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Conséquences théoriques

8.2. La comparaison : les limites théoriques du trope

8.2.2. Conséquences théoriques

La question qui se pose est éminemment complexe : quel est le rôle de l’équipollence dans la métaphore ? A priori, cette question n’a aucun rapport avec celle soulevée au point précédent. Cependant, elle la subsume. En effet, la métaphore et la comparaison sont similaires quant au fonctionnement du repérage. Toutefois, la métaphore se différencie, de prime abord, de la comparaison par la non-équipollence entre les deux items sémiotiques. En effet, dans une comparaison les deux unités sémiotiques sont en présence. Si cette non-équipollence est définitoire de la métaphore, l’est-elle pour autant du trope ? Le mouvement tropique peut-il considérer deux unités équipollentes ? Le cas échéant, s’agit-il alors d’une comparaison ?

Nous l’avons dit, la caractéristique première, au final, du trope est la substitution. En d’autres termes, il s’agit de faire revenir, au cœur de la sémiose, la fonction sémiotique (ou symbolique) – c’est-à-dire procéder à une identification entre deux éléments de puissance différente, deux éléments non équipollents, et d’actualiser une équivalence conjoncturelle, accidentelle, adventice en somme, au sein d’une lexis particulière. Lorsque nous nous interrogions, en premier lieu, sur la nature des systèmes qui permettaient le trope, sur la nature des sémioses autorisant une telle substitution, il s’agissait de comprendre pourquoi certains systèmes ne l’autorisaient pas. En outre, cette impossibilité repose sur une raison plutôt simple mais proprement indicible. Comme l’ont intuitivement compris Benveniste, expliquant que les langues humaines étaient le seul système sémiotique capable de formuler tous les autres, ou Peirce, qui concevait la sémiose de nos idiomes comme virtuellement infinie, le propre de la sémiose des langages humains est de permettre l’agir de la fonction sémiotique à l’intérieur d’elle-même.

En d’autres termes, tous les items sémiotiques peuvent devenir pré-sémiotiques. Par ailleurs, le méta-langage tire son origine de cette faculté. Arbre est autonymique parce que l’item sémiotique devient pré-sémiotique est peut donc être désigné par un nouvel item – en l’occurrence un item avec le même signifiant82. Pourtant, ce n’est pas ça qui permet le trope. Partant que le langage humain peut effectivement tout symboliser83, cela signifie que tous les items sémiotiques sont pré-sémiotiques, et qu’ils sont, dès lors, susceptibles d’être symbolisés par un signe – et donc d’être autonymiques. Pourtant, le trope ne repose aucunement là-dessus. Il apparaît au contraire que le trope fonctionne parce que l’unité sémiotique maintient son statut sémiotique. Lorsqu’un item sémiotique est symbolisé par un autre, dans le processus tropique, il ne l’est pas en tant qu’item pré-sémiotique, mais parce qu’il est sémiotique. Dès lors le trope peut être perçu comme la violation de l’équipotence de la sémiose.

Ainsi, nous pouvons caractériser le fonctionnement de la sémiose avec trois propriétés. Nous avons premièrement l’équipollence, qui est l’égalité de puissance d’agir discursif des unités sémiotiques. Deux unités sont équipollentes si elles sont actualisées au même niveau de lexis. Deuxièmement, nous avons l’équivalence qui est l’égalité de valeur sémantique. Deux unités sémiotiques sont équivalentes lorsqu’elles

82 Ou presque. L’usage de l’italique ou soulignement participe du signifiant.

83 Dans les limites de nos umwelten. Il est capital de ne pas oublier le fondement phénoménologique de la sémiotique.

signalent le même objet. Enfin, nous avons l’équipotence qui est l’égalité des deux ensembles constituants la sémiose. L’ensemble des item sémiotiques et l’ensemble des items pré-sémiotiques sont équipotents. Le trope est l’application de l’ensemble sémiotique sur lui-même, il s’agit donc du retour de la fonction au cœur de la sémiose. La fonction symbolique ne va pas associer un item sémiotique à un item pré-sémiotique, mais un item sémiotique à un autre item sémiotique – lui-même associé à un item pré- sémiotique. Dès lors, notre item pré-sémiotique a deux items sémiotiques – deux antécédents dans une représentation ensembliste.

Nous pouvons à présent modéliser le trope au sein de la sémiose, comme nous l’avions décrite et représentée aux points précédents. De nombreux outils et aspects de notre modèle, rapidement évoqués ou définis comme étant une base théorique, permettent à présent d’appréhender le trope dans son environnement, c’est-à dire dans la sémiose. Nous pouvons réécrire ce processus selon la description analytique que nous avions fournie de la sémiose au point 7.2. Nous pouvons aussi utiliser nos deux représentations privilégiées : la représentation ensembliste et les graphes relationnels. En outre, le schéma ci-dessous montre clairement que les graphes relationnels sont, en réalité, une représentation simplifiée de la sémiose et de sa représentation ensembliste :

Σ ≡ F-1(ς) = F-1(σ2) = σ1 F(σ⇒

1) = F(σ2) = ς

84

Il nous semble donc pertinent de considérer que le trope est un processus dysfonctionnant l’équipotence de la sémiose. Par conséquent la comparaison n’est pas un trope, non pas parce qu’elle concerne des unités équipollentes, mais parce qu’il ne s’agit aucunement d’un dysfonctionnement. La comparaison ne procède pas de la symbolisation – fonction constitutive de la sémiose. Elle agit à partir d’un processus d’identification – fonction constitutive de la lexis. L’identification étant un repérage entre deux unités en présence et relève de la prédication. L’identification, sous des formes parfois difficilement identifiables, existe dans tous les systèmes permettant la prédiction. La comparaison est un possible linguistique – sémiotique même – tandis que le trope est un dysfonctionnement sémiotique.

84 Cette expression montre bien le retour de la fonction symbolique. L’expression originale ne contenait pas de seconde fonction, sorte d’intermédiaire, qui est le retour de la fonction symbolique, c’est-à- dire le processus tropique.

FIGURE XXI – DYSFONCTIONNEMENT DE L’ÉQUIPOTENCE

Dysfonctionnement sémiotique, ou plutôt augmentation. En effet, nous avions défini l’augmentation de la lexis comme résultant d’une représentation interne de notre activité linguistique, représentation à l’origine d’une équivalence entre l’item sémiotique et la réponse qu’il induit et, particulièrement, entre l’item sémiotique et lui- même. L’item sémiotique renvoie à lui-même en tant qu’il renvoie à un item pré- sémiotique, et ce de façon récursive. Cette particularité nous permettait de modéliser le trope. Toutefois, il ne s’agit pas uniquement d’un outil méthodologique. Cette lexis augmentée représente les capacités de prédication d’un locuteur qui a une représentation de sa propre pratique et qui peut donc actualiser, par la prédication, la sémiose au-delà de ce qu’elle permet théoriquement, au-delà de sa limite inhérente : l’équipotence. Que pouvons-nous conclure de ce dysfonctionnement, de cette possibilité de symbolisation à l’intérieur d’elle-même ?