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Les grands favorables aux nouveautés

II. Innovation agronomique et diffusion du progrès en Lorraine avant les années 1820

A. Les grands favorables aux nouveautés

S’ils sont réceptifs aux innovations, l’on peut supposer, sans grand risque d’erreur, que les grands propriétaires ou fermiers éclairés recherchent des nouveautés techniques et aspirent à se doter des meilleures techniques leur permettant de moderniser leur exploitation, c’est-à-dire de la rendre encore plus rentable économiquement grâce à ces nouvelles techniques plus performantes. La manifestation ostensible d’une adhésion à l’agriculture nouvelle ou aux idées agronomiques est le fait d’une minorité de grands propriétaires, dont les plus influents en Lorraine sont les Chaumont de la Galaizière qui montrent leur goût pour l’agronomie au travers de l’opération spectaculaire des réunions de terres.

1. Les « réunions »

En Lorraine, sous l’impulsion de Chaumont de la Galaizière fils surtout, une des applications des idées agronomiques prend la forme de « réunions territoriales », première forme de remembrements dans la région. Ces réunions nous intéressent tout particulièrement puisque l’intendant mène une opération de regroupement des terres de sa seigneurie de Neuviller, village proche de Roville-devant-Bayon.

108 G. Cabourdin, Histoire de la Lorraine, t. III, Les temps modernes, vol. 2, De la paix de Westphalie à la fin de l’Ancien Régime, Encyclopédie illustrée de la Lorraine, P. U. N., 1991, p. 193-194.

Le terme remembrement n’est utilisé dans la langue française qu’à la fin du XIXe siècle, vers 1898 d’après Jean Peltre109, mais le mot existe en Lorraine depuis l’époque moderne110. Il est utilisé pour définir la « réunion » (autre terme utilisé) des terres d’un finage villageois soit « l’ensemble des opérations collectives qui sont nécessaires pour améliorer les conditions de la propriété rurale, en précisant sa délimitation, en réalisant les réunions de parcelles et en assurant, au moyen de chemins nouveaux, la liberté de l’exploitation »111. J. Peltre, qui consacre une importante partie de sa thèse à ces « réunions » de l’époque moderne, en distingue trois types. Tout d’abord, les remembrements de première génération, avant 1730, qui consistent en une restauration des structures traditionnelles du paysage agraire après les dévastations des guerres, notamment la Guerre de Trente ans (1618-1648). Ensuite, après 1735-1740 il s’agit de la révision des « réunions » de premier type. Ces deux opérations ne consistent pas encore en un remodelage des structures agraires à des fins d’améliorations agricoles. En revanche, cette recherche d’améliorations agraires est à l’origine des remembrements de troisième génération, après 1750. Les remembrements voulus par l’intendant de Lorraine, sur les terres dont il est le seigneur, correspondent au troisième type ; éléments de la « réaction seigneuriale » (rénovation des terriers) et, en même temps, manifestation du goût pour l’agronomie.

Au départ c’est Chaumont de La Galaizière, père, chancelier éclairé, qui désire

remembrer ses terres, mais c’est son fils, intendant, suivant l’exemple des enclosures

parlementaires anglaises ou celui des « réunions » de terre en Prusse (dés 1763), qui mène à bien la réalisation de la réunion des terres de Neuviller-sur-Moselle, Laneuveville et Roville-devant-Bayon112. L’intendant, conformément aux principes agronomiques, expose ses griefs à propos du territoire morcelé expliquant que l’archaïsme des structures agricoles lorraines, qu’il présuppose, en est une conséquence, d’où sa volonté de regrouper ses terres en grandes parcelles et d’affranchir les paysans du comté de Neuviller des contraintes collectives pour qu’ils pratiquent une agriculture de grand domaine, « productiviste » et capitaliste. La réunion des terres dans les trois villages se déroule sur un mode identique. Les études

109 J. Peltre, Recherches métrologiques sur les finages lorrains, Thèse université de Paris IV, 1974, p. 223, note 3.

110

Ibid., p. 177 ; J. Peltre, « Les remembrements en Lorraine à l’époque moderne, XVIIe-XVIIIe siècles », A. E., 1976-3, p.197-246.

