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DEUXIEME PARTIE Loi de comportement du tantale pur et

D I NFLUENCE DU TEMPS DE MAINTIEN SUR LA MICRODURETE DU TANTALE PUR RECRISTALLISE

2. Hétérogénéités des microstructures intragranulaires

Nous avons évoqué précédemment que le comportement en plasticité du tantale était dépendant du type de sollicitation aussi bien que de l’orientation cristallographique. Un mo- nocristal étant par définition sans grains voisins, la sollicitation mécanique pourra, dans de bonnes conditions de frottement, être considérée uniforme. Dans un polycristal, le voisinage de chacun des grains aura un impact direct sur tout ou une partie du grain en modifiant le ten- seur local des vitesses de déformation. Ceci va engendrer des différences d’écrouissage au sein d’un même grain et donc des hétérogénéités des microstructures intragranulaires. La figure 2- 23 présente les désorientations intragranulaires dans une microstructure d’un échantillon de tantale déformé par torsion jusqu’à une déformation équivalente de 0,64 à une vitesse de déformation de 0,05 s-1. On constate que ces désorientations sont hétérogènes à l’intérieur même d’un grain et que les désorientations les plus fortes se retrouvent au niveau des joints de grains et des points triples.

Figure 2-23. Désorientations intragranulaires dans un polycristal de tantale déformé par torsion

L’hétérogénéité de déformation intragranulaire va dépendre du niveau de déformation macroscopique équivalente et de la taille des grains. Sur la microstructure de la figure 2-23, on voit que les plus petits grains présentent déjà une microstructure intragranulaire plus homo- gène alors que les plus gros grains montrent de réelles différences d’écrouissage en fonction de la zone du grain considérée (figure 2-24). On imagine qu’à des niveaux plus faibles de dé- formation équivalente macroscopique, ces hétérogénéités seraient également visibles dans les plus petits grains. L’homogénéisation de l’écrouissage à l’intérieur d’un grain dépend égale- ment du changement de forme au cours de la déformation et notamment en torsion où les joints de grains ont tendance à se rapprocher.

Figure 2-24. Désorientations intragranulaires des grains de la microstructure de torsion (figure 2-23) ayant un diamètre équivalent supérieur à 200 µm

L’augmentation des désorientations intragranulaires à proximité des joints de grains et des points triples dans un polycristal réside dans le fait qu’ils sont des lieux de fortes incompa- tibilités de déformation. Pour expliquer cette incompatibilité, certains auteurs de la littérature (Bolmaro et al. 1997; Mach et al. 2010) ont introduit la notion de co-rotation. Au cours de la déformation plastique, le mouvement des dislocations sur les plans de glissement induit une rotation de la maille cristalline. Due à l’anisotropie, cette rotation sera généralement diffé- rente entre un grain et son voisinage direct. Les grains d’un polycristal étant contraints, l’incompatibilité de déformation aux interfaces des grains sera d’autant plus grande que la rotation des grains voisins sera différente (angle de co-rotation élevé). Pour vérifier cette no- tion de co-rotation et son applicabilité pour le tantale, nous avons réalisé un essai de compres- sion uniaxiale sur un oligocristal2 de tantale.

L’oligocristal de tantale est un parallélépipède composé de 6 grains colonnaires (figure 2-25) extrait d’une plaque découpée dans un lingot. Cette plaque nous a généreusement été fournie par H.R.Z. Sandim de l’université de Sao Paulo au Brésil. Le repère macroscopique utili- sé pour définir les orientations cristallographiques est également défini sur la figure 2-25. Pour éviter au maximum d’écrouir l’échantillon, il a été découpé à la scie à fil puis poli sur les 6 faces avant déformation. Le polissage a permis de réduire l’écrouissage superficiel et de diminuer le frottement avec les outils de compression. Une feuille de Téflon a été placée entre l’oligocristal et les outils de compression afin de réduire encore plus le frottement. Cet échan- tillon a été déformé en compression dans la direction Z jusqu’à une déformation vraie de 0,5 à une vitesse de déformation moyenne de 0,01 s-1. Les orientations ont été mesurées avant et après déformation par EBSD, après polissage selon le protocole détaillé dans l’annexe A3. Le tableau 2-9 recense les orientations moyennes mesurées avant et après déformation des 6 grains de l’oligocristal. Chaque mesure est réalisée loin des joints de grains pour considérer la microstructure indépendante du voisinage.

