• Aucun résultat trouvé

De la Grèce continentale à la Cilicie – étude des cultes consacrés à Amphilochos et de son univers religieu

2.2. Autour de Mallos : les indices sur l’origine du sanctuaire et son développement

2.2.1. Histoire de la cité

Les précieuses études numismatiques faites par Imhoof-Blumer à la fin du XIXème

siècle ont livré aux historiens des informations cruciales sur l’histoire de la cité de Mallos et la place importante qu’elle occupait en Cilicie avant l’expédition d’Alexandre. En effet, aucun texte n’apporte d’informations sur la cité avant le IIIème siècle av. J.-C. et seules les

émissions monétaires apportent un éclairage sur son origine37. Du VIème au IVème siècle, la

cosmologie figurée sur les revers monétaires de Mallos attestent son origine phénicienne; sont en effet représentés le cygne et la pierre conique (bétyle)38, deux symboles

caractéristiques du culte d’Astarté, mais aussi une divinité masculine barbue flanquée de quatre ailes que l’on pourrait à juste titre identifier comme El, le Kronos phénicien, et enfin une figure à deux ailes tantôt féminine tantôt masculine à l’identité obscure mais qui assurément appartient à l’univers mythologique du Levant. Ces données numismatiques ne concordent donc pas avec la tradition répandue des Anciens qui faisaient de Mallos une cité d’origine grecque. Nous avons vu que l’hypothèse d’une colonisation grecque de la Cilicie au cours de l’helladique récent était peu vraisemblable au regard des éléments fournis par l’étude du matériel céramique, et l’examen des monnaies archaïques vient confirmer ce point. A partir d’un certain moment cependant (au cours du VIème siècle), le type monétaire

« phénicien » intègre à son univers des représentations de divinités grecques, ce qui est vraisemblablement le signe d’une lente pénétration de la sphère culturelle hellénique dans la région39. Les IIIème et IIème siècles av. J.-C. sont une période de grand trouble pour la cité :

après les guerres incessantes des Diadoques, les ravages de la piraterie, puis les invasions d’Ariarathe et de Tigrane l’Arménien, Pompée se voit obligé de repeupler cette région désertée et dévastée. Il faut attendre le début du IIIème siècle ap. J.-C. pour voir la cité de Mallos devenir une colonie romaine40 et recouvrer sa puissance d’antan. Ce n’est qu’à

partir du IIème siècle ap. J.-C. qu’Amphilochos est représenté au revers des monnaies émises par la cité de Mallos; on s’étonnera en effet de constater qu’il ne figure jamais dans le

37 Friedrich Imhoof-Blumer, Mallos, Mégarsos, Antioche du Pyramos; étude géographique,

historique et numismatique, Paris, 1883, p. 35-37.

38 Hill n’est cependant pas convaincu du fait qu’on puisse attribuer les thèmes faisant figurer un

bétyle à la cité de Mallos. George Francis Hill, Catalogue of the Greek coins of Lycia, Pamphylia,

and Pisidia, British Museum. Dept. of Coins and Medals, Bologna, A. Forni, 1964, p. CXVII-

CXVIII.

39 Friedrich Imhoof-Blumper, op cit, p. 36-37; George Francis Hill, op cit, p. CXVII-CXXIII.

40 George Francis Hill, Catalogue of the Greek coins of Lycia, Pamphylia, and Pisidia, British

panthéon des divinités grecques représentées aux époques classique et hellénistique sur les monnaies, alors qu’il sera la divinité majeure de la cité quelques siècles plus tard. Tout donne l’impression que l’émergence de son statut de divinité oraculaire en Cilicie coïncida avec la renaissance économique et politique de Mallos à l’époque romaine.

D’après les Anciens, le site de Mallos était situé sur une colline près du fleuve Pyramos et son nom aurait été donné soit par un fondateur mythique du nom de Mallos, soit par Amphilochos et Mopsos qui auraient appelé la cité ainsi d’après des touffes de laine (μαλλοί) qu’un corbeau aurait déposé à cet endroit41. Le site n’a pas encore été retrouvé

avec certitude même si certains explorateurs localisèrent très probablement l’antique cité en prospectant dans la région au XIXème siècle, un temps où les vestiges de Mallos et de sa

voisine Magarsos étaient encore visibles42. Même si la localisation des deux cités fut

parfois confondue par ces mêmes explorateurs, il est sûr aujourd’hui que Mallos, dont le nom n’a jamais changé durant l’antiquité, était située à l’intérieur des terres, à l’endroit précis où le fleuve Pyramos se séparait en deux comme cela est suggéré sur le revers de certaines monnaies de la cité43. La cité de Magarsos elle, qui a pris le nom d’Antioche du

Pyramos à l’époque séleucide, était sans aucun doute située en bord de mer44.

On voit donc qu’il y a un profond décalage entre les légendes de fondations qui insistent sur l’origine grecque de la cité, et les indices archéologiques qui révèlent son origine phénicienne. Partant de ce constat, et en étant conscient du fait que peu d’oracles ne tirent pas leur légende de fondation d’un passé mythologique, nous pourrions supputer que la figure d’Amphilochos a pu être assimilée à une figure divine phénicienne ou locale45,

mais seule une fouille archéologique du site apporterait du crédit à cette hypothèse.

41 Eustathe, Commentarium in Dionysii Periegatae Orbis Descriptionem, 875, 13-20; Strabon,

Géographie, 14, 5, 16; Euphorion, Fragments, 98.

42 Friedrich Imhoof-Blumer, Mallos, Mégarsos, Antioche du Pyramos; étude géographique,

historique et numismatique, Paris, 1883, p. 1-7.

43 Louis Robert, « Contributions à la topographie de villes de l’Asie mineure méridionale », CRAI,

1951, p. 254-259.

44 Lycophron, Alexandra, 440; Scholie à Lycophron, 444.

45 Auguste Bouche-Leclercq, Histoire de la Divination, Tome II, éd. Jérôme Millon, Grenoble, 2003,

p. 770 : « Il y eut sans doute assimilation des héros grecs avec des types locaux, assimilation qui, à en juger par les embarras et circuits de la légende, ne laissa pas que d’être laborieuse ». Des associations entre dieux grecs et phéniciens ont en effet pu être possibles étant donné la ressemblance frappante de certaines divinités : on remarquera par exemple que la figure d’Eshmoun, dieu guérisseur originaire de Sidon souvent représenté accompagné de serpents, fut assimilée naturellement par les Grecs à Apollon ou Asclépios suivant les contextes. Il n’est pas impossible qu’Amphilochos, divinité asclépiade, ait pu être assimilé à un dieu ou un héros local de la sorte. Voir Edward Lipinski, Dieux et déesses de l’univers phénicien et punique, Leuven : Uitgeverij Peeters et Département Oosterse Studies, 1995, p. 154-168; Edward Lipinski & Claude Baurain, Dictionnaire