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2.3 Comment interroger l’histoire ?

2.3.2 Histoire et didactique

dont les fins essentielles sont de rendre l’action possible. Gonseth1

2.1 Mathématiques pour anticiper, agir et créer

L’objet de cette section est de présenter un point de vue sur les mathématiques, pour mettre en évidence le fondement et la cohérence du projet didactique que nous développerons plus loin dans le texte, ainsi que les éléments essentiels à questionner du point de vue épistémologique pour étayer cette étude. C’est une partie qui nous semble faire souvent défaut et qui laisse alors le lecteur dans l’expectative quant aux objectifs de nombreux projets didactiques. En effet des discours qui se veulent techniques mais qui ne seraient pas situés épistémologiquement perdent en pertinence et en portée. Nous revenons donc ici sur quelques éléments généraux et en particulier sur le lien entre le monde et les mathématiques.

Précisons tout d’abord que les questions qui nous intéressent ici, ne sont pas des questions globales sur les mathématiques en tant que science institutionnalisée. Nous allons mettre en

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évidence que ce n’est pas l’étude des modes de structuration de la connaissance mathématique comme science qui est pertinente pour notre recherche. Nous avons en effet besoin de repères concernant les mathématiques comme pratiques de recherche, transformant les systèmes de connaissances des individus, et productrices de « savoirs ponctuels »2. Suivant la terminologie de Kuhn et Meyer (2008) précisons aussi que c’est hors des phases de « science normale » que nous sommes tentés d’aller observer l’activité mathématique, plutôt dans des phases où le développement des savoirs nécessite un bouleversement de certaines références ou certitudes. Ce sont des moments où les mathématiques nécessitent que l’ingénieur et le créateur soient à la manœuvre qui sont au cœur de notre thèse, des temps où ce n’est pas la seule démarche déductive qui agit sur le système de connaissances. Cette dimension circonstanciée de l’activité mathématique, nous l’envisagerons par ailleurs dans le cadre d’une entrée géométrique, et ainsi nous chercherons à voir comment, en reprenant les propos de Giorgio Israël, il est envisageable de produire dans une étude d’un problème géométrique « un fragment de mathématique appliqué à un fragment de réalité », (Israel,1996, p.11).

Nous présentons donc tout d’abord, quelques éléments généraux puis les points de vue que nous retenons sur le lien entre mathématiques et « réalité » ou plus précisément entre mathématiciens et « réalité ».

2.1.1 Platon un idéal fondateur ?

Dès qu’il s’agit du lien à « la réalité » tout est sujet à discussions. Doit-on estimer que les mathématiques permettent d’appréhender le monde, c’est-à-dire saisir ce qu’il est par la pensée ? N’est-on pas plutôt amené à envisager que les mathématiques permettent de modeler un réel, c’est-à-dire lui donner une forme ? ou encore selon une autre acception de souligner ses formes ? Ne doit-on pas se contenter de vivre les mathématiques comme un outil pour prévoir et agir dans le monde ...

La pensée philosophique s’est de tout temps emparée de cette question du lien entre ma-thématiques et réalité et la pensée platonicienne a, plus que tout autre, été le point d’appui de nombreuses postures, bien au-delà souvent de ce qu’elle pouvait autoriser :

Et, dans le champ de bataille où s’affrontent des philosophes que Kant n’a pas réussi à pacifier, il apparaît que combattre Platon, c’est presque toujours le jouer contre lui-même. [...] Platon risque ainsi de succomber sous la diversité des plato-nismes qu’il n’a pas faits mais qu’ont forgés ses défenseurs et ses interprètes tout autant que ses adversaires.3

De l’œuvre de Platon, (Platon,2008), on ne retient souvent que quelques éléments, le réa-lisme des idées, la primauté donnée aux Essences ou Idées, modèles de toutes choses et qui donnent le sens aux phénomènes... Concernant un point central, la discussion sur le statut on-tologique des concepts mathématiques, certains, dont Harthong(1992), défendent la thèse que la pensée Platonicienne laisse la porte ouverte à des interprétations moins caricaturales que ce que l’on retient souvent de Platon. Ce qu’on entend aujourd’hui, en général, par Platonisme

mathématique c’est l’affirmation d’une existence réelle et a priori des objets idéaux

mathéma-tiques. Suivant l’aspect des mathématiques privilégié, le platonisme mathématique se trouve alors en opposition avec, par exemple, l’intuitionnisme et le formalisme. L’intuitionnisme, dans sa dimension philosophique, postule que « les objets mathématiques, loin d’être des réalités « platoniciennes » objectives, autonomes et éternelles, sont des produits de l’esprit humain,

