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Chapitre IV : Étude de l’impact de la mousson sur l’évolution et la formation de latérites

IV. 1 : Histoire paléoclimatique de l’Inde du Mésozoïque jusqu’au quaternaire

Deux événements majeurs ont affecté l’histoire climatique de l’Inde depuis le début du Mésozoïque : 1) la migration du sous-continent suivant sa séparation complète avec le Gondwana il y a ca 125 Ma; 2) la mise en place de la mousson indienne, dont le caractère saisonnier aurait commencé à apparaitre à la fin de l’Eocène/début Miocène (Licht et al., 2014) pour pleinement se mettre en place entre 10 et 8 Ma (Molnar et al., 2010 ; Chatterjee et al., 2013 ; Gosh, 2015) bien que cela a récemment été contesté (Zhuang et al., 2017 ; Retallack et al., 2018).

Fig. IV.1 : Schéma représentant la migration de l’Inde et son évolution paléoclimatique du Mésozoïque à nos

jours, modifié d’après Tardy et al. (1991). Avec : P pour précipitation et E : pour évaporation.

Au début du Mésozoïque, l’Inde était toujours rattachée au supercontinent du Gondwana, formé de l’Amérique du sud, de l’Afrique, de l’Australie, de l’Inde et de l’Antarctique. Le climat du sous-continent au Trias/début du Jurassique est considéré par la littérature comme étant chaud et sec (Tardy et al., 1991, Chaterjee et al., 2013), avec moins de 2 cm de

précipitations par mois. La séparation entre l’Inde et le Gondwana est initiée au Jurassique (ca 167 Ma, Chaterjee et al., 2013) mais elle entame sa migration stricto sensu aux alentours des 125 millions d’années. Le climat devient progressivement de plus en plus humide (Fig. IV.1) jusqu’à ce qu’il devienne typique de la zone intertropicale au Crétacé avec, aux alentours des 70 Ma, une température allant de 17 à 26 °C et des précipitations estimées à 20 cm par mois dans l’Inde de l’ouest notamment (Chaterjee et al., 2013). A noter que c’est à 65 Ma que se forme l’une des formations géologiques majeures de l’Inde : les Trappes du Deccan, un plateau basaltique d’environ 500 000 km2 recouvrant aujourd’hui une large partie du centre et de l’ouest de l’Inde.

Le climat indien semble rester assez stable jusqu’au commencement de sa collision avec l’Asie, initiée à l’Eocène (ca 50 Ma). Bien que possédant toujours un climat chaud et humide au sud (Fig. IV.1), le nord de l’Inde, près de l’Himalaya, s’assèche et se refroidit progressivement (Chaterjee et al., 2013). L’Himalaya et tout particulièrement le plateau tibétain, vont subir un phénomène de surrection rapide et ainsi perturber brutalement les circulations d’air en provenance de l’Océan Indien notamment. Ceci va permettre le développement progressif de la mousson indienne telle qu’on la connait aujourd’hui. Le plateau tibétain, apparaissant vers ca 40-35 Ma (Tada et al., 2016), joue un rôle essentiel dans le fonctionnement actuel de la mousson. En été, il va réchauffer les masses d’air ayant franchi l’Himalaya (Fig. IV.2) et permettre le fonctionnement de l’anticyclone tibétain, qui agit comme moteur des circulations d’air à l’origine de la mousson d’été (juin à septembre). A noter que certains auteurs expliquent que la présence des restes de la Téthys dans le bassin du Katawaz (Pakistan) aux alentours des 20 Ma aurait aussi eu un impact sur le développement de cette mousson (Retallack et al., 2018 and références incluses).

L’air chauffé par le plateau tibétain va monter dans la haute troposphère et causer une dépression permettant à l’air chaud et humide des océans d’arriver sur le continent. Cet air arrivant au contact de l’air chaud continental va permettre la création d’un front intertropical permettant la formation de nuages et l’apparition des pluies de la mousson. A l’automne, l’anticyclone tibétain va aussi permettre la circulation d’air entre la Sibérie et l’équateur, causant l’apparition de la mousson d’hiver (octobre à décembre) (Gunnel et al., 2007).

