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HAROLD : LE TERRITOIRE INVEST

Dans le document Sissinghurst. Une demeure-jardin (Page 46-59)

Dans un premier temps, Harold habitant très peu Sissinghurst et toujours en voyage, laisse à Vita la partie centrale du jardin, qu'elle associait à ses ancêtres, et s'approprie les marges. Son territoire se situe face au sud, ouvert sur le paysage environnant. Ainsi, sa personnalité nomade, de diplomate, l'empêche de se fixer, ou plutôt requiert que la fuite soit toujours possible. Son imaginaire est lié à l’idée du voyage. Ce désir de marquer un lieu où il va enfin s'arrêter le fait passer de la réalité de nomade à la rêverie de l'instabilité, de l'errance. La première conséquence est la création du lac, en dehors du jardin, réalisé dès son installation (en 1932). Une fois fixé à Londres pour ses activités, il trace le double parcours inversé qui lui permet de vivre en fin de semaine ce désir d'évasion qu'il recherche dans un jardin. Nigel rapporte dans Portrait d ’un mariage, p. 299 une des habitudes de son père :

« lorsqu 'Harold retournait à Sissinghurst chaque vendredi soir, il parcourait,

toujours vêtu de son costume de ville, sa serviette à la main, le jardin, y trouvant, avant toute chose, le lieu où disparaissaient tous les désespoirs de la semaine, un verre de vin contenant les merveilles du week-end ».

Le jardin miniature comme substitut

A partir de juin 1946, Harold s'installe dans un nouveau pied-à-terre à Londres sur Onslow Garden dans South Kensington. Devil Tenace, ainsi l'appelle-t-il, est un lieu qu’il déteste. Afin de le supporter, il veut le trans­ former en « great Palladian garden », et reconstituer en miniature un rappel de son territoire de Sissinghurst, dont l’image réduite du « lac de ses rêves ». Vita lui préparait des bacs de fleurs aux couleurs vives, qui plaisaient tant à Harold, par exemple les fleurs jaune, orange et rouge du jardin flamboyant du Cottage Garden, ainsi que l’écrit Vita dans une lettre à Harold du 4 février 1947 :

« I enclose a list of annuals from which you can compose either a yellow and

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don 't y ou ? or a purple mauve and pink one - y ou will hâve to buy these plants in May - I should mix wall-flowers with your polyanthus - orange bedder wall flowers and fire king with yellow and tawny polyantha. Must you hâve géraniums ? » (Jane Brown dans Vit a 's other world, p. 178).

Le

L im e W a lk - S p rin g G a rd en - U n te r d en L in d en

- (1932)

A partir de l'été 1947, une nouvelle vie s’organise pour Harold. Il profite davantage de Sissinghurst, et par exemple, se baigne régulièrement dans le lac... : « Bathing in the lake before breakfast under the Erectheum, writing ail

day and working and planning the garden, especially his spring border « Unter den Linden » in the evenings » (Jane Brown : Vita ’s other world, p. 178).

Par ses carnets de notes, il est alors possible de suivre précisément sur quelles parcelles du jardin Harold va appliquer ses idées ; ce qui permet d'établir l'emprise exacte de son territoire.

Son lieu préféré, depuis qu'il l'a créé en 1932, est la perspective du Nuttery et du Lime Walk qu'il nomme Unter den Linden en souvenir de la fameuse promenade berlinoise. Cette allée de tilleuls tapissée de fleurs sera rebap­ tisée par la suite spring garden en raison de sa floraison programmée au début du printemps. La symphonie de couleurs de ces mixed Borders se prolonge dans le sous-bois de noisetier par un tapis de primevères et de polyantus (« symbol ofall that was bright andgood »).

Sa passion pour ce lieu était telle qu'Harold nomma son grand oeuvre : My

life’s work (ou M.L.W.). Il en parle en ces termes dans sa lettre à Vita du

18 avril 1945 cité par Jane Brown dans Vita ’s other world,

p.

179 :

« I am determined to make M.L.W. the loveliest spring border in England and then to make the Nuttery what it was before. If I succeed in this I shall die happy ».

Il se fait assister, pour mener à bien ce projet, d'un jardinier particulier, Sydney Neve ; Vita et Vass, son propre jardinier, n'ont pas le droit d'y intervenir. Harold inscrivait méticuleusement dans un cahier, à partir de 1947 et durant 15 ans, les schémas de plantation, les variations et sugges­ tions, année par année, mois par mois du Spring Garden. Il l'appela : My

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Life 's Work note-book et numérotait sur le plan les tilleuls de 1 à 15 au nord

et au sud, chaque section déterminant les zones à planter entre chaque arbre.

