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C HAPITRE 5 – L’ ÉCLATEMENT FORMEL , UN ÉCHO À LA SITUATION DU PROTAGONISTE

Comme nous venons de le voir, chacun des romans de notre corpus est narré par un narrateur autodiégétique. Or, cette narration n’est pas toujours unique, tout comme chaque histoire est présentée à travers plusieurs points de vue. Le récit passe par de multiples variations, toujours à l’image de la déconstruction vécue par les protagonistes. Comme l’explique Françoise Susini-Anastopoulos, « [c]ette structure éclatée [qu’est la fragmentation textuelle] [se rapporte] à un grand manque, une insoutenable vacuité installée au cœur du sujet créateur.1 » La notion de vacuité importe ici encore, puisqu’elle permet de cibler dans la vie du protagoniste l’origine de la fragmentation textuelle dont on observe les prémisses puis l’évolution dans les romans du corpus.

ABSENCE DE DIALOGUE ET NÉCESSITÉ D’UN RELAIS POUR LES NARRATEURS EN DEUIL

La forme déconstruite des œuvres rejoint en ce sens les « fortes tendances autoreprésentatives [par lesquelles] le roman postmoderne se démarque 2 » ; cette déconstruction paraît évoquer le contenu, en ce sens qu’elle semble à l’image de la situation que vivent les personnages en lien avec le suicide. Tout comme l’être est fragmenté par le deuil et la perte de ses repères, sa parole s’altère et le narrateur n’est plus en mesure de produire un récit cohérent. Sa parole, qui se veut au départ la ligne directrice du récit, se fragmente, s’effondre par moments sous le poids de cette vacuité. Cependant, « l’acte d’énonciation ne se caractérise pas uniquement par la mise en place d’un “je” narratif mais par une pluralité de voix narratives. Ces voix sont soit scindées, dédoublées, fragmentées, […] soit carrément multiples.3 » En ce sens, on comprend que le roman recourt à un autre narrateur, à une autre forme d’expression, afin d’offrir un répit, une pause, un relais, voire un nouveau souffle au récit du narrateur.

Ce n’est pas sans raison que Mathieu, à la fin de chaque chapitre du Long silence, est ramené à la réalité par l’arrivée d’un bouquet de fleurs près de sa défunte amie.

1 Françoise Susini-Anastopoulos, op.cit., p. 62. 2 Janet M. Paterson, op.cit., p. 13.

L’adolescent en deuil parle sans savoir où il va, se perd dans ses pensées, dans les souvenirs d’une Alice en vie, et les « Tiens, on apporte un bouquet. Je regarde la carte, si tu permets. / “DE TA MÈRE, TON PÈRE ET TA SŒUR QUI T’AIMENT.”4 », « Bon, encore des fleurs.

/ Juste une signature. “CLAUDE ET MARCEL.”5 », « Voilà un immense bouquet de lys blanc

qui arrive. / “LA DIRECTION DU CÉGEP DE X.” / Il faut être mort pour recevoir un cadeau de

ces gens-là.6 » marquent chaque fois une rupture dans les pensées du protagoniste. L’arrivée des bouquets de fleurs le sort systématiquement de ses divagations, le forçant à reprendre un peu ses esprits en le ramenant à l’ordre : il est tiré vers la réalité et doit retrouver des repères dans le moment présent. Les bouquets rappellent l’existence des amis, de la famille, des autres personnes qui font partie, comme lui, de ceux qui restent. L’adolescent a besoin de ces points de repère, de ces rappels à l’ordre, à la réalité ; plongé dans sa solitude et dans son désarroi, il serait assurément incapable de reprendre lui-même ses esprits. L’intervention d’un élément extérieur, dans ce cas-ci la livraison des bouquets de fleurs, s’avère donc nécessaire pour lui permettre de faire une pause, de reprendre son souffle avant de poursuivre le discours d’adieu – discours qui suscite une douleur difficile à soutenir, il va sans dire – qu’il tient à son amie décédée.

