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histoire et compréhension des personnes spirituelles

Dans le document Les enjeux de l'empathie selon Edith Stein (Page 85-88)

4. L'empathie dans la constitution de la personne humaine

4.5 histoire et compréhension des personnes spirituelles

Nous voudrions achever cette partie en revenant sur l'importance de l'histoire pour Edith Stein. En effet, si l'histoire est bien une compréhension de la vie des hommes du passé, cette compréhension n'est d'abord causale, elle suppose l'exercice de l'empathie de l'historien qui cherche à revivre de façon non originaire la manière dont les hommes du passé ont agi comme personnes, c'est-à-dire comme liberté. L'histoire n'est pas le royaume de la nature mais bien celui de l'esprit et c'est pourquoi l'historien doit être capable d'empathiser cette vie spirituelle des hommes du passé qui s'est manifesté dans le monde.

Edith Stein définit ainsi l'histoire comme une science de l'esprit et donne à cette notion la signification qu'elle a tirée de l'analyse de la structure de la personne :

La conscience s'est montré à nous non seulement comme un évènement causalement conditionné, mais en même temps comme constituant d'objet, et par là sort de l'enchaînement de la nature, et s'oppose à elle: la conscience en tant que corrélat du monde des objets n'est pas nature mais esprit.105

L'histoire ne peut donc reposer su la simple perception des évènements du passé qui seraient reliés de façon causale comme le sont les évènements de la nature. Dans les sciences de la nature il s'agit bien d'établir des relations causales entre les phénomènes de la nature qui se donnent dans l'espace visible de la perception externe. Il s'agit bien de se donner une image "mécanique" de la nature par une saisie eidétique des rapports d'essence et de nécessité entre les phénomènes de la nature. Mais la possibilité même pour les sciences de la nature de considérer de façon causale les corps de la nature (Körper) repose sur l'épreuve qu'un sujet fait de son propre pouvoir immanent de connaître et de percevoir. Les sciences de la nature repose sur un pouvoir de l'esprit humain, pouvoir dont l'exercice lui-même par un sujet vivant échappe à tout déterminisme de la nature :

La science de la nature (physique, chimie, biologie au sens plus large, en tant que science des êtres vivants, qui inclut aussi la psychologie empirique), décrit les objets de la nature et cherche à en expliquer de façon causale leur genèse réale (..;) la phénoménologie de la nature montre comment se constituent pour la conscience des objets de ce type, et elle donne ainsi une explication éclairante sur la manière de procéder de ces sciences.106

105

Id., IV, § 1, p. 151. 106

Id., p. 153.

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La science historique, à l'inverse des sciences de la nature qui explique les phénomènes visibles à partir de liaisons causales, cherche à "revivre (ou bien pouvons nous dire, une saisie empathique) de la vie spirituelle du passé"107. C'est pourquoi l'histoire ne se confond pas avec

la psychologie qui cherche à expliquer les motivations des actions des hommes du passé. Or Stein a montré précédemment que les motivations ne déterminent pas l'action libre de la volonté mais inclinent seulement la volonté. Si la liberté de l'homme est conditionnée par ces motivations, si la psychologie permet d'expliquer ce qui peut pousser l'homme à accomplir telle ou telle action, la liberté humaine échappe, en tant que liberté, à toute explication "naturelle". Dans l'acte même du vouloir, l'homme fait l'épreuve de la liberté, de son pouvoir de créer quelque chose qui n'existe pas encore :

Si j'"expliquais" l'ensemble de la vie du passé, j'aurais accomplis un gros morceau en sciences de la nature, mais j'aurais complètement éliminé du passé l'esprit, et je n'aurais pas gagné la plus petite miette de connaissance historique. Si les historiens considèrent comme leur tâche d'établir et d'expliquer des faits psychologiques du passé, il n'y a plus de science historique.108

L'histoire est bien une science de l'esprit qui a pour objet de comprendre les choix de l'homme du passé, le sens des actes de la volonté. L'histoire suppose une empathie spirituelle qui saisit les valeurs mêmes qui animent la volonté. L'esprit est lui-même soumis à la légalité de la raison: dès lors que l'homme éprouve une sensation ou un sentiment, ce vécu accède à sa dimension spirituelle par un acte de la raison qui réfléchit sa valeur. Il y a bien en l'homme une faculté spirituelle de sentir (le Gemüt chez Scheler) qui lui permet de saisir la valeur de ses vécus. Ce sentir spirituel est bien différent de la sensibilité et de l'émotion. Il est en un sens plus profond que la volonté ou l'intelligence comme faculté de raisonner :

Dans le sentir se constitue un nouveau domaine d'objets: le monde des valeurs; dans la joie, le sujet a devant lui quelque chose de réjouissant, dans la crainte quelque chose de redoutable, dans l'angoisse quelque chose de menaçant; même les humeurs ont leur corrélat objectif: pour celui qui est gai, le monde est baigné d'une lueur rose; pour celui qui a du chagrin, il est gris sur gris.109

L'histoire se fonde donc sur la possibilité d'empathiser la vie spirituelle d'autrui, de saisir le monde des valeurs qui sont co-données avec les vécus eux-mêmes des émotions ou sentiments qui affectent autrui. Si les sentiments ou les sensations motivent la volonté, la volonté ne se laisse pas déterminer par eux. Elle suppose l'acte de réflexion qui consiste à saisir la valeur de ces sentiments, valeurs qui vont donner sens à l'acte de la volonté. L'histoire se situe donc

107 Id., p. 156. 108 Id., pp. 155-156. 109 Id. p. 152.

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bien dans l'ordre des valeurs car l'esprit de l'homme est soumis à la légalité de la raison, c'est- à-dire à l'ordre des valeurs :

Les actes spirituels sont soumis à une légalité rationnelle générale. De même que pour la pensée, il y aussi pour le sentiment, la volonté et l'action, des lois rationnelles, qui trouvent leur expression dans des sciences aprioriques: au côté de la logique prennent place l'axiologie, l'éthique et la pratique.110

Dès que j'agis, dès que je pose un acte de la volonté, se manifeste un ordre des valeurs : agir de façon raisonnable signifie agir selon cette loi rationnelle qui se donne dans l'acte d'une intuition d'un sentir spirituel (je sens qu'il est plus raisonnable d'agir de telle ou telle manière). L'histoire est donc le lieu de la manifestation de l'éthique des hommes qui se traduit dans les mœurs ou le institutions politiques d'un peuple. C'est l'esprit d'un peuple qui devient ainsi l'objet de l'histoire.

En conclusion de ce chapitre, nous avons cherché à montrer comment Stein, une fois établies les distinctions entre moi pur/moi empirique, Leib/Körper et définie l'empathie par rapport aux autres actes du moi, a pu interroger l'idée même de personne à partir d'une analyse de la structure ontique du sujet humain.

Cependant, nous avons eu le sentiment, au cours de l'analyse suivie de la thèse, que Stein était dans un dialogue permanent avec Scheler, bien que la critique explicite de sa théorie de la sympathie ne représente qu'un chapitre (II,6). Nous voulons maintenant 'reconstituer' ce dialogue entre la disciple et l'élève de Husserl.

110

Id., IV, § 2, p. 159.

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Dans le document Les enjeux de l'empathie selon Edith Stein (Page 85-88)