111 G. Hottenger, La propriété rurale en Lorraine. Morcellement et remembrement, Paris, s. d., p.89, et du même, « Les remembrements en Lorraine au XVIIIe siècle », Mémoires de la société d’archéologie lorraine, 1914-1915, Nancy, 1914-1915, p. 1.

112 Voir le croquis de localisation en annexe 1.4. Sur les Chaumont de la Galaizière, un mémoire de Maîtrise d’histoire récent : E. Gaiffe-Brion, Chaumont de la Galaizière, action politique et implantation d’un réseau familial en Lorraine, Maîtrise d’histoire, Univ. de Nancy-II, dactyl., sous dir. Ph. Martin, 2003.

antérieures analysent le cas de Neuviller113, mais en se fondant, en partie, sur le préambule du procès-verbal de la réunion territoriale de Roville, établi le premier octobre 1770 d’après les délibérations de la communauté d’habitants des 2 et 3 décembre 1768114.

En décembre 1769, un partage des communaux est entrepris à Roville. Cependant le parlement refuse d’enregistrer l’édit de juin 1771 qui autorise ce partage115. La Galaizière s’arroge le tiers de ceux-ci en vertu de son droit de triage116. Mais l’intendant souhaite aller plus loin. Sur les conseils de M. de Coeur-de Roy, président du parlement de Lorraine et ancien conseiller au parlement de Dijon, qui lui a fait « part (…) de ce qu’il a vu à Rouvres… »117, La Galaizière engage une procédure de remembrement. C’est, en effet, « l’arpentage de Rouvres » près de Dijon, effectué entre 1704 et 1707 qui sert d’exemple à celui de Roville118. Ce type de « réunions » peut être entrepris au XVIIIe siècle grâce aux progrès techniques réalisés dans le domaine de l’arpentage, notamment la technique de triangulation119. Ainsi, l’opération menée à Roville en 1769-1770 n’est pas une simple rénovation de terriers. Le premier octobre 1770 les habitants sont « assemblés sur la convocation faite par M. de la Galaizière Intendant de Lorraine et Barrois seigneur dudit comté de Neuviller, à l’effet de reconnaître et d’accepter les portions qui viennent d’être assignées à chacun d’eux dans la nouvelle distribution des terres qui composent la ban dudit Roville… »120. Chaque propriétaire reçoit un lot de terres réunies en proportion de ce qu’il possédait avant l’opération. Une carte est dressée par l’arpenteur et des dispositions précises quant à la culture des terres sont prises. Le procès-verbal fixe « le sens dans lequel chaque contrée sera à jamais cultivée relativement aux pentes et à la direction des eaux ». « Pour la culture et l’enlèvement des récoltes des chemins en lignes droites au moyen desquels chaque champs se trouvera aboutir sur un chemin » sont tracés121. De plus, chaque parcelle a une largeur fixée perpétuellement « à trois toises mesure de Lorraine », ce qui facilite le labour

113 N. François de Neufchâteau, Voyages agronomiques dans la sénatorerie de Dijon, Paris, 1806 ; G. Hottenger, op. cit. ; J. Peltre, op. cit.

114

A. D. M. M., B 11 947.

115 A. D. M. M., B 11 947 ; voir aussi, N. Vivier, « Vive et vaine pâtures. Usages collectifs et élevage en France, 1600-1800 », La Terre et les paysans, Productions et exploitations agricoles aux XVIIe et XVIIIe siècles en France et en Angleterre, Actes du colloque de 1998 (Aix-en-Provence) de l’Association des Historiens Modernistes des Universités, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 1999, p. 73-106, p. 96.

