiques entre le kuru et la tremblante du mouton et suggère l’hypothèse que le kuru serait également causé par un agent infectieux (223). Par la suite, les recherches pour l’identification de cet agent infectieux se poursuivirent, le groupe de Carleton Gajdusek démontra le caractère transmissible du kuru aux chimpanzés (224). Puis, l’hypothèse d’un agent infectieux ou virus responsable de cette maladie, toujours invisible au microscope électronique, fut remis en question puisqu’en 1967 l’anglais Thykave Alper montre que l'irradiation par des rayons ultraviolets, un procédé connu pour détruire les acides nucléiques et par conséquent les virus, est totalement inefficace pour prévenir la transmission de la maladie par des tissus cérébraux infectés (225). Par ailleurs, cet agent présentait une étonnante résistance à de puissants antiseptiques, comme le formol, mais aussi à la forte chaleur et à la dessiccation par lyophilisation. John Stanley Griffith propose alors l’hypothèse d’une protéine unique (226), un nouveau type d’agent infectieux qui remet en cause tous les dogmes de l’infectiologie à l’époque.

Ces résultats furent confirmés par le radiobiologiste français Raymond Latarjet en 1970 qui montre de nouveau la résistance de l'agent à des rayonnements ultra- violets (UV) de 250nm, longueur d’onde caractéristique de la destruction des acides nucléiques et qui met en évidence la sensibilité de l’agent aux rayonnements UV de 280 nm, une longueur d’onde qui cette fois est caractéristique de la dégradation des protéines (227).

I.2.Identification de l’agent infectieux responsable de la transmission et de la propagation de la maladie : la protéine prion Cet agent infectieux n’était donc ni un virus, ni une bactérie mais une protéine infectieuse. C’est ce que le groupe de Stanley Ben Prusiner s’efforça de mettre en évidence entre les années 1980 et 1990, puisqu’ils furent les premiers à purifier l’agent de la tremblante et à le décrire comme une particule protéique infectieuse d’où le terme de Prion pour "PROteinaceous INfectious particle" (228). Les

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communauté scientifique reste sceptique, au point de refuser les publications scientifiques du chercheur.

Parallèlement, Alan G. Dickinson un généticien, mène ses recherches sur l’agent infectieux de la tremblante et propose quant à lui la théorie du virion où il suggère la présence d’un minuscule acide nucléique (comme les viroïdes, des ARN monocaténaires circulaires retrouvés chez les plantes) qui serait associé et protégé par la protéine prion (229) . Cette deuxième théorie permet alors de concilier les deux hypothèses de l’étiologie des maladies à prion. Plusieurs recherches sont menées dans le but d’identifier des liens entre les données connues pointant la nature protéique de l’agent infectieux avec les connaissances sur les agents infectieux traditionnels (230),(231).

Dès les années 1980, des coupes de cerveaux de patients atteints d’EST sont examinées au microscope électronique et les premières plaques amyloïdes constituées de fibrilles sont observées. Ces plaques amyloïdes seront ensuite décrites par P.A. Merz dans des cerveaux de souris inoculées avec l’agent de la tremblante et il les qualifiera de "Scrapie-Associated-Fibrils" (SAF). Ce sont des fibrilles constituées de deux ou quatre filaments et qui sont morphologiquement différentes des fibrilles cérébrales normales, des microtubules, des neurofilaments et des filaments gliaux (232). Prusiner montrera par la suite que ces fibrilles sont composées de la protéine prion (233). Cette découverte suggère alors que la présence de ces fibrilles dans lesquelles s’accumule la protéine prion pourrait être à l’origine des maladies à prions et plus largement des lésions cérébrales.

La théorie de la protéine infectieuse fut alors de plus en plus acceptée, mais cependant les origines d’un tel agent infectieux restaient totalement inconnues. Néanmoins, en se basant sur les règles irréfutables de génétique, une protéine, aussi atypique soit-elle est forcément codée par un gène, qu’elle qu’en soit son origine.

Ainsi, le groupe de Prusiner entreprit de réaliser le séquençage de ce gène afin d’en déduire la séquence codante de la protéine prion. Les résultats furent stupéfiants puisque la séquence identifiée correspondait à celle d’un gène cellulaire connu, codant une protéine de 253 acides aminés, très abondante dans la membrane cytoplasmique des neurones (234),(235),(236). Ce gène fut nommé

PRNP (prion protein). A partir de cerveaux de hamsters infectés, la protéine prion fut pour la première fois observée par électrophorèse avec une bande protéique entre 27 et 30 kDa, ce qui lui vaudra le nom de PrP 27-30 pendant de nombreuses années.

Par la suite, des expériences de clonage ont permis de mettre en évidence la présence de l’ARNm de la protéine prion au sein de cerveaux sains et infectés par la tremblante. De plus, cette même séquence fut identifiée chez la souris et d’autres espèces, suggérant un fort degré de conservation.

La théorie d’un agent infectieux "conventionnel" fut alors totalement écartée.