2. Sens que nous préciserons dans le chapitre3, en particulier en référence à Conne

3. Monique Dixsaut, « PLATON », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 8 décembre 2014. URL :

2.1. Mathématiques pour anticiper, agir et créer 25

Figure 2.1 – Détail de la fresque « L’École d’Athènes » du peintre italien Raphaël

accessibles par réflexion et par introspection »4. Le formalisme, quant à lui, met l’accent sur le caractère formel de la connaissance mathématique et contourne la question de l’existence des objets mathématiques en se concentrant sur la démonstration des énoncés dans un système symbolique. Dans cette optique les objets idéaux n’existent pas non plus, a priori.5

Pour Harthong, contrairement à ce que pourrait laisser entendre la dénomination, le « pla-tonisme mathématique » n’est en rien un point de vue qui rendrait compte de la pensée de Platon et de son mode de relation au monde :

Parmi les clichés sur l’idéalisme platonicien, on peut tout particulièrement noter ce qu’on appelle le platonisme mathématique. Le représentant typique de cette métaphysique est Georg Cantor mais en aucun cas Platon [... Notez bien que ce n’est pas la conception de Cantor que je dénonce comme cliché, mais la confusion avec Platon], (Harthong,1992, p.1).

Il serait ainsi possible de lire dans les textes de Platon, non une affirmation de l’ontologie des objets mathématiques, mais une méthode pour l’accroissement des connaissances. Ainsi pour lui l’« allégorie de la caverne » n’a pas pour but de définir « la véritable réalité », ce qui

4. Jacques-Paul Dubucs, « INTUITIONNISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 4 janvier 2015. URL :http://www.universalis.fr/encyclopedie/intuitionnisme/

5. Observons ici qu’on pourrait être amener à différencier les questions de réalisme ontologique et de réalisme sémantique, qui porterait sur la signification et la vérité des énoncés.

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« existe »6 mais permet d’envisager une dialectique pour le progrès de la compréhension de la relation au monde :

En lisant les textes originaux et non les commentaires, je n’ai pas vu d’opposition binaire entre ce qui serait absolument et définitivement vrai (le monde extérieur) et ce qui serait l’illusion (les ombres) ; au contraire, je n’ai vu qu’une opposition potentielle et relative, qui se contente d’affirmer, comme Einstein et comme les physiciens modernes, qu’on peut accéder par la pensée pure à une connaissance su-périeure à la simple compilation des faits observés (mais non nécessairement absolue ou définitive) [...]. (Ibid., p.6)

Nous ne chercherons pas à trancher sur la position de Harthong, mais constaterons que le débat s’est porté depuis des siècles, dans la culture occidentale, sur des questions ontologiques au détriment d’une réflexion sur les démarches de production en mathématiques. Et il est notable que ce n’est pas au seul Platon que l’on doit aux mathématiques de s’être parfois engagées dans des directions monofocales. A l’opposé de démarches beaucoup plus dialectiques, n’écartant ni l’importance des observations, ni l’intérêt de développements théoriques pour l’accroissement des connaissances, certaines écoles de pensée, pour certaines récentes, ont mis à mal l’équilibre dans la façon d’être au monde7. Pour autant, le point de vue de certains mathématiciens ou de différentes écoles de pensée qui se développèrent de la Renaissance à nos jours, empirisme de Locke8, Hume9, J.-S. Mill10, logicisme de Frege11, Couturat12, Russell13, Whitehead14, formalisme de Hilbert15, intuitionnisme de Brouwer16, ... se construisant souvent sur des développements de tels ou tels champs mathématiques, ont eu le mérite d’explorer des possibles et de permettre le repérage sur la carte de la philosophie en construction des mathématiques.