116

« Droit pour le seigneur d’obtenir la concession du tiers des biens communaux en toute propriété, en renonçant à tout droit d’usage sur les deux tiers restants », N. Vivier, Propriété collective…, op. cit., p. 302.

117 N. François de Neufchâteau, Voyages…, op. cit., p. 54.

118

Ibid., p. 36 et p. 52-72 ; J. Peltre, Recherches… (Thèse), op. cit., p. 277 et D. Margairaz, François de Neufchâteau. Biographie intellectuelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005, p. 504-505.

119 J. Peltre, « Les remembrements en Lorraine… », A. E., op. cit.

120 A. D. M. M., B 11 947.

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dans des parcelles suffisamment larges122. Les bandes mitoyennes sont labourées de façon à être moins productives afin de marquer les limites et de dissuader le paysan d’empiéter sur le champ voisin123. « La première conséquence de tels remembrements était, comme à Rouvres, la disparition des saisons »124. En effet, chaque propriétaire possède dorénavant ses terres sous la forme d’un lot d’un seul tenant où il met en pratique les successions de cultures qu’il a choisies indépendamment des choix du voisin. Les paysans ne sont plus soumis aux pratiques collectives (vive et vaine pâtures, parcours, bans de labours ou de récoltes…125) et à la rotation triennale commune. Le troupeau commun disparaît126 tandis que chacun est libre de pratiquer la jachère ou non. Pour les agronomes cette victoire de l’individualisme agraire est une condition nécessaire à l’amélioration de l’agriculture127.

Cependant, certains habitants ont fait part de leurs réticences vis-à-vis de ces réunions de terres128. En effet, les communaux et la vaine pâture sont nécessaires à la survie des plus pauvres puisqu’ils y font paître leur maigre bétail129. Inversement, la vive pâture peut être un avantage pour les paysans aisés qui possèdent un cheptel important, et le seigneur qui, en Lorraine, a le « droit de troupeau à part »130. Après la « réunion » nul troupeau ne peut se repaître sur les terres qui sont protégées et parfois encloses. Toutefois, La Galaizière apaise les réticences des plus petits à Neuviller en leur proposant une indemnité de 1 200 F131. Il accepte aussi que les chemins soient établis sur des portions de terres lui appartenant afin que les petits propriétaires ne soient pas floués. Mais la décision de réunir les terres est décidée de manière autoritaire par l’intendant et c’est tout à son intérêt puisque ses possessions sont regroupées en grands îlots sur les terres les plus fertiles des trois finages132. La réunion du ban de Roville est légalisée par le roi de France qui accorde des Lettres-patentes le 7 mai 1771133. Toutefois, pour être valable, ces Lettres-patentes doivent être enregistrée par le parlement de

122Ibid. ; 3 toises de Lorraine valent environ 9 mètres.

123 J. Peltre, « Les remembrements en Lorraine… », A. E., op. cit.

124 Ibid., p. 244.

125

N. Vivier, « Vive et vaine pâtures… », op. cit., p. 89.

126 Mathieu de Dombasle, « Des réunions territoriales », A. A. R.., t. I, 1824, p. 264-318, p. 310.

127 Cf. l’étude célèbre de M. Bloch, « La lutte pour l’individualisme agraire dans la France du XVIIIe siècle », Annales d’histoire économique et sociale, 1930, p. 329-383 et p. 511-556.

128

Après 1767, le refus des clôtures et des partages est aussi très fréquent dans la plaine thermale des Vosges. Cf. A. Jacquet, La terre, la charrue, les écus…, op. cit., p. 173-175 et p. 205-206.

129 N. Vivier, « Vive et vaine pâtures… », op. cit.,

130 Ibid.

131

Mathieu de Dombasle, op. cit., p. 275.

132 J. Peltre, art. cité, p. 245.

133 Le 28 mai pour Neuviller ; François de Neufchâteau, Voyages…, op. cit., p. 189-201. Voir le document reproduit en annexe 6. Ce document énumère les noms de tous les habitants concernés par les « réunions » et décrit les différentes opérations de celles-ci, que l’on a expliquées plus haut.

