• Aucun résultat trouvé

La comparaison et le repérage

8.2. La comparaison : les limites théoriques du trope

8.2.1. La comparaison et le repérage

La question qui nous intéresse à présent est celle de la comparaison. Nous avons précédemment exposé l’avis de la linguistique pragmatique sur la question. Elle différenciait de façon systématique la métaphore et la comparaison selon une grille de critères (Moeschler 1994). Du reste, comme nous l’avons exposé dans l’état de la question, les approches plus classiques, comme la stylistique et la rhétorique, se sont elles aussi intéressées à la description de la comparaison ou à ses similitudes avec la métaphore. La comparaison est une sorte de cas limite entre ce qui est de l’ordre de la métaphore et ce qui ne l’est pas. Elle ressemble quelque peu aux pseudo-tropes, que nous avons exclus de notre étude, à la différence que ces derniers ne nous semblaient pas réellement relever de la sémiotique80. L’étude de la comparaison est donc intéressante puisqu’elle est une suite – voire une conclusion – logique à l’étude de la métaphore et du trope. La comparaison est-elle un trope ? Son fonctionnement est-il sensiblement différent de celui de la métaphore ? Par ailleurs, ces questions sont-elles pertinentes, sachant qu’il n’y a pas toujours de distinction claire entre les deux procédés ?

En effet, la comparaison peut être caractérisée avec deux éléments : la présence du comparé et du comparant, et la présence d’un copule. Si notre définition de la métaphore implique qu’il n’y ait qu’une unité en présence, les définitions classiques permettent un type de métaphore nommée in præsentia. Il apparaît qu’une question a

priori d’ordre stylistique converge avec une question éminemment grammaticale : celle

de la copule et de l’attribut. Ne pouvons-nous pas considérer que la métaphore in praesentia est simplement une comparaison dont le copule est un procédé d’apposition, ou que les tours attributifs et dichodésiques81 sont des formes grammaticalisées de comparaison ?

80 En effet, il eut pu sembler tout aussi intéressant de confronter notre modèle au cas des pseudo-tropes que nous avons écartés d’office. Ceux-ci seraient effectivement très intéressants à analyser, mais il nous semblait plus pertinent de confronter notre modèle à la comparaison premièrement parce qu’il s’agit d’une question récurrente en stylistique et deuxièmement parce que la comparaison est un procédé qui opère au niveau de l’énoncé et, comme nous le verrons, de la lexis, en impliquant deux items sémiotiques – à l’instar de la métaphore dont la comparaison ne diverge qu’en un point que nous étudierons au sous-chapitre suivant – alors que le pseudo-trope, lui, est un mécanisme qui opérerait plutôt entre l’unité sémiotique et l’unité pré-sémiotique.

81 Nous reprenons ici un terme propre à Damourette et Pichon qui ont étudié des tours particuliers, tel que : il fait la bête, dont le fonctionnement est proche de la comparaison ou de l’attribut.

Pour répondre à cette question, il nous faut étudier la copule, non pas avec les outils, complexes et à propos, de la grammaire, mais avec le concept de repérage que nous avons défini. Prenons une phrase grammaticalement et sémantiquement simple telle que mon chien est un loup. Il ne devrait y avoir, a priori, aucune difficulté de compréhension et, dans tous les cas, aucune amphibologie grammaticale. Nous retrouvons aisément le groupe nominal, le copule et l’attribut. Nous pouvons considérer le verbe être comme un verbe plein, ayant un sens identificationnel (Lamiroy 2005), de type Jean est un instituteur. Toutefois, une ambiguïté sémantique subsiste. Le chien est soit réellement un loup – l’identification stricte repose sur une série de données extra- linguistique –, soit son chien se comporte comme un loup. Dans le second cas, nous aurions, selon la pragmatique (Moeschler 1989 : 404) deux sens, un sens figuré et un sens littéral.

Prenons à présent un nouvel exemple, dérivé du premier : mon chien est un vrai

loup. Dans cet exemple, nous avons ajouté l’adjectif vrai. Cet adjectif fonctionne d’une

façon spécifique, comme un repère. Il permet d’installer un rapport d’appartenance :

chien ∈ loup. Ainsi, l’ambiguïté est levée, simplement par l’ajout de cet adjectif, souvent marqué par une prosodie particulière. Malgré l’absence de changement grammatical dans la structure de notre phrase, l’identification grammaticale disparaît au profit d’une interprétation métaphorique : mon chien est comme un loup par son comportement.

Toutefois, il ne semble pas y avoir de systématicité. Prenons le syntagme mon

voisin est un vrai instituteur. Le vrai a une fonction quelque peu différente. Il s’agit

d’une fonction purement adjectivale, qui s’applique à instituteur. L’adjectif vrai accentue la validité de l’attribution et réactive un certain nombre de connotations. La différence repose sur le fonctionnement du repérage. Chien est un urelement, appartenant à l’item sémiotique chien, lui-même inclus dans l’item sémiotique Canidé et de facto co-hyponyme de loup. Lorsque chien, par l’action de vrai, se repère sur loup, nous nous retrouvons avec le mouvement suivant : {ur-chien ∈ chien ⊂ Canidé} = ur-

chien ∈ loup = {loup ⊂ Canidé}. Autrement dit, l’occurrence de chien (ur-chien) se repère sur un item sémiotique co-hyponymique. Par contre lorsque mon voisin se repère sur instituteur nous obtenons : {ur-voisin ∈ instituteur} = ur-voisin ∈ instituteur, ce qui signifie que l’occurrence de instituteur se repère sur son propre item sémiotique. Ce repérage redondant est sans doute à l’origine des connotations activées par l’expression.

Considérons enfin un cas particulier. Celui où un locuteur dirait de son chien qu’il est un loup et confirmerait que ce dernier est, au sens propre, un loup, avec la phrase : mon chien est vraiment un loup. L’adverbe porte sur la relation verbale entretenue entre chien et loup. Aussi, le repérage porte sur le repérage lui-même. Considérons que le verbe être fonctionne comme la verbalisation d’un repérage, de sorte que mon chien est un loup soit l’expression verbale par excellence de chien ∈ loup, alors nous pouvons considérer que la phrase mon chien est vraiment un loup consiste en un repérage du verbe être sur sa fonction-même. Ainsi :{être D } = être D ur-∈ ∈ ∈ ∈ ⊢ chien loup.⊂

Nous pouvons dès lors identifier un spectre – en nous basant notamment sur les recherches effectuées autour des verbes copules (Lamiroy 2005). Le spectre permettrait de visualiser une continuité dans l’identification en le conceptualisant à l’aide de la notion de repérage. Nous pourrions ainsi organiser les syntagmes suivants, en allant de l’identification stricte à la comparaison : Mon chien est vraiment un loup – Mon chien

est un loup – mon chien est un vrai loup – mon chien est comme un loup – mon chien, un (vrai) loup. La comparaison, par attribution ou à l’aide d’un copule, consiste en un

simple repérage – d’intensité relative. Ce repérage fait-il pour autant de la comparaison une métaphore ?