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7.2.1. Domaine paradigmatique et adhérence syntagmatique

Pouvons-nous pousser plus en avant cette description formelle ? Pour avoir un cadre puissant, il faut continuer notre modélisation. Nous allons essayer d’établir un second niveau d’analyse. Un niveau plus profond. La figure VI représente, en quelque sorte, un niveau relativement superficiel d’analyse, elle permet uniquement de visualiser – et de formaliser – sous forme d’ensembles les axes paradigmatiques et syntagmatiques. Nous devons formaliser les rapports entretenus par ces items lexicaux, non plus selon leur appartenance aux paradigmes ou syntagmes, mais selon leur rapport de sens entre eux.

Notre formalisation repose, entre autres, sur les éléments présentés dans l’arrière-plan théorique : le modèle développé par Culioli (1990) et la théorie des prototypes synthétisée par Kleiber (1999). Nous allons définir, dans un premier temps, les rapports sémantiques selon un ordre hiérarchique représenté par un système d’appartenance. Pour modéliser notre contenu, nous allons reprendre l’exemple exposé dans la section précédente : je fais de la piscine. Nous généraliserons ensuite notre expression.

Nous ne souhaitons pas modéliser un simple rapport hiérarchique ni une organisation dont nous présupposons qu’elle existe dans le système linguistique. Nous étudions ici le discours et proposons une organisation qui explique et formalise l’organisation en discours et qui nous sert d’outil pour notre formalisation du trope. Pour ce faire, nous intégrons à cette organisation du rapport sémantique l’organisation axiale préalablement vue et son intégration au sein d’un système formel. Quelles sont nos données ? Nous avons un syntagme Je fais de la piscine qui correspond à une suite d’items appartenant à un ensemble S ordonné selon Je ≤ fais ≤ de ≤ la ≤ piscine. Nous pouvons décrire cette suite d’items et leur relation avec des critères linguistiques. La phrase se décompose en deux syntagmes : le syntagme nominal (je) et le syntagme verbal (fais de la piscine). Nous pouvons définir ces deux syntagmes comme des sous- ensembles de S, ordonnés et ordonnés entre eux.

L’analyse d’un syntagme peut donc certes se représenter selon un graphe – comme le montre l’ACI, la grammaire générative ou la méthode de Tesnière. Elle peut aussi se représenter selon des ensembles et selon les graphes qui décrivent les dits ensembles. Nous pouvons ensuite superposer à cette représentation la représentation des rapports entretenus, non pas entre les lexèmes présents en S, qui est un rapport d’ordonnancement, mais le rapport entre les lexèmes présents en P, au sein d’un paradigme – que nous pouvons définir non plus selon les notions d’ordre mais d’appartenance.

Où se situe, dans ce complexe d’ensembles, le lexème piscine qui, par un processus qui n’est autre que le trope, va se substituer à natation ? Pour répondre à cette question, il nous faut retourner à nos paradigmes. Il y a de nombreuses façons d’analyser les paradigmes – notamment la méthode de la linguistique structurale dont nous prenons les concepts d’axe. Toutefois, il nous faut créer un système simple et économique et ne pas nous encombrer d’une nouvelle approche. Nous pouvons cependant y laisser une place, à remplir, au sein de notre modèle. Comment allons-nous définir nos paradigmes ?

Nous l’avons dit, nous pouvons représenter l’axe syntagmatique comme étant un ensemble (S) et l’axe paradigmatique comme étant un ensemble P. Pour chaque item lexical (S1, S2, S3, etc) nous pouvons définir un ensemble P (P1, P2, P3, etc.) qui contient l’item et tous les items pouvant prendre sa position, c’est-à-dire sa fonction dans le

syntagme. Considérons notre item équitation il peut effectivement prendre la place de

natation dans notre syntagme – en provoquant évidemment un changement de sens.

Toutefois, s’agit-il de la même chose lorsque nous remplaçons natation par

marmelade ? Il apparaît que non.

