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La comparaison avec d'autres actes

Dans le document Les enjeux de l'empathie selon Edith Stein (Page 40-43)

3. Qu'est-ce que l'empathie selon Edith Stein ?

3.3 La comparaison avec d'autres actes

Pour Stein l'enjeu est ici de montrer la spécificité de l'empathie par rapport au souvenir, à l'attente et à l'imagination. En quoi l'empathie est-elle un acte qui ne peut se réduire à un autre acte, en quoi est-elle un acte sui generis ?

Dans l'acte du souvenir, la distinction originaire/non originaire s'applique aussi.

Le souvenir d'une joie est originaire en tant qu'acte de présentification qui se déroule maintenant, mais son contenu -la joie- est non-originaire; le souvenir a complètement le caractère de joie, de sorte que je pourrais étudier sur lui ce caractère, mais la joie n'est pas là originairement en chair et en os; bien plutôt, elle est là en tant qu'elle a été une fois vivante51

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Id., p. 26.

Master 2 - B. Natali Page 40

Si je me souviens de la joie d'un évènement, la fête de Noël, cette joie passée est bien un vécu qui est mien mais qui comme tel est passé. Il n'est pas un maintenant au sens d'un présent en chair et en os mais un être-là en tant qu'il a été une fois vivant. C'est bien moi qui ai vécu cette joie lors de la fête de Noël et c'est le même moi qui se souvent de cette joie passée. Dans l'acte même du souvenir, c'est bien le même moi qui se souvient et qui est l'objet du souvenir. Il y a bien conscience de la mêmeté, une continuité des vécus. Du point de vue de la personne, du sujet vivant, il y a conscience de la mêmeté au sens ou c'est le même sujet qui se manifeste dans l'acte du souvenir et dans l'acte de ressentir de la joie lors de la fête de Noël. Le Moi pur est la condition de tout vécu. Ce qui est vécu l'est de façon immanente à la conscience d'un moi qui se rend présent à lui-même dans ses actes.

Du point de vue du moi empirique, il y a bien changement, devenir au sens où le contenu des actes est différents : ce n'est pas le même moi qui est constitué dans l'acte même de ressentir la joie et celui qui est constitué dans l'acte du souvenir. Dans l'acte du souvenir je me constitue comme objet du passé, comme ayant éprouvé de la joie. Je suis constitué dans cet acte de rétention qu'est le souvenir qui me donne à moi-même comme ce qui a été. Dans l'acte de ressentir de la joie je me suis constitué comme moi ressentant présentement de la joie.

Du point de vue du contenu il y a bien un changement puisque le contenu diffère : au contenu originaire de la joie dans l'acte même de ressentir de la joie se substitue le contenu non originaire d'une joie qui devient l'objet de l'acte du souvenir. L'acte du souvenir est spécifique au sens où il est une manière pour la conscience de se rapporter à ses propres vécus sur le mode de l'ayant été. L'acte de souvenir est originaire mais non le contenu ; le contenu de passé n'est pas originaire maintenant, il l'est par rapport au passé. Je me souviens de moi-même comme ayant éprouvé de la joie.

L'acte de souvenir est bien cet acte de rétention, de position de soi par rapport à soi, qui rend possible la connaissance de soi : la perception interne de soi suppose cet acte de présentification de soi comme objet de visée d'un acte du sujet qui se donne originairement comme se percevant lui-même, se constituant comme monde intérieur. Le monde intérieur ne se constitue que dans l'objectivation d'un flux de vécus, dans la mise en récit d'une temporalité immanente au sujet qui se constitue comme personne dans le flux de ses vécus ; la temporalité immanente du sujet est constituée dans l'acte du souvenir comme récit de soi ou histoire du

moi empirique (constitué par le moi pur). C'est bien mon être qui se manifeste dans le souvenir :