Les premières traces de l’influence de la mousson en Inde attestent de sa présence dès 20 Ma, coïncidant avec une période de forte surrection de l’Himalaya débutant à ca 23 Ma

(Chaterjee et al., 2013, Retallack et al., 2018). Cette mousson va ensuite subir plusieurs phases d’intensification et d’atténuation de son intensité jusqu’à nos jours (Clift et al., 2008 ; Chaterjee et al., 2013 ; Singhvi and Krishnan, 2014 et références incluses). A noter qu’un pic notable d’intensité de la mousson localisé à 8 Ma est décrit dans la littérature, corrélé avec un pic d’altération notamment identifié par Bonnet et al. (2016). Il aurait été initié par la mise en place du plateau tibétain à une altitude située aux alentours des 3 km. Certains auteurs expliquent d’ailleurs que ce pic d’intensité correspond à la mise en place du système de mousson encore présent aujourd’hui (Chaterjee et al., 2013).

Fig. IV.2 : Schéma simplifié du fonctionnement de la mousson indienne d’été, modifié à partir de Gunnel et al.

(2007). L’étoile rouge représente la position estimée du site d’étude sur la péninsule indienne.

Si la géodynamique régionale a un fort impact sur le climat local, les variations climatiques globales, liées à des événements particuliers (cycles de Milankovitch, bouleversement de la circulation océanique, éruption volcanique importante, etc…) peuvent aussi avoir une grande influence sur les précipitations et la température régionale. Les études menées par Zachos et al. (2001) et Cramer et al. (2009) de l’étude du delta O18 et C13 des coquilles de foraminifères de différents niveaux sédimentaires ont permis d’identifier les périodes chaudes et froides globales de la Terre du Crétacé à nos jours (Zachos et al., 2001) et leur impact sur chacun des grands océans terrestres (Cramer, 2009). Bien que les résultats de ces études isotopiques puissent aujourd’hui être contestés (Bernard et al., 2017, Evans et al.,

2018), des grands épisodes de températures océaniques importantes, correspondant à priori à des périodes très favorables à la formation de latérites, ont pu être identifiés (Fig. IV.3). Trois sont présentes à l’Éocène : le pic de température localisé à la transition Paléocène Éocène (PETM, ca 56-55,5 Ma), l’un des plus important de l’histoire « récente » de la terre, l’EEC, pour Early Eocene Climatic Optimum (ca 53-49 Ma), et le MECO, le Mid Eocene Climatic Optimum (ca 41-40 Ma).

Fig. IV.3 : Résultats combinés des études de Miller et al. (1987), Zachos et al. (2001) et Cramer et al. (2009).

Les grandes périodes de glaciations et d’augmentation de la température ayant eu lieu depuis le début du Paléocène sont aussi présentées. Ces données sont confrontées aux grands évènements géodynamiques et climatiques ayant affecté le climat régional de l’Inde et aux périodes d’altérations observées par Bonnet et al. (2016) dans l’ouest de l’Inde. Avec : PETM : Paleocene Eocene Thermal Maximum, EECO : Early Eocene Climatic Optimum, MECO : Mid Eocene Climatic Optimum, LOW : Late Oligocene Warming, MMCO : Mid Miocene Climatic Optimum. Modifié d’après Cramer et al. (2009).

Si les deux premiers ont causé des pics de températures dans tous les océans terrestres, le MECO est aussi caractérisé par une baisse des températures dans l’Atlantique Nord. Un autre pic de chaleur a été identifié à l’Oligocène (le LOW pour Late Oligocene Warming, ca 26 Ma) et un dernier au Miocène, une période très favorable au développement des latérites en Amérique du Sud et en Afrique notamment, le MMCO pour Mid Miocene Climatic Optimum (ca 18-16 Ma). Cramer n’a pas étudié la température de l’Océan indien, mais ce dernier, a été connecté directement au Pacifique jusqu’à la fermeture de la porte indonésienne il y a 3,5 Ma (Gourlan et al., 2008). Ainsi on peut penser que ces deux océans ont eu une évolution des températures similaire jusque-là.

Si ces 5 grands pics de température ont potentiellement permis la formation de latérites, on peut remarquer que des événements climatiques (mise en place/intensification de la mousson) et géodynamiques locaux (collision Inde/Asie, phases d’accélération de la surrection de l’Himalaya, etc…) ont pu avoir un impact direct sur l’altération indienne durant l’EECO et le LOW. L’enregistrement de l’influence de ces deux évènements globaux sera donc difficile à discriminer des variations du climat régional en se basant uniquement sur la datation de kaolinites.