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L’objectif premier de la conduite des enquêtes qualitatives pour cette recherche était de comprendre le fonctionnement et les enjeux de cette action de « parrainage », pour mieux identifier le rôle de chaque acteur, les « outils » et méthodes appliqués dans le cadre de cette politique d’assistance. Ces enquêtes allaient ainsi nous apporter des informations de première main par rapport aux sources écrites dont nous disposions déjà.

En outre, ces enquêtes allaient servir de sources orales pour l’analyse des discours, permettant de comparer notamment ce qui est promu par les dirigeants et ce qui est fait en pratique. C’est d’ailleurs pour pouvoir en tirer des citations précises que nous avions privilégié, autant que

89COHEN Samy, «Enquêtes au sein d’un « milieu difficile » : les responsables de la politique étrangère et de défense », in COHEN Samy (dir.), L’Art d’interviewer les dirigeants, Paris : Presses Universitaires de France, 1999, p. 21.

possible, l’enregistrement des interviews sur dictaphone. Nous avions été au préalable prévenue des limites de l’utilisation d’un dictaphone lors d’interviews : risque susceptible d’intimider l’enquêté ou de conditionner le récit au point de ne rien tirer d’intéressant qu’un récit proche d’un discours officiel. Or, dans notre cas, l’enregistrement présenta malgré tout plus d’avantages que d’inconvénients. Tout d’abord, en gardant cette trace orale, il nous permettait de tirer des citations fidèles. Ensuite, en cas de doute ou d’une éventuelle faute d’interprétation au moment de la prise de notes, il nous permettait de vérifier ce qui avait été réellement dit. Il arrivait ainsi qu’au moment de la réécoute ou retranscription, nous comprenions l’idée autrement qu’au moment de l’interview. De plus, en cas d’une journée où plusieurs entretiens se déroulaient les uns après les autres, nous courions le risque de confondre les propos des différentes personnes interviewées, d’oublier ce qui avait été dit ou tout simplement de ne pas avoir le temps de compléter la prise de note une fois l’interview terminée. Enfin, notre expérience d’interviews enregistrées comparée avec celle qui s’étaient déroulées sans dictaphone nous permet aussi d’avancer que l’enregistrement n’est de loin pas la seule contrainte au bon déroulement d’un entretien90. Un certain nombre de personnes haut-placées sont habituées à l’utilisation d’un enregistreur et ne se sentent pas intimidées. A l’inverse, nous avions senti à maintes reprises qu’au début de l’entretien, certains interlocuteurs étaient méfiants à notre égard pour finalement se relâcher au cours de l’interview et nous apporter des éléments intéressants…Sur ces cas précis, il est clair que l’un des « arts de l’interviewer », comme le souligne Samy Cohen, vient de la capacité de l’interviewer de rassurer la personne mais aussi montrer que l’on s’intéresse à son discours. Enfin, nous avons opté pour l’enregistrement autant que possible en demandant l’autorisation, en proposant l’anonymat de l’entretien et en précisant que nous pouvions envoyer la retranscription à notre interlocuteur s’il la souhaitait.

Dans la plupart des cas, l’entretien était précédé d’une préparation qui consistait à se renseigner sur l’expérience et le parcours professionnel de la personne interviewée. C’est en tenant compte de la période de son exercice en tant que haut-fonctionnaire, diplomate ou expert et de sa fonction précise que nous pouvions élaborer un guide d’entretien avec des questions auxquelles la personne était susceptible de nous éclairer ou sur lesquelles elle pouvait avoir un avis. Une bonne préparation nous a surtout permis de poser des questions adéquates et parfois très pointues sur un sujet ou un projet particulier pour laquelle la

90 Une fois un diplomate nous a prévenue dès le départ que «si vous enregistrez, je ne vous dirai rien ». Nous avons suivi ses conseils mais au final, notre interlocuteur ne nous a finalement pas confié plus que ce que l’on peut trouver dans un discours officiel.

personne interviewée était a priori compétente et en mesure de nous apporter des renseignements complémentaires et un avis personnel. Montrer à notre interlocuteur qu’on disposait des connaissances au préalable nous permettait aussi d’obtenir des renseignements plus spécifiques que ce qu’on pouvait trouver dans des documents ou discours officiels. Pour les entretiens, nous avons opté le plus souvent pour uneapproche semi-directive. Excepté pour 4-5 entretiens (avec des chercheurs et leaders d’opinion) où une discussion libre nous paraissait mieux adaptée. En posant des questions bien précises à notre interlocuteur, nous lui laissions la liberté de répondre comme il le souhaitait. Nous avions appris au fur et à mesure de nos interviews qu’un moment de pause de la part de la personne interviewée ne signifiait pas nécessairement qu’elle n’avait plus rien à dire mais au contraire que cela marquait peut-être un temps de réflexion et d’analyse qu’il ne fallait pas systématiquement interrompre par des «relances», en citant Christian Lequesne91. Cependant, il nous arrivait d’interrompre notre interlocuteur pour développer une idée ou, lorsque nous avions des informations contradictoires sur le même sujet, nous les présentions. Dans certains cas, cette dernière démarche permettait d’obtenir un avis moins «officiel » (langue de bois) que ce qui était prévu au départ. Dans d’autres, elle incitait notre interlocuteur à argumenter davantage ses propos. Par moments, il nous semblait aussi, comme le souligne Samy Cohen, que malgré notre insistance sur une période ou un détail, notre interlocuteur, par prudence ou à défaut de mémoire, avait tendance à fuir la discussion sur des exemples concrets, préférant procéder par allusions ou sous-entendus92.

L’entretien n’est pas toujours une source d’informations fiables et objectives mais bien plutôt sujettes à la subjectivité. En témoigne le fait que des personnes différentes peuvent partager des informations diverses sur un même sujet. Les cas les plus marquants pour nos enquêtes étaient les réponses souvent contradictoires sur les deux questions suivantes : «Quelles sont pour vous les raisons qui expliquent le choix pour votre pays d’avoir fait de la politique d’assistance envers l’Est une priorité ? » et «Quel impact ont selon vous eu les États nordiques sur le processus de transition, de démocratisation et de rapprochement des structures euro-atlantiques de votre pays ? ».

Les entretiens comme source d’information principale comportent également des limites dans le sens où il s’agit le plus souvent d’observations, de représentation d’une personne sur une

91LEQUESNE Christian, « Interviewer les acteurs politico-administratifs de la construction européenne », in COHEN Samy (dir.), L’Art d’interviewer les dirigeants, Presses universitaires de France, Paris, 1999, pp.60. 92COHEN Samy, «Enquêtes au sein d’un « milieu difficile » : les responsables de la politique étrangère et de défense », in COHEN Samy (dir.), L’Art d’interviewer les dirigeants, Paris : Presses Universitaires de France, 1999, p. 21.

décision politique concrète, un projet précis. Malgré l’intérêt qu’elle présentait pour le sujet, il nous était parfois impossible de vérifier si elle correspondait à la réalité ou pas.

A l’exception de quelques rares interviews avec les haut-fonctionnaires, la majorité de nos interlocuteurs dans les ministères, au Parlement européen et à la Commission européenne, ont accepté de parler aussi bien des points de détails des projets d’assistance que de problématiques de fond touchant à la politique d’assistance et de la politique étrangère de leur Etat à l’égard des pays d’Europe orientale en général. Au vu des informations que nous avons pu recueillir, nous estimons que ces rencontres constituent un apport important pour notre recherche.

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