« Mais du fait qu’elle consent à s’interrompre constamment, l’écriture discontinue serait également [, nous dit Susini-Anastopoulos,] une écriture de l’accueil et de l’échange, intégrant le dialogue à égalité des voix.7 » Or, ici, ce n’est jamais le cas. Toujours dans le roman de Desrosiers, par exemple, les interruptions qui ponctuent le discours de Mathieu n’arrivent jamais à ouvrir la porte au dialogue. Les Autres qui apparaissent dans le roman par le biais des bouquets de fleurs permettent à Mathieu de ne pas oublier qu’il n’est pas complètement seul, mais la solitude physique demeure – il est seul avec une morte – et le dialogue ne peut prendre forme. Mathieu converse seulement avec lui-même, comme les autres personnages du corpus, dont les paroles ne trouvent jamais d’écho.

Colin, dans Le parfum des filles, est aussi confronté à cette absence d’écho. Après le suicide de sa grande sœur, son univers vole en éclats et la distance entre les membres de la

4 Sylvie Desrosiers, op.cit., p. 29. 5 Ibid., p. 50.

6 Ibid., p. 114.

famille ne se dissipe pas malgré les jours qui passent. Il explique : « À mon arrivée, Papa ne me salue pas. Il ne parle plus beaucoup depuis la mort de ma grande sœur. Disons qu’il parle davantage à Julie qu’à moi.8 » L’absence de dialogue, son caractère impossible, illustrent la dynamique inhabituelle du roman. Chaque personnage souhaite dialoguer avec la morte, oubliant qu’il pourrait plutôt échanger avec ceux qui restent. Il en résulte une narration autodiégétique qui décrit beaucoup les événements : Colin détaille ses pensées, réfléchit sur les autres personnages, mais la narration, moteur du récit, ne fait que très rarement place à des séquences dialogales.

Cette absence d’interaction entre les personnages illustre bien que « la rupture [peut] emprunte[r] des formes diverses [:] désordre spatio-temporel, achronologie, représentation fragmentée des personnages, scission du “je” narratif.9 » Toutefois, cette fragmentation qui affecte les personnages se répercute sur la narration de chacun des romans. Chez Pelletier, le dialogue est tout de même plus présent, mais il n’ouvre jamais la porte à de réels échanges entre les personnages. Zoé relate les conversations qu’elle a avec ses parents ou avec des collègues de classe, mais elle se montre toujours fort peu réceptive, elle s’interrompt pour critiquer l’échange en question ou encore la personne même avec qui elle parle. Son manque de réceptivité est particulièrement évident lors d’une discussion avec sa mère :

– Il faut recevoir les honneurs auxquels on a droit. – Les honneurs, je m’en fiche.

– Il faut te faire une place dans la société, ma biche. Un peu de reconnaissance ne nuit jamais à personne.

– La reconnaissance, je m’en fiche.

– On va célébrer ton talent. Pour une fois que tu reçois une récompense, tu ne devrais pas rater ta chance.

– Ça me dégoûte. Si tu veux absolument et à tout prix que j’aie une médaille, va la chercher toi-même.10

Les « je m’en fiche » répétés illustrent bien que, malgré qu’un contact soit établi et qu’une conversation ait lieu, l’échange se révèle impossible vu la fermeture de Zoé. La fragmentation du personnage adolescent se reflète donc dans cet empêchement de la

8 Camille Bouchard, op.cit., p. 40. 9 Janet M. Paterson, op.cit., p. 20. 10 Maryse Pelletier, op.cit., p. 19-20.

communication, puisque plus rien n’importe sauf le défunt. Tout comme le père de Colin, dans Le parfum des filles, parle beaucoup plus à sa fille décédée qu’à l’enfant qui lui reste, Zoé, ici, se fiche de tout ce qui ne concerne pas son défunt amoureux : elle se fiche de sa vie et de sa famille. Elle met un terme à la conversation, ce qui crée une rupture dans la séquence dialogale.