Tableau 2-7. Orientations cristallographiques moyennes des grains de l'oligocristal avant et après déformation Grain 1 2 3 4 5 6 Orientation intiale (°,Euler,Bunge) 77 8 276 228 18 301 43 4 36 52 40 35 304 344 92 139 354 49 Orientation finale (°,Euler,Bunge) 65 66 279 240 42 335 45 2 32 51 48 38 311 285 137 137 339 45

La figure 2-25 montre l’évolution de la géométrie de l’oligocristal entre l’état initial et celle après déformation. Le nombre de grains étant très faible et leur taille étant importante, on observe clairement que la déformation est très différente d’un grain à l’autre. On retrouve l’anisotropie de comportement déjà évoquée dans la section III.1 de cette partie. La surface libre de l’échantillon a une forme très perturbée par rapport au parallélépipède initial, les grains pouvant se déformer librement car non contraints par un voisinage.

Figure 2-25. Oligocristal de tantale pur avant et après compression et repère de référence

L’avantage de cette expérience réside dans la taille et dans le caractère colonnaire des grains de l’oligocristal. En effet, les cartographies réalisées à proximité des joints de grains seront considérées comme résultant uniquement du comportement des deux grains de part et d’autre du joint. Cette configuration apparaît idéale pour étudier l’effet de la co-rotation sur l’augmentation des désorientations intragranulaires aux joints de grains.

Prenons pour exemple le grain 4 qui possède une interface avec chacun des 5 autres grains de l’échantillon. La figure 2-26 illustre l’augmentation de la désorientation intragranu- laire au niveau des joints de grains. Chaque cartographie représente les gradients locaux d’orientation dans le grain 4 au voisinage de chaque autre grain. La cartographie des désorien- tations intragranulaires au centre du grain 4 est donnée comme référence.

De chaque cartographie représentative d’une zone proche d’un joint de grains (figure 2-26), on extrait la valeur moyenne des gradients locaux d’orientation. Cette valeur est ensuite normalisée par le gradient d’orientation local moyen au centre du grain 4. La figure 2-27 repré- sente ainsi l’augmentation relative des désorientations intragranulaires par rapport au centre du grain pour chacun des joints de grains (identifiés par le couple de grains de part et d’autre de la frontière). L’augmentation de la désorientation moyenne est différente à proximité de chacun des joints du grain 4 avec ses voisins.

Figure 2-26. Cartographies des gradients locaux d'orientation au niveau des joints de grains dans le grain 4

Figure 2-27. Influence des grains voisins sur les désorientations intragranulaires au voisinage des joints du grain 4

Le niveau de co-rotation est un angle représentatif de la rotation d’un grain par rap- port à un autre, plus il est faible et plus les grains ont tendance à tourner de la même manière. La méthode de calcul du niveau de co-rotation est détaillée sur la figure 2-28.

Gradient local d’orientation 5,05 /μm

0 /μm

Gradient local d’orientation à l’intérieur du grain 45 µm 20 µm 45 µm 45 µm 25 µm 25 µm G5 G4 G2 G1 G3 G4 G4 G4 G4 G4 G6 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 4-1 4-2 4-3 4-5 4-6 G ra d ie n t l o ca l d 'o ri e n ta ti o n mo ye n r e la ti f Joint de grains

Figure 2-28. Méthode de calcul du niveau de co-rotation

En calculant le niveau de co-rotation pour chacun des couples de grains contenant le grain 4, on le compare ainsi à l’augmentation relative des désorientations intragranulaires au niveau de chaque joint de grains dans le grain 4 (figure2-29). Clairement, plus les deux grains de part et d’autre du joint de grains tournent de manière différente, plus l’incompatibilité de déformation est forte et plus les désorientations intragranulaires augmentent relativement au centre du grain.

Figure 2-29. Influence de la co-rotation sur l'augmentation relative des désorientations intragranulaires au niveau des joints de grains (grain 4)