Effectivement, la valeur du verbe faire, ou plutôt son rapport entretenu avec son objet, n’est pas de la même nature dans je fais de l’équitation, natation, etc. Et avec je fais de la marmelade, de la confiture, etc. La manière la plus aisée est de considérer un système de restriction. Nous avons dans un premier temps le lexique, dans son intégralité. Une première restriction est exécutée par le paradigme : pour chaque item lexical nous pouvons faire intervertir un élément du même paradigme. Vient ensuite la restriction du domaine qui oblige l’item à provenir du même domaine pour préserver la cohésion du syntagme, l’inertie évoquée plus haut – ce que nous nommerons adhérence syntagmatique*.

Aussi, lorsque nous remplaçons équitation par marmelade, nous changeons dans le même mouvement, non pas les autres items lexicaux mais leur modalité, nous modifions les valeurs qui définissent l’adhérence syntagmatique. Aussi, nous avons : [faire de][la piscine] qui deviendrait [faire][de la marmelade]. L’adhérence syntagmatique est modifiée.

Le domaine* est donc un sous-paradigme*. Il s’agit d’une nouvelle restriction au sein du paradigme dont le but est de conserver l’adhérence syntagmatique. Nous pouvons définir cette adhérence comme étant la somme des rapports entre chaque élément du syntagme, dont résulte la cohésion et l’interdépendance des valeurs instituées pour chaque unité, dans le syntagme55. Cette adhérence peut s’observer, notamment, dans les subdivisions syntagmatiques. En outre, cette adhérence syntagmatique est la base du canevas que nous pouvons établir. Le canevas décrit, en quelque sorte, un syntagme prototypique. La description des syntagmes prototypiques est une condition sine qua non à la description des tropes.

Ainsi, sur l’image ci-dessous nous pouvons identifier trois syntagmes S1, S2, S3, ainsi que les paradigmes correspondants. Nous pouvons voir un domaine, nommé D, qui au sein du paradigme P5 sélectionne les items qui peuvent être combinés au reste du syntagme sans changement soit paradigmatique soit de l’adhérence syntagmatique. Ainsi, marmelade, ne fait pas partie du domaine puisqu’il change la modalité du verbe

faire. Nous pouvons voir que les syntagmes S1 et S2 correspondent à un syntagme prototypique défini par le canevas V|Faire de + SN| x∀ (items ∈ D).

Enfin, remarquons que l’item natation est aussi un ensemble. Nous considérons que chaque item est lui-même un ensemble contenant d’autres items et lui-même. Aussi

natation comporte l’item natation ainsi que l’item piscine. Nous aborderons au point 8

les conditions permettant aux items de s’appartenir. Ces remarques seront extrêmement importantes quand nous aborderons la description analytique de notre objet.

55 Lorsque nous parlons de valeurs, nous songeons aux travaux de Guillaume (1991). Nous différencions la valeur de la signification. Le sémiotique diverge du sémantique en ce que la symbolisation diverge de la signification. Sémiotiquement, un item signale et symbolise, sémantiquement un item signifie. Sémiotiquement, l’item natation symbolise l’item pré-sémiotique « natation ». Sémantiquement, lors de l’actualisation dans la lexis, l’item natation va signaler une occurrence phénoménologique précise, symboliser son item pré-sémiotique, et faire sens une fois réalisé dans l’énoncé – c’est-à-dire signifier. La valeur est la nature des relations sémantico- syntaxiques d’une unité réalisée avec les autres unités en présence. La résultante de ces valeurs forme l’adhérence syntagmatique. Aussi, la possibilité du trope faire de la piscine est donc notamment liée à l’adhérence syntagmatique qui fige la valeur, malgré le changement d’unité, malgré le changement d’item sémiotique.

FIGURE VIII – Domaine et canevas

Je

fais

de

la

de

fait

fais

Tu

Il

de

la

l'

P

1

P

2

P

3

P

4

S

1

P

5

marmelade

S

3

S

2

natation ∈ P

5

Piscine ∂∈ P

5

équitation

V|Faire de + SN| x

(items ∈ D)

D

l'