Il va sans dire que, étant donné la réaction de l’adolescente lorsque les autres tentent d’échanger avec elle, la narration faite par cette dernière consacre somme toute peu de place au dialogue. La fragmentation de la communication, voire son effondrement, s’avère particulièrement significative puisque, comme l’explique Susini-Anastopoulos, « le fragment, loin de figurer l’harmonie des parties et des détails, ne fait qu’en accuser la séparation.11 » L’isolement du personnage prend donc tout son sens puisqu’il résulte lui aussi de cet éclatement, s’incarnant à la fois dans les pensées de l’adolescente et dans la forme du récit, où les protagonistes ne parviennent à établir avec l’Autre aucun contact véritable.

VERS UNE MULTIPLICITÉ CONSIDÉRABLE DE NARRATEURS

La forme éclatée du récit repousse toutefois de nouvelles limites dans le roman le plus récent du corpus, celui d’Élaine Turgeon, où la narration devient marquée par une plus importante discontinuité, par une pluralité habituellement peu présente dans la littérature pour la jeunesse. La rupture, qui, rappelons-le, caractérise selon Paterson les romans postmodernes, « instaure un nouvel ordre du discours ; elle instaure l’ordre de la pluralité, de la fragmentation, de l’ouverture ; elle instaure, en bref, l’ordre de l’hétérogène.12 » La multiplicité des narrateurs dans Ma vie ne sait pas nager reflète bien cette hétérogénéité : Lou-Anne s’improvise narratrice autodiégétique en écrivant dans son journal, Geneviève partage ses pensées et ses dessins par le biais de son cahier, alors qu’un narrateur hétérodiégétique propose un regard qui se veut davantage objectif sur le suicide – et l’après – qui ravage la famille des jumelles.

11 Françoise Susini-Anastopoulos, op.cit., p. 54. 12 Janet M. Paterson, op.cit., p. 20.

On observe une scission marquée entre les différentes narrations qui, pour en revenir aux voix narratives plurielles dont parlait Janet M. Paterson13, sont à la fois multiples et fragmentées. Cette multiplicité s’avère particulièrement intéressante dans la mesure où elle permet une diversité considérable de points de vue, bien que les narrateurs n’arrivent pas à les partager entre eux. Les personnages vivent la même douleur, mais aucun ne met fin à l’isolement ; ici encore, le dialogue est pour ainsi dire complètement absent. Les narrations multiples se côtoient, mais jamais ne se répondent, jamais ne se font écho entre elles.

L’une des narrations, la narration hétérodiégétique que l’on retrouve de façon ponctuelle tout au long du roman, est omnisciente et impersonnelle. Elle emprunte divers points de vue afin de poser un regard englobant sur les événements, de décrire les faits de façon aussi objective que possible, de prendre le relais lorsque les mots, la douleur deviennent insupportables pour les narrateurs impliqués dans l’histoire. C’est d’ailleurs cette instance narrative qui nous amène à assister au suicide de Geneviève en détaillant ses gestes : « Assise sur le bord de la piscine, les pieds dans l’eau, sa tête tournait. Tout cet air qui passait de ses poumons au matelas l’étourdissait. Elle ferma la valve, laissa flotter le matelas sur l’eau calme et s’étendit sur le dos.14 » La distanciation propre à ce type de narration crée un contraste par rapport aux narrations autodiégétiques qui apparaissent dans le récit de façon plus ou moins constante. Ce sont d’ailleurs les passages narrés à la troisième personne qui servent de point de repère pour numéroter les chapitres du livre, se présentant ainsi comme des bouées relativement stables à travers les débordements émotifs qui bouleversent la narration de Lou-Anne de même que celle de Geneviève.

En effet, les extraits narrés par Lou-Anne se présentent pour la plupart sous une forme propice à l’expression des sentiments, celle du journal de la jeune fille. Le journal est une forme d’écriture qui se pratique non sans un certain repli sur soi, certes, mais ici, la fragmentation, l’isolement constituent des thématiques fort présentes dans le discours de l’adolescente : « Les reproches fusent de toutes parts depuis hier. C’est à qui jetterait en premier la faute sur l’autre : ma grand-mère sur ma mère, ma mère sur l’école, l’école sur

13 Ibid., p. 18.

mes parents. Ma mère a même reproché à ma grand-mère de lui avoir transmis des gènes pourris. […] Pour une raison que j’ignore, ma mère fait volontairement abstraction de moi. Comme si je n’existais pas.15 » Les reproches que se font mutuellement les personnages confirment l’impossibilité pour eux de communiquer leur douleur, et il en résulte une scission entre les membres de la famille. Les personnages sont brisés, déconstruits, et cette douleur a une telle ampleur que les relations entre ces derniers subissent également les conséquences du deuil : la communication et le partage deviennent impossibles, à l’image de la fragmentation qui habite chacun des personnages.