Nancy qui refuse dans un premier temps puis, accepte de les enregistrer le 14 mai 1772134. Cette réticence illustre la haine des parlementaires à l’encontre de l’intendant La Galaizière, garant de l’autorité du roi contre l’ « indépendantisme » lorrain.

« C’est sans doute pour profiter de ces avantages que le célèbre agronome Mathieu de Dombasle fonda à Roville (…) son institut agricole… »135. Il est évident qu’une exploitation d’un seul tenant et exempte de contrainte collective convient parfaitement à un agronome pour y pratiquer une agriculture dite raisonnée, avantages remarqués aussi par Antoine Bertier, propriétaire de la ferme exemplaire exploitée par Mathieu de Dombasle à partir de 1822. « L’homme qui a le plus d’industrie ou plus de connaissances que les autres, cesse d’avoir les bras liés, et peut adopter des perfectionnemens dans sa culture, qui servent bientôt d’exemple à tous… »136. La terre de Roville est idéale pour toute entreprise agronomique définie par les doctrines du temps.

Au début des années 1820, Hubert Mathieu, vétérinaire du département des Vosges137, révèle l’existence, dans la Plaine, d’une « vingtaine de propriétés » importantes (sans donner de données chiffrées)138 et d’un seul tenant : « du côté de Bulgnéville et de Châtenois (…) j’ai remarqué avec satisfaction que les prairies étaient entourées de palissades. Ces clôtures empêchent toute entrée du bétail étranger, et permettent à celui du propriétaire d’y paître tranquillement »139. Le vétérinaire H. Mathieu livre une réflexion fortement marquée par les idées agronomiques, un plaidoyer pour l’individualisme agraire140. C’est dans ces grandes exploitations de l’ouest vosgien que s’impose alors l’élevage ovin. Les grands troupeaux de Mérinos de plusieurs centaines de têtes représentent le signe remarquable de la conversion des grands propriétaires à une agriculture de type Norfolk.

134 A. J. Bourde, Agronomie et agronomes…, op. cit., p. 1185 ; N. Vivier, art. cité, p. 97.

135 J. Peltre, « Les remembrements en Lorraine… », A. E., op. cit., p. 246 et J. Peltre, Recherches…, op. cit., p. 281.

136

Mathieu de Dombasle, op. cit., p. 301.

137 A son sujet voir F. Knittel, « L’enseignement vétérinaire : un progrès pour le monde agricole (1761-1848). L’exemple lorrain », Cahiers lorrains, 2004, n°1, p. 26-47.

138

H. Mathieu, Voyage agricole dans les Vosges…, op. cit., p. 7.

139 Ibid., p. 10.

140 M. Bloch, « La lutte pour l’individualisme agraire dans la France du XVIIIe siècle », Annales d’histoire économique et sociale, 1930, p. 329-383 et p. 511-556. Repris dans La terre et le paysan, Paris, A. Colin, 1999, p. 257-349.

2. Vers une spécialisation ovine dans l’Ouest vosgien

En 1809, le préfet des Vosges constate que le nombre d’ovins diminue : en 1806 on compte 8000 têtes de bétail en moins par rapport à 1789141. Le partage des biens nationaux et des terrains communaux est présenté comme une mesure néfaste à l’élevage des moutons, les espaces de parcours ayant été réduits. Il essaye alors, en s’appuyant sur de grands exploitants, d’enrayer la baisse du cheptel ovin dans le département. Le préfet ne s’est pas intéressé qu’aux moutons, il a dressé un tableau comparatif de la situation de l’élevage bovin, ovin et porcin dans le département entre 1789 et 1806, ce qui nous donne un aperçu de l’évolution des cheptels142. Avant de développer le cas bien particulier de l’essor de l’élevage du mouton dans l’ouest du département, il nous semble utile de consacrer un développement à la situation globale de l’élevage143. Toutefois, l’élevage des chevaux est un domaine très particulier et, quelque peu à part, c’est pourquoi nous l’évoquerons mais succinctement144.