Mais aujourd’hui comment fonder une épistémologie des mathématiques ?

2.1.2 Des intuitions pures à l’intentionnalité

Pour s’approcher de ce que nous pourrions appeler une posture épistémologique mathéma-tique contemporaine, nous abordons la question en appui sur des discours mêlant philosophie et épistémologie, par exemple celui de (Salanskis,2008, p.7) qui considère que,

le problème de la philosophie des mathématiques est typiquement un « nouveau » problème du XXe siècle

en ce sens où la question n’a que rarement été traitée en tant que telle mais toujours intégrée dans un propos philosophique général et non spécifique des mathématiques.17

En réaction au scepticisme empiriste de Hume c’est à la doctrine Kantienne de l’entendement qu’est revenu de relancer le débat épistémologique. En posant la question de la possibilité de

6. Cette allégorie devait servir à justifier la nécessité d’éduquer les responsables de la cité en arithmétique et en géométrie, car ces deux sciences permettent d’expliquer des phénomènes du monde sensible, comme les objets du monde extérieur expliquent les ombres.

7. Pour approfondir les questions de réalismes ontologiques, voire sémantique, on pourra se reporter par exemple àEngel(1995)

8. John Locke : 29 août 1632 - 28 octobre 1704 9. David Hume : 7 mai 1711 - 25 août 1776 10. John Stuart Mill : 20 mai 1806 - 8 mai 1873

11. Friedrich Ludwig Gottlob Frege : 8 novembre 1848 - 26 juillet 1925 12. Louis Couturat : 17 janvier 1868 - 3 août 1914

13. Bertrand Arthur William Russell : 18 mai 1872 - 2 février 1970 14. Alfred North Whitehead : 15 février 1861 - 30 décembre 1947 15. David Hilbert : 23 janvier 1862 - 14 février 1943

16. Luitzen Egbertus Jan Brouwer : 27 février 1881 - 2 décembre 1966

17. Il est toutefois notable que pour certains, dont Platon et Kant, les mathématiques tiennent une place centrale dans des propos qui restent des références dans l’étude de ce champ en friche.

2.1. Mathématiques pour anticiper, agir et créer 27

connaissances pures a priori, et donc en amont et indépendamment de toute expérience, Kant18 a fourni la matière à la réflexion toujours ouverte de la nature des mathématiques. Sa « logique transcendantale », s’opposant pour une part à la « simple » logique générale, s’est intéressée au rapport de la pensée à ses objets. Kant a humanisé les mathématiques non seulement en affirmant l’inaccessibilité des choses en soi, mais aussi en plaçant l’homme au cœur de l’acte de connaître.

Quand même nous pourrions porter notre intuition à son plus haut degré de clarté, nous n’en ferions point un pas de plus vers la connaissance de la nature même des objets. Car en tous cas nous ne connaîtrions parfaitement que notre mode d’intuition, c’est-à-dire notre sensibilité, toujours soumise aux conditions d’espace et de temps originairement inhérentes au sujet ; quant à savoir ce que sont les objets en soi, c’est ce qui nous est impossible même avec la connaissance la plus claire de leurs phénomènes, seule chose qui nous soit donnée.(Kant et Barni,1869, p.98)

Après Kant les théories s’appuyant sur la logique générale ont repris la main. Les jugements synthétiques a priori de Kant ont laissé la place aux jugements analytiques de la théorie des ensembles, des théories axiomatiques, ... . Mais rapidement ces points de vue ont trouvé à leur tour leurs limites. Les résultats de Gödel19, en montrant que ces théories ne pourront pas embrasser la totalité des mathématiques et par ailleurs qu’elles ne donnent que peu de renseignements sur le lien qu’elles entretiennent avec les « faits de l’expérience », laissent le champ libre à de nouvelles approches.