L'acte unitaire de la présentification, dans lequel l'objet du souvenir surgit devant moi comme un tout, implique des tendances qui - menées à leur déploiement- dévoilent les traits qu'il contient, en leur déroulement temporel, et ainsi la manière dont s'est constitué alors originairement l'ensemble du vécu dont on se souvient. Ce processus de développement peut se produire passivement "en moi" ou bien je peux l'accomplir activement étape par étape52

L'attente est, quant à elle, l'acte de protention par lequel le sujet se vise lui-même, se constitue comme ce qui n'est pas encore, se pose comme sujet d'un vécu à venir et qui comme tel n'est pas originaire. Je peux me projeter dans une joie future (celle de la réussite d'un examen) mais cette joie n'est pas donnée de façon originaire, elle n'est pas donnée présentement, sentie hic et

nuc ; elle est présentifiée à la conscience comme étant à venir, elle devient l'objet présent

d'une visée protentionnelle.

Dans l'imagination, il y a bien un caractère originaire de l'acte d'imaginer par lequel le moi se vit comme imaginant. Par l'imagination le moi se vise comme moi possible mais cette possibilité n'est pas effective, elle est donc neutre du point de vue de la temporalité. Je peux m'imaginer dans le passé comme ayant pu réussir tel examen, je peux m'imaginer comme pouvant réussir dans le futur un examen, mais ce moi imaginé ne se donne pas sur le mode de l'attente ou du souvenir. Dans l'imagination, je m'imagine comme éprouvant présentement tel ou tel vécu ; je me possibilise comme moi en train de vivre, au présent, tel ou tel vécu. Je m'imagine en train de réussir l'examen dans le futur; je ne m'attends pas à réussir l'examen (vécu non présent mais présentifié comme n'étant pas encore dans l'acte de protention), mais je vis comme moi possible en train de réussir l'examen et de ressentir de la joie. De même, je peux m'imaginer comme en train de ressentir de la joie dans un passé qui ne se donne pas sur le mode du souvenir mais de l'imagination.

Et les vécus imaginaires sont caractérisés, à l'opposé des vécus de souvenir, par le fait qu'ils ne se donnent pas en tant que présentification de vécus effectifs, mais bien plutôt en tant que forme non-originaire de vécus présents. Ici "présent" ne signifie pas un maintenant du temps objectif, mais le maintenant vécu qui ne peut s'objectiver dans ce cas que dans le maintenant "neutre" du temps de l'imagination.53

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Id., p. 27. 53

Id., p. 29.

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Stein met en évidence à ce propos les limites de l'approche de Adam Smith et de la confusion empathie/isolation. Je peux m'imaginer à la place d'autrui mais cette façon de supposer ce que je ferai à la place de l'autre ne me fait pas sortir de moi-même. Dans l'imagination il y a bien un" vécu présent" (je m'imagine présentement en train d'acheter un e book) mais il y a là une possibilité, un vécu présent sans effectivité qui demeure neutre par rapport au temps lui- même.

Je peux ensuite attribuer à autrui ce vécu comme étant le sien dans la situation imaginée: je suppose que dans la même situation il fera comme moi. Mais ce vécu est seulement supposé, il ne constitue pas une expérience du vécu d'autrui. Il n'y a donc pas empathie mais projection de mon propre vécu imaginé sur autrui. Certes, l'imagination est un mode de cognitif qui permet au moi de savoir quelque chose d'autrui, mais ce savoir n'est possible que parce que je perçois par empathie une correspondance ou similitude possible entre moi et lui. Cette correspondance, si elle est seulement supposée, est donc plus sujette à erreur. Au contraire, la connaissance par empathie du caractère d'autrui (l'expérience que j'en ai par empathie) permet de mieux imaginer ou supposer ce qu'autrui ferait dans telle ou telle situation. La teneur cognitive du vécu supposé tient au vécu non originaire d'autrui empathisé.

Dans le document Les enjeux de l'empathie selon Edith Stein (Page 40-43)