L’importance du cheval est cruciale à cette époque pour la société entière : l’agriculture et l’armée sont deux secteurs où les équidés sont indispensables, cela provoquant des luttes d’intérêts surtout en temps de guerre lorsque les responsables militaires ordonnent des réquisitions, qui concernent en premier lieu les chevaux et qui pénalisent les paysans145. L’histoire de l’élevage équin est donc une histoire qui dépasse le strict cadre agricole146. Les chevaux, comme les bœufs sont élevés principalement pour être utilisés pour les travaux de trait. En l’an III, la « race des chevaux [lorrains] est généralement [considérée comme] petite »147, c’est-à-dire de médiocre qualité. En l’an IX, le préfet Desgouttes fait le même constat148. L’amélioration de la « race chevaline » prend alors une grande importance149, à tel

141

Ibid. Cf. graphique 7.2, en annexe 7.

142 Les préfets, en réponse aux sollicitations du pouvoir impérial, ont répondu à diverses enquêtes concernant « le nombre et le prix des bestiaux… » A. D. V., 36 M 15, tableau signé par le préfet des Vosges et daté du 24 janvier 1809. Cf. graphique 7.1 en annexe 7. La fiabilité de ces enquêtes est souvent incertaine mais après recoupement des données avec d’autres sources (A. N., KK 1159-1172, Enquête sur l’agriculture en Lorraine, 1761-1762 et A. N., F10 530-533, Bêtes à cornes : états statistiques, 1812-1814. Ainsi que H. Mathieu, Voyage agricole dans les Vosges…, op. cit.) nous avons sélectionnés les séries qui apparaissaient les plus « justes ». sur ce point de méthode cf. G. Garrier, « Les enquêtes agricoles au XIXe siècle, une source contestée », Cahiers d’histoire, XII, 1967 et M. Demonet, Tableau de l’agriculture française au milieu du XIXe siècle, l’enquête de 1852, Paris, EHESS, 1990.

143 Une première esquisse de ce qui suit a été publiée dans F. Knittel, « L’élevage dans les Vosges sous le Premier Empire… », op. cit.

144

Les aspects liés à la traction animale des trains de labour sont étudiés dans les chapitres III et VIII.

145 Cf. J. P. Rothiot, « L’effort de guerre dans les campagnes lorraines : réquisitions de céréales, fourrage et moyens de transports », dans J. P. Rothiot (dir.), L’effort de guerre. Approvisionnement, mobilisation matérielle et armement (XIVe-XXe siècles), Paris, CTHS éd., 2004, p. 97-112

146 J. Mulliez, Les chevaux du royaume. Histoire de l’élevage du cheval et de la création des haras, Paris, Montalba, 1983, rééd. Belin, 2004, coll. « histoire et société ».

147 A. N. F11 449, « observations de l’agent national près le District de Vézelise », an III.

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point que la tâche n’en incombe pas seulement aux paysans mais essentiellement aux haras150 et, en Lorraine, particulièrement, au haras de Rozières dans le département de la Meurthe. Les paysans vosgiens ne sont pas en reste et certains d’entre eux s’efforcent aussi d’améliorer l’espèce. Certains sont d’ailleurs récompensés lors des foires agricoles comme celle de Lunéville qui a lieu le 24 juin 1808 où les éleveurs « des plus beaux chevaux » sont primés151, ou encore à Toul le 3 septembre 1813152. Quelques années après l’Empire, les rapports du vétérinaire de l’arrondissement de Saint-Dié, Grillot, nous renseignent sur l’état du cheptel équin dans la montagne, de bien piètre qualité : « les chevaux de cet arrondissement, malgré leur bonté, sont en général petits, tassés, et pour mieux dire rabougris… »153. Le vétérinaire explique ensuite que le relief montagneux de l’arrondissement ne facilite pas l’élevage des chevaux et que les paysans mettent leurs soins « à l’éducation de l’espèce bovine »154. L’élevage du cheval n’est donc pas la priorité des paysans de la montagne vosgienne, qui privilégient les bœufs pour les divers tirages et travaux de labour. Les chevaux vosgiens sont de qualité médiocre et bien plus encore après les réquisitions pour les guerres de la Révolution et de l’Empire155. Une étude plus approfondie est encore à écrire sur le cheval et son élevage en Lorraine156.