Le

S o u th C o tta ge

et le

M o a t W a lk

(1931)

Harold marquait également sa préférence pour le Cottage Garden et le Moat

Walk qui constitue le deuxième axe-promenade menant à la statue de

Dionysos. Harold délègue pourtant son pouvoir, quant à l’entretien et au jardinage, à Vita et à son jardinier Jack Vass, à la condition expresse de suivre ses indications, puisque ces lieux faisaient partie de son territoire.

• L e Study

Son bureau est, dans le South Cottage, orienté au sud ; Harold y tourne le dos au territoire de Vita. Il domine ses deux promenades, le Lime Walk et le

Moat Walk, sa vue s'étend, au-delà de l'enclos, vers le lac, à travers les

prairies plantées de fleurs, jusqu'à la forêt de Roundshill Park. Les haies du

Lime Walk servent d'écrans rapprochés, accentuent la mise à distance,

l’éloignement du paysage ; des ouvertures multiplient les vues.

Harold écrit en octobre 1948 cité par Anne Scott-James dans The Making of

a garden, p. 111 : « Sissinghurst has a quality of mellowness, of retirement, ofun- flaunting dignity, which is just what we wanted to achieve and zuhich in some ways we hâve achieved by chance. I think it is mainly due to the succession of privacies (...) AU sériés of escapes from the world, giving the impression of cumulative escape ».

Harold veut voir mais ne pas être vu, afin de préserver leur intimité, il se crée un refuge, loin des hommes, de la vie de Londres, refusant une émis­ sion de télévision sur le jardin : « having a préjudice against « exposing my

intimate affections to the public gaze ». (cité par Ann Scott-James : The making of a garden, p. 109).

Ce poste d’observation lui permet donc un contrôle de l'ensemble de son territoire.

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Le Sissinghurst Crescent

Cet arrêt dominant le Moat Walk est le point de départ de la promenade, c'est un havre de paix, de fraîcheur, une bouche d'ombre. Cet arc de cercle en forme de trône possède un banc dessiné par Lutyens et, en son centre, la trace d'une meule tournoyante comme un soleil. C'est le lieu où l'homme retrouve ses forces dispersées, se recrée un équilibre, qui lui permet de contempler pleinement le tableau qui s'offre à lui, avant de s'enfoncer dans la profondeur du Moat. A partir de ce trône, l'ensemble de la promenade vers le soleil levant se déroule avec un grand apparat, un cérémonial : à partir du trône, le tapis déroulé du Moat Walk (Persian

carpet), le rythme des contreforts d'un mur Tudor, les colonnes de deux

peupliers, la niche d'une statue.

L e R o n d e l (1933)

Bien avant la transformation par Vita du Kitchen Garden en Rose Garden (à partir de 1939), Harold a redéfini cet enclos. Le trapèze devient un rectangle, un pan coupé par le Lime Walk. Au centre, il compose un espace rond de géométrie parfaite, le Rondel (ainsi est appelé dans le Kent, le lieu de battage de l'avoine). Les haies d’ifs taillés imposent un compartimen­ tage à la profusion sauvage des plantations de Vita. Au début, l’idée d'Harold a du mal à s'imposer, surtout dans un territoire revendiqué par Vita, il le raconte dans son journal le 27 septembre 1933 (Gwen St-Aubyn, soeur d'Harold était là pour l'aider) : « (I) measure the central path in the

kitchen garden and Gwen helps me. Finally Vita refuses to abide by our decision or to remove the misérable little trees which stand in the way of my design. The romantic tempérament as usual obstructing the classic. » (Jane Brown : Vita's other world, p. 119).

Elle ne l'accepte qu'à contre-coeur, uniquement parce que William Robinson, le jardinier qu'elle admirait le plus à l'époque, intégrait aussi des éléments formels dans ses compositions.

Harold a plus tard une autre suggestion pour le Rondel : le transformer en « Bassin de Neptune » comme celui de Versailles, exagération volontaire­ ment polémique, vu sa tendance classique : « I admit that Versailles,

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Courances and Villandray are superb achievements of the architectural school of gardening. Nobody could sit with his family on the parterre of Versailles and read

the sunday papers while sipping china-tea » (Harold Nicolson 1963 : Intro­

duction au livre de Peter Coats : Great çardens. cité par Scott-James The

Making of a garden, p. 38).

L’idée de transformer le Rondel en bassin, se réfère également à Hidcote, jardin du Major Lawrence Johnston, que Vita et Harold admiraient beaucoup, et dans lequel le Bathing Pool Garden était envahi par un bassin circulaire, de façon exagérée, également pleine d’humour, tel un immense miroir.

