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L'empathie de la personne d'autru

Dans le document Les enjeux de l'empathie selon Edith Stein (Page 82-85)

4. L'empathie dans la constitution de la personne humaine

4.4 L'empathie de la personne d'autru

Stein va s'efforcer de monter comment l'empathie rend possible la connaissance d'autrui dans les différentes couches de son Moi.

1) il y a d'abord l'empathie sensorielle (enesthésie) par laquelle le vécu de la sensation d'autrui m'est donné de façon non originaire comme la sensation qu'il éprouve. L'empathie me met directement en contact avec l'intériorité d'autrui qui se donne à moi comme corps vivant. Mais l'empathie devient une connaissance objective de ce vécu de la sensation par l'analogie entre son corps (Körper) sur lequel se manifeste de façon visible la sensation et mon corps dont je perçois aussi la modification quand j'éprouve une sensation. Cette conformité du type de corps (Körper) rend possible le remplissement de l'empathie qui saisit ainsi de façon adéquate, comprend de l'intérieur, ce que l'autre éprouve comme sensation :

Avec la couche sensorielle du corps étranger (qu'à strictement parler nous n'avons plus le droit d'appeler "corps" ("Körper"), c'est déjà, grâce à l'appartenance au Moi qui caractérise par essence les sensations, un Moi étranger qui nous est déjà donné, même si ce n'est pas nécessairement un Moi "éveillé" capable de devenir conscient de soi. 99

2) Il y a ensuite l'empathie du point-zéro d'orientation d'autrui qui permet de comprendre la manière dont le corps vivant d'autrui s'oriente dans l'espace extérieur et ainsi se donne un monde :

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Id., p. 107.

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Le corps de l'individu, en tant que simple corps physique est une chose spatiale comme les autres, et il est donné à une place déterminée de l'espace, à une certaine distance de moi, le centre de l'orientation spatiale, et dans des rapports spatiaux déterminés avec le reste du monde spatial. Or, quand, en l'appréhendant comme corps vivant sentant, je me transpose en lui par empathie, j'obtiens une nouvelle image du monde spatial et un nouveau point- zéro d'orientation.100

On retrouve ici les trois degrés de l'empathie : autrui m'est donné comme corps vivant sentant de façon immédiate (premier degré). Puis je reconnais dans la manière dont il meut son corps (Körper) dans l'espace extérieur une manière d'habiter l'espace qui lui est propre et avec laquelle je ne peux m'identifier mais que je peux comprendre par analogie avec mon propre pouvoir d'habiter l'espace extérieur (deuxième degré). Enfin, autrui demeure à distance de moi, il me fait face avec le monde qui est le sien et j'obtiens par empathie une nouvelle image du monde spatial.

La saisie par empathie du monde spatial d'autrui élargit ma propre image du monde. L'image qu'un sujet vivant se fait du monde dépend de la manière dont il investit le monde de ses pouvoirs. Par l'exercice de ses pouvoirs (celui de sentir par les sens externes ou les sens internes), le sujet se donne une certaine image du monde. C'est l'épreuve immanente que le sujet fait de ses propres pouvoirs (pâtir intérieur) qui fonde la transcendance du monde, ouvre la possibilité de s'en donner une image qui soit le corrélat objectif des pouvoirs du sujet. C'est pourquoi l'empathie, en rendant possible l'espace intérieur de l'intersubjectivité, m'ouvre en même temps au monde d'autrui qui se présente alors à moi de façon objective et élargit la connaissance que j'ai du monde lui-même :

L'orientation nous a fait avancer d'un grand pas dans la constitution de l'individu étranger, car avec elle on saisit par empathie, dans le Moi qui appartient au corps sentant, toute la profusion des perceptions externes dans lesquelles se constitue, conformément à des lois d'essence, le monde spatial. Il est passé de l'état d'un sujet qui a des sensations à celui d'un sujet qui accomplit des actes.101

L'empathie est donc ce qui permet l'expérience intersubjective au sens où mon corps vivant se rend présent au corps vivant d'autrui, se l'"incorpore" en quelque sorte. L'expérience intersubjective se situe ainsi dans l'intériorité d''une relation entre sujets, et c'est cette relation qui rend possible la co-saisie des manières de faire monde par la médiation des corps (Körper):

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Id., p. 109.

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Id., pp. 109-110.

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L'empathie, en tant que fondement de l'expérience intersubjective, devient condition de possibilité d'une connaissance du monde extérieur existant.102

3) On peut aussi appréhender le corps vivant de l'homme comme porteur de mouvement. Dans la perception du mouvement que j'ai de son corps, je peux le saisir seulement de façon externe comme un mouvement mécanique : je peux saisir les différents points de l'espace extérieur par lesquels s'effectue ce mouvement, et donner à ce mouvement un ordre causal. Cependant, une telle approche mécanique du mouvement reste insuffisante car l'empathie est précisément ce qui saisit le mouvement comme vivant. Dans la perception externe du mouvement du corps (Körper) d'autrui je co-saisis par empathie un vécu du mouvement. J'aperçois dans le mouvement mécanique le vivre même d'autrui qui vit ce mouvement de façon immanente. Le vécu même du mouvement m'est donné et renvoie à mon propre pouvoir de mouvoir mon corps librement :

Les mouvements d'un individu ne nous sont pas donnés comme des mouvements simplement mécaniques (…) Je "vois" un mouvement du type de mon propre mouvement, je l'appréhende comme mouvement propre, je suis la tendance du mouvement propre "co-perçu" avers son remplissement, en l'accompagnant par empathie (…) et j'accomplis pour finir l'objectivation par laquelle il se présente à moi comme mouvement de l'autre individu.103

5) Enfin, je peux saisir le corps d'autrui comme porteur des phénomènes d'expression. Ici le corps d'autrui (Körper) m'est donné comme exprimant le psychique, il devient proprement la médiation par laquelle le psychisme d'autrui s'"incarne", s'extériorise et devient ainsi réel, effectif. Le corps fait signe vers autre chose que lui-même et que l'empathie peut saisir car elle permet d'entrer dans l'intériorité du sujet vivant :

La compréhension de l'expression corporelle s'édifie sur la saisie du corps vivant étranger, déjà appréhendé comme corps vivant d'un Moi. Je me transpose dans le corps vivant étranger, j'accomplis le vécu qui m'était déjà co-donné à vide avec la mine dont il s'agit, et j'éprouve de quelle manière cela aboutit à cette expression.104

102 Id., p. 113. 103 Id., p. 117. 104 Id., p. 138.

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Dans le document Les enjeux de l'empathie selon Edith Stein (Page 82-85)