Husserl,20en introduisant le concept d’intentionnalité, a proposé à son tour, un changement de cadre. La posture husserlienne en s’appuyant en particulier sur ce concept d’intentionnalité, souvent illustré par l’expression « Toute conscience est conscience de quelque chose », renverse les conceptions antérieures sur la perception et affirme le rôle du sujet. La perception d’un objet n’est pas la dégradation ou la transformation de cet objet dans la conscience. Un objet est toujours appréhendé avec une intention, intention qui fait qu’il n’est jamais possible de dissocier un objet réel et un objet de pensée. Sans intention l’objet n’est pas perçu. Dans la construction des concepts mathématiques, ceci amène à ne pas mettre sous silence, effacer, les premières étapes. Ainsi il n’est pas question dans l’élaboration d’un concept de ne considérer que la phase de structuration mathématique et de le fonder ainsi de façon apriorique et idéale. Il n’est pas possible d’exclure dans cette élaboration le première conscience, intentionnelle, qui est celle des objets qui ont permis l’émergence du concept :

Avec Husserl, notre connaissance a la possibilité de s’étendre des objets aux structures de la conscience en tant qu’elle est conscience de ces objets. A la logique formelle et axiomatique va donc se juxtaposer une logique génétique, logique de notre rapport aux objets mathématiques, logique transcendantale en un sens nouveau, beaucoup plus étendue que la logique transcendantale kantienne. (Patras, 1996, p.8)

Pourtant cette approche contient, elle aussi, ses limites, quand la nécessité du rapport aux objets amène Husserl à envisager de

déconstruire pierre à pierre l’édifice des mathématiques et repérer comme tel chacun des moments du processus d’abstraction, jusqu’à ce que nous soyons recon-duits à un système de proto-idéalités comme concepts limites dans notre intuition du « mode de la vie »- c’est-à-dire dans notre intuition spatio-temporelle. (Patras,

1996, p.10)

18. Emmanuel Kant : 22 avril 1724 - 12 février 1804 19. Kurt Gödel : 28 avril 1906 - 14 janvier 1978 20. Edmund Husserl : 8 avril 1859 - 26 avril 1938

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Écarter la possibilité d’avoir recours à la perception d’objets pré-construits par d’autres sur leur propre intuition spatio-temporelle, est-il envisageable ? nécessaire ? Les critiques de la phénoménologie de Husserl, portent à vrai dire, plus sur la capacité du point de vue à rendre compte de « la faculté de novation (prodigieuse) qui est celle de la mathématique dans l’histoire », (Salanskis,2008, p.152).

Pour Salanskis, si « Nous devons lui [Husserl] être infiniment reconnaissant de l’idée d’un sens fondateur, révolutionnaire par rapport à l’idée classiquement épistémologique d’une vérité fondatrice », il apparaît clairement que « la géométrie contemporaine appelle d’autres aperçus fondationnels, mieux adaptés à ce qu’elle pense. »

En effet, il faudra trouver un moyen de rendre compte de l’accroissement des connaissances, de l’émergence de nouveaux concepts. Dans un premier temps, et dans le cadre qui est le notre, nous retiendrons toutefois comme fondamental, cette importance de la non-indifférence au sens et de l’importance du regard du sujet pour donner ce sens. Bien entendu ce sens ne s’arrête pas à la première perception de l’objet. Pour se rapprocher d’une formulation de Husserl : « la pensée d’un objet est plus que la simple représentation distincte de cet objet - il y a en elle tout un système de renvois que Husserl appelle très joliment la structure d’horizon de l’intentionnalité » (Patras,1996, p.13). Nous reviendrons plus loin sur ce maillage, filet tissé par les renvois conceptuels, qui nécessite que l’intuition s’étende de façon assez large pour identifier des invariants dans le vécu du sujet. Mais concernant la notion d’intuition spatio-temporelle, reprenons tout d’abord l’approche d’un théoricien des invariants, Poincaré.

2.1.3 Le point de vue de Poincaré

L’esprit n’use de sa faculté créatrice que quand l’expérience lui en impose la nécessité. C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons. Poincaré

Poincaré21 développe sa pensée épistémologique particulièrement dans trois ouvrages, « La Science et l’Hypothèse », (Poincaré, 1902), « La Valeur de la Science », (Poincaré, 1905), « Science et Méthode », (Poincaré, 1908). Le point de vue de Poincaré sur les problèmes de l’objectivité de la connaissance, actualisant et prolongeant celui de Kant, permet de mettre en évidence quelques éléments que nous retiendrons dans notre thèse, même s’il s’avère que « l’intuitionnisme de Poincaré resta inaccompli », (Crocco,2004, p.176).