L es in terv en tio n s d ’A .R . Pozvys

A.R. Powys, architecte de la « Society for the Protection of Ancient

Buildings », appelé par Vita et Harold le « Frère positif », intervint en 1932

comme consultant. Il essaya toujours d'imposer ses vues par de longues argumentations écrites et quelques réalisations lui furent confiées, telles

VErectheum et le Rose Garden Crescent.

Le M ur des Héros

La première consultation de Powys a porté sur la fermeture au nord du

Front Lawn pour l’isoler de ce qui devait devenir « Délos », et n'était alors

qu’un dépôt des pierres trouvées dans le jardin.

- L'idée première de Vita et d'Harold était de fermer l'espace en déplaçant une grange de Sissinghurst pour la reconstruire à cet emplacement. Ils envisagèrent également la construction d’une aile nouvelle mais aban­ donnèrent cette idée trop coûteuse.

- Vint ensuite l'idée d'une « loggia couverte », qui servirait aussi de volière pour les oiseaux de Vita, et qu'elle désirait couvrir de roses Mermaid. La proposition de Powys d'un mur à arcades visibles des deux côtés fut reje­ tée par Vita comme « trop élaborée^.

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Harold tenait pourtant à un marquage architectural : « I think we need a

touch of architecture to that wall » (cité par Jane Brown dans Vita's other world, p. 123).

Par provocation, Harold proposa alors un mur rythmé de niches où serait exposée une série de bustes réalisés par l'artiste Hammann, de Berlin, bustes créés à partir de masques en cire de lui-même et de ses amis : Eddy Sackville-West, David Herbert, Raymond Mortimer, Dorothy Wellesley, Paul Hislop, Edward Knoblock (peut-être également Cecil Beaton) ; Vita refusa d'en faire partie. Harold voulait appeler ce mur le «Mur des Héros »

Le Rose Gardett Crescent

A.R. Powys réalisa le crescent dans le Kitchen Garden, future Rose Garden, alors qu'Harold était aux U.S.A. Powys, utilisant des briques trop neuves pour construire le mur courbe, s'attira les foudres de Vita, qui les trouvait « Harsh, just like any bungalow ». Powys fut obligé de les vieillir en les trempant dans du purin.

Même si Vita et Harold ressentaient de l'amitié pour lui, ils firent souvent allusion à son extrême mauvais goût.

L'Erectheum

Powys restaura également l'intérieur de plusieurs bâtiments : la Big Room qui devait the perfect room, et le Priest’s House pour les enfants Ben et Nigel, le rez-de-chaussée étant réservé aux repas en commun.

Il créa dans le Rose Garden (futur White Garden) une pergola nommée

Erectheum portée par des colonnes antiques (le croquis de Powys « drawn in the train » date de 1933), pour abriter les repas pris à l'extérieur. La vigne

qui recouvre cette pergola fut plantée en 1935, et une statue en plomb d'une Vierge (du yougoslave Rosandic) fut placée dans un premier temps dans un enclos en contre-bas sous les fenêtres de la salle à manger.

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Le Yew Walk et l'entrée du Front Lawn

Ce furent deux sujets de friction :

- pour le Yew Walk, Powys proposait des haies concaves vers la tour, convexes vers VOrchard afin de favoriser l'approche du Moat. Il combattit également l'étroitesse du Yew Walk lors de la plantation de la deuxième rangée d'ifs : « I notice that your yew hedges are Utile more

than 12 inches thick. They will grow to three or fivefeet or even thicker. You must watch that (...) hâve you ever measured the thickness of an old yew hedge ? » (Jane Brown : Vita 's other world. p. 123).

Powys jouait le rôle du critique, et, en fait, de leur « mauvaise conscience ». Afin de contrer ses arguments, Harold envisageait de paver l'allée : « Stone against yew is a lovely thing ». (idem)

- De même pour l'entrée du Front Lawn, Powys proposait un jeu de différences de niveau en pierre pour résoudre la pente le long des bâtiments. Mais Vita voulait une allée solennelle, de l'arche d'entrée à sa tour, ce « precious sweep of paving » lui rappellant le Green Court de Knole. Finalement ils optèrent pour le renivellement parfait de l’ensemble de la cour.

A.R. Powys envisageait son rôle comme celui d'un initiateur, conseillant avec passion le dessin du jardin et de l'architecture. Voici le genre de missives à l'humour acidulé qu'il adresse le 3 novembre 1932 à Harold (Jane Brown : Vita's other world, p. 122) : « A great thing to

remember, in laying out gardens is that the scale out of doors is so much larger than indoors ; that is where many go wrong, particularly those who plan gardens in offices. »

Ce genre de conseils eurent le don d’énerver Harold et Vita, qui en arrivè­ rent à le congédier.

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Dans le document Sissinghurst. Une demeure-jardin (Page 46-59)

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