Entre 1789 et 1806, le nombre de bovins augmente mais faiblement. Les vaches sont nettement plus nombreuses que les bœufs, ce qui montre que l’élevage bovin dans les Vosges a une orientation laitière dès cette époque puisque les vaches sont de moins en moins utilisées pour les travaux de traction157. L’explication de l’augmentation du nombre de bœufs est liée, d’après le préfet, à l’amélioration des prairies naturelles dans la montagne et « à l’établissement des prairies artificielles dans les plaines »158. En disciple des théories agronomiques, le préfet ajoute que « le nombre de ces bestiaux pourrait encore augmenter si les prairies artificielles étaient multipliées… »159. En ce qui concerne l’augmentation du

149 F. Knittel, « L’enseignement vétérinaire : un progrès pour le monde agricole (1761-1848)… », op. cit., p. 28-29.

150 J. Mulliez, « Essai sur le rapport éventuel entre « révolution agricole » et utilisation du cheval de labour », Annales de Bretagne et des pays de l’ouest, 1999-1, n° spécial : des animaux et des hommes, économies et sociétés rurales en France, XIe-XIXe siècles, p. 87-99 ; J. Mulliez, Les chevaux du royaume…, op. cit.

151 A. D. V., 36 M 15, lettre du ministre de l’Intérieur au sous-préfet de Saint-Dié, 14 juin 1808.

152 A. D. V., 36 M 15, lettre du préfet de la Meurthe au préfet des Vosges, 14 août 1813.

153

A. D. V., 36 M 15, rapport du 21 août 1822.

154

Ibid.

155 G. Hottenger, « La Lorraine agricole au lendemain de la Révolution… », op. cit., p. 42, et J. P. Rothiot, « L’effort de guerre dans les campagnes lorraines… », op. cit.

156

Cf. par exemple A. D. V., 36 M 18 pour le recensement des chevaux pendant le Restauration.

157 J. Mulliez, « Du blé, mal nécessaire… », op. cit., p. 40 et A. Jacquet, La terre, la charrue, les écus…, op. cit., p. 23.

158 A. D. V., 36 M 15.

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nombre de vaches le partage des communaux est présenté, par le préfet, comme un facteur explicatif positif. L’augmentation du cheptel porcin est assez importante, 12 000 têtes supplémentaires entre 1789 et 1806. Le préfet, encore une fois, donne comme élément d’explication le partage des terres communales160. Les variations quantitatives du cheptel sont liées à des facteurs explicatifs bien plus complexes que le seul transfert de propriété qui a eu lieu pendant la Révolution, aussi massif qu’il ait été. En revanche cette focalisation sur les partages est révélatrice de l’importance de ces transformations foncières dans la société rurale de l’époque161. La question de la vente des communaux est, certes, une explication aux fluctuations du cheptel mais non suffisante. Même si la loi du 10 juin 1793 permet le partage, celui-ci n’est pas effectué totalement et les opérations de partage perdurent jusqu’au XIXe siècle. Cependant dès 1794, une plainte se fait entendre dans le district d’Epinal après le partage de l’année précédente : l’opération ainsi réalisée serait une des causes de la diminution du nombre d’animaux162. La complainte qui lie partage et diminution du cheptel, reprise par le préfet des Vosges en 1809163 est un lieu commun depuis l’autorisation des partages. Nadine Vivier relève d’ailleurs la même critique à Bourbonne, Chartres, Evreux…164. Pendant la Révolution les partages sont nombreux, 233 pour le département des