Aucune de nos sensations, isolée, n’aurait pu nous conduire à l’idée de l’espace, nous y sommes amenés seulement en étudiant les lois suivants lesquelles ces sensa-tions se succèdent. (Poincaré,1902, p.83)

Pour Poincaré la connaissance débute donc avec les sensations, mais celles-ci subjectives, isolées ne permettent pas par elles-mêmes une structuration de notre connaissance de ces événe-ments. C’est l’observation d’invariants, par exemple les corps solides, c’est-à-dire des corps « qui éprouvent fréquemment des déplacements susceptibles d’être ainsi corrigés par un mouvement corrélatif de notre propre corps » (op. cit., p.85), qui va permettre la géométrie.

Pour Crocco, (Crocco, 2004, p.162), analysant le passage du stimulus à la science chez Poincaré

Les sensations sont des ici-et-maintenant irrépétables et subjectifs. [...] Par la seule structure de notre perception, telle qu’elle s’est constituée par sélection et en interaction avec notre environnement, nos sensations, qui d’elles-mêmes sont

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dépourvues de toute dimension spatiale et temporelle, en reçoivent une, mais cette dimension spatiale et temporelle n’est que subjective. [...] Chaque sujet, doté d’une structure perceptive identique à la nôtre et vivant dans un milieu identique au nôtre, construit les mêmes relations qualitatives structurant un espace représentatif des phénomènes.

Plus précisément pour Poincaré, « la vue et le toucher ne nous auraient pu donner la notion d’espace sans le secours du « sens musculaire » », et c’est la considération de déplacements, c’est-à-dire de changements qui peuvent être corrigés par le même mouvement corrélatif de notre corps, et des lois de ces phénomènes qui font l’objet de la géométrie. Leur considération permet de définir un espace homogène et isotrope, et l’idée de la possibilité de répétitions de séries de sensations musculaires donnent à l’espace ses caractères quantitatif, relatif et infini. Et pour Poincaré, l’idée de répétition est centrale et fondatrice des mathématiques :

Dans le chapitre premier, où nous avons étudié la nature du raisonnement mathé-matique, nous avons vu l’importance qu’on doit attribuer à la possibilité de répéter indéfiniment une même opération. C’est de cette répétition que le raisonnement mathématique tire sa vertu. C’est donc grâce à la loi d’homogénéité qu’il a prise sur les faits géométriques. (Poincaré,1902, p.88)

Et ce qui nous assure de ne pas tout fausser en « appliquant » une structure mathématique à l’analyse des sensations c’est que le cadre mathématique que nous avons construit participe du recueil de ces données, car fondé sur l’intuition de la répétition possible, il transforme en grandeurs intensives cohérentes nos sensations du moment.

[...] ce qui est essentiel dans l’expérience est la possibilité de répétition qui fonde l’analogie. Il y a respect de cette donnée essentielle dans le langage mathématique, car les mathématiques ne sont rien d’autre que des constructions symboliques ren-dues possibles par la récursion, la répétition indéfinie de certaines opérations (actes). [...] Les mathématiques sont donc constitutives de l’expérience, car elles permettent de transformer les sensations en grandeurs intensives et extensives. (Crocco,2004, p.166)

Précisons, pour ne pas rester sur une vision simpliste du lien entre expérience et mathé-matiques, que, bien entendu, Poincaré est le premier à rappeler la « distance » qui sépare la géométrie de l’étude du mouvement :

On voit que l’expérience joue un rôle indispensable dans la genèse de la géomé-trie ; mais ce serait une erreur d’en conclure que la géomégéomé-trie est une science expéri-mentale, même en partie. Si elle était expériexpéri-mentale, elle ne serait qu’approximative et provisoire. Et quelle approximation grossière !

La géométrie ne serait que l’étude des mouvements des solides ; mais elle ne s’occupe pas en réalité des solides naturels, elle a pour objet certains solides idéaux, absolument invariables, qui n’en sont qu’une image simplifiée et bien lointaine.

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