Cependant, le journal ne se limite pas à aborder le thème de la fragmentation ; sa forme illustre également la déconstruction vécue par Lou-Anne : les entrées apparaissent de façon plus ou moins constante au sein du récit, se résumant par moments à quelques lignes, remplissant d’autres fois des pages entières. Le roman s’ouvre sur l’une de ces brèves entrées : « La vie a le génie de nous surprendre quand on s’y attend le moins. Comme la tempête qui se lève sur un lac calme juste à l’instant où on venait d’enlever son gilet de sauvetage. C’est toujours ce moment-là que la vie choisit pour cogner. Une minute d’inattention et PAF!, la chaloupe en profite pour percer et les rames pour couler. On ne peut se fier à rien. La vie est une chienne qui se noie en vous entraînant avec elle.16 » À ce moment, le lecteur ne sait pas encore qui parle puisque, comme n’importe quel journal, celui de Lou-Anne n’est pas signé, ce qui prête déjà à confusion, d’autant plus que le lecteur n’a pas encore été confronté au suicide de Geneviève, ce qui signifie qu’il ne sait pas encore ce qui fait que « la vie est une chienne ». De plus, les propos déconstruits de la jeune fille demeurent de l’ordre de l’analogie et n’établissent aucun lien avec le monde concret. La douleur, les mots sont jetés sur le papier, mais aucun approfondissement n’est fait. Vraisemblablement, l’adolescente est incapable d’en dire davantage étant donné le bouleversement dont elle est victime. Le relais du narrateur externe devient alors nécessaire.

Cette irrégularité – tant en termes de fréquence que de longueur – des passages narrés par la jumelle endeuillée accentue le parallèle mentionné plus tôt entre la forme et le contenu : le bouleversement émotif de la jeune fille l’empêche de s’exprimer de façon

15 Ibid., p. 33. 16 Ibid., p. 17.

continue ou même régulière. Les mots qui la hantent sont trop lourds et elle ressent le besoin de s’interrompre, de reprendre son souffle ; c’est pourquoi son discours est sans cesse relayé. En effet, l’adolescente devient particulièrement émotive en réaction au suicide de sa jumelle. Elle tente à certains moments de fuir la réalité, à l’image de Mathieu, dans Le

long silence, qui semblait oublier le monde réel, et devient parfois colérique et

incontrôlable, d’autres fois si désespérée qu’elle voudrait aller rejoindre sa jumelle. L’inconstance se manifeste donc autant dans les réflexions de l’adolescente que dans la façon dont elles s’intègrent au récit.

Les passages écrits par Geneviève, par leur seule présence, marquent une rupture dans la logique de la narration, puisque l’adolescente a mis fin à ses jours et que, au moment où apparaissent les extraits de son cahier dans le roman, Geneviève est déjà morte et les autres personnages tentent de surmonter l’épreuve du deuil. Or, non seulement leur présence révèle une certaine incohérence, mais on retrouve également dans ces passages une instabilité comparable à celle véhiculée par les écrits de Lou-Anne, bien que ce bouleversement prenne une forme différente. En effet, si les fragments narrés par Geneviève s’insèrent aussi de façon irrégulière au fil du roman, allant jusqu’à disparaître complètement dans la seconde partie, l’instabilité se manifeste davantage par le caractère extrême des propos de l’adolescente, qui tournent principalement autour de la mort. La jeune fille affirme vouloir « [s]’enfuir de [s]a vie / se soustraire à [s]on ennui17 », elle se demande pourquoi tous les autres flottent alors qu’elle « ne flotte pas18 », parle d’une « jeune / fille / trouvée / morte, / noyée / sous une chaloupe.19 » Il va sans dire que ce dernier poème, où elle écrit à propos d’une jeune fille trouvée morte noyée, est particulièrement significatif puisque c’est de cette façon qu’elle a mis un terme à sa vie.

L’eau revêt d’ailleurs une importance notable dans son malheur puisque non seulement Geneviève choisit la noyade pour son suicide, mais déjà, dans ses écrits antérieurs, elle parlait de ne pas « flotte[r] », de couler, de sombrer dans les profondeurs de l’eau. Les « eaux stagnantes20 », ce « lac, la nuit21 » qui apparaissent dans ses écrits

17 Ibid., p. 23. 18 Ibid., p. 43. 19 Ibid., p. 49. 20 Ibid., p. 57.

confirment ce fil conducteur de son malheur qu’est l’eau, en plus de mettre en évidence la lourdeur qui y est associée. Le titre Ma vie ne sait pas nager, emprunté à une chanson d’Ariane Moffat intitulée « Dans un océan », annonce déjà cette ligne directrice d’une eau qui se veut malveillante ; « bien que la chanson originale ait été plutôt gaie, elle devenait tout autre dans la bouche de Geneviève[,] comme si cette dernière y décelait un étrange côté sombre et connu d’elle seule.22 » Les références intertextuelles tracent le fil conducteur de l’eau, et les mots de Geneviève y impriment la noirceur, la pesanteur qui l’habitent. La présence, en exergue, d’un extrait de ce même album, Aquanaute, d’Ariane Moffat, renforce l’idée de la négativité associée à l’eau : « La vie ne sait pas nager. / Je rame, je pédale, je chavire. / Je fais tout ce que je peux / Pour ne pas couler.23 » L’exergue ayant en général pour rôle d’annoncer le ton du texte, cette présence de l’eau se révèle particulièrement intéressante puisqu’elle semble destructrice, qu’elle paraît vouloir engloutir l’auteure de ces mots. Elle s’avère effectivement telle, puisque c’est justement dans l’eau que Geneviève rend son dernier souffle.

Cette ambiance sombre qui plane au-dessus des poésies de Geneviève et écrase tout le reste traduit son malaise, son inconfort, son mal-être dans le monde. L’humeur sombre et instable dont sa grand-mère et sa mère parlent à différents moments, ces « gènes pourris » hérités des générations précédentes prennent le dessus et mènent finalement l’adolescente à se soustraire à elle-même, comme elle l’a souhaité dans un de ses poèmes. D’ailleurs, notons dans cette idée de la soustraction la façon dont Geneviève termine toutes les entrées dans son cahier : elle signe « Genviève », soustrayant ainsi une lettre à ce prénom qui est pourtant censé la définir. Cette amputation d’une part de son nom, d’une part d’elle-même, par ricochet, illustre ce sentiment violent dont elle témoigne lorsqu’elle écrit que « soustraire soulage.24 »

UNE NOUVELLE POROSITÉ POUR LA FORME ROMANESQUE

Cette violente douleur qui l’habite est si grande que l’adolescente n’arrive pas à l’exprimer pleinement à travers ses mots. Malgré la mention « roman » sur le livre d’Élaine 21 Ibid., p. 40.

22 Ibid., p. 28. 23 Ibid., p. 13. 24 Ibid., p. 30.

Turgeon, les écrits de Geneviève ne s’inscrivent en aucun cas dans cette visée narrative. En effet, dans ses poèmes, l’adolescente s’incarne non pas en narratrice, mais plutôt comme un « je » écrivant, un être lyrique. Les passages de son cahier s’éloignent ainsi du reste du roman par la « tonalité affective qui s’en dégage25 » et la « forme versifiée, régulière ou libre, en tout cas signifiée par les “lignes”, dont la disposition typographique est intuitivement repérée par le regard.26 » L’adolescente met en jeu son affectivité et sa subjectivité à travers ce « je » qui la représente et qui est au centre de la plupart de ses poèmes. Elle passe donc par la poésie pour tenter de s’exprimer, car elle ressent le besoin de cette « densité du langage “essentiel” qu’est la poésie27 », sa douleur étant trop grande,