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La charrue « Dombasle » : une charrue sans avant-train

L’histoire de la charrue Dombasle est déjà en partie connue. Elle est en bonne place dans les ouvrages consacrés aux techniques agricoles21, mais souvent les auteurs limitent leur présentation aux aspects purement techniques. Ici nous proposons une approche plus globale de cette histoire en étudiant la démarche théorico-pratique qui permet à Mathieu de Dombasle de mettre au point sa charrue et en précisant les conséquences pratiques pour les laboureurs de l’utilisation de cet instrument aratoire22. Mathieu de Dombasle propose un instrument aratoire, alternatif à la charrue traditionnellement utilisée par les paysans lorrains. De cette charrue traditionnelle on sait peu de chose puisque tellement commune que les descriptions manquent d’un instrument aratoire connu alors de tous et au sujet duquel il n’était guère nécessaire de faire des précisions techniques. Toutefois on connaît, même grossièrement, cette charrue ou, plutôt, ces charrues, c’est-à-dire l’ensemble des charrues d’usage courant mais qui diffèrent entre elles sur des points de détails, en fonction du lieu et du contexte d’utilisation.

20 La traduction, ou hybridation, en vocabulaire historique du concept agronomique nous permet de l’utiliser empiriquement. Sur la notion de « traduction » cf. G. Noiriel, Penser avec, penser contre…, op. cit., p. 19.

21 Par exemple, M. Daumas (dir.), Histoire générale des techniques, Paris, P. U. F., 1976, t. 3, p. 555 et G. Duby, A. Wallon, Histoire de la France rurale, Paris, Le Seuil, 1976, rééd. 1992, coll. « point histoire », t. 3, p. 200.

22

Une première version des idées développées dans ce chapitre (qui les prolonge et les complète) a été exposée lors de la séance de l’Association Française pour l’Etude du Sol (A. F. E. S.) du 31 mai 2005. Cf. F. Knittel, « La charrue « Dombasle » (c. 1814-c. 1821) : histoire d’une innovation en matière de travail du sol », Etude et Gestion des Sols, vol. 12, 2, 2005, p. 187-198. Pour des précisions de vocabulaire technique cf., infra, en annexe, le lexique sommaire des termes du travail du sol.

93 FIGURE 2

LA CHARRUE DOMBASLE ET SON REGULATEUR

Source : Mathieu de Dombasle, Annales agricoles de Roville, t. I, 1824, p. 409-410.

Guy Cabourdin indique, d’après un document de 1602 que « la charrue se présente avec un gros avant-train, à roues ferrées, qui paraît bien adapté aux exigences du sol lorrain, avec coutre et soc »23. Il ajoute, en outre, qu’ « elle devait être un instrument solide, capable d’affronter les terres fortes du plateau ». Il précise aussi que les attelages comportaient de quatre à six chevaux24. En 1778, Durival, dans le paragraphe « Terres arables, bleds,

23

G. Cabourdin, Terre et hommes en Lorraine (1550-1635), Toulois et Comté de Vaudémont, Thèse d’Etat, 1974, université de Nancy-II, Nancy, PU de Nancy / Annales de l’Est, Mémoire n°55, 1977, 2 tomes, repris dans Paysans d’autrefois (tome 2), Nancy, PUN / éd. Serpenoise, 1984, p. 95.

24 « A Champenoux, le laboureur « faisant charrue entière de six chevaux » payait une redevance en nature à l’abbaye de Saint-Evre. Des charrues de six chevaux sont mentionnées à Bulligny et dans le Comté de

94 labourage » de sa Description de la Lorraine, précise que les « instrumens aratoires sont bons et le pays produit les bois et le fer qu’on y employe. Notre charrue est une machine simple et ingénieuse, qui a tous les mouvemens nécessaires pour rendre les rayons ou sillons plus ou moins large, plus ou moins profonds. Mais il faudrait que les roues fussent plus hautes, en sorte que le trait étant horisontal, le cheval eut toute sa force, et qu’ont put diminuer le nombre de chevaux »25. Durival fait une description flatteuse de l’outil mais il réfléchit à son amélioration et s’interroge sur la force de traction en envisageant le moyen de la rendre la plus faible possible. On évoque, par commodité de langage, une charrue traditionnelle. Or, il ne faut pas imaginer un outil unique mais un ensemble de matériels dérivés de l’outil commun. Là aussi, rares sont les descriptions de ces micro adaptations locales26. Par exemple, Durival consacre quelques lignes aux charrues de la montagne vosgienne mais sa description n’est guère précise27.

En 1820-1821, Mathieu de Dombasle livre à la communauté scientifique de l’époque intéressée par l’agriculture ses réflexions à propos de la charrue en général et des améliorations à y apporter en particulier28. Son Mémoire sur la charrue est une réponse à une sollicitation de la Société royale et centrale d’agriculture qui « a demandé à chaque concurrent un mémoire sur la théorie [de la charrue] en plus de l’instrument aratoire »29. Mathieu de Dombasle est en quelque sorte contraint d’expliquer de manière théorique le fonctionnement de la charrue qu’il présente, tâche à laquelle il sacrifie, nous semble-t-il, sans trop de réticence. C’est, en effet, un réel plaisir et une pleine satisfaction intellectuelle pour lui que de chercher « à analyser tous les effets qui peuvent être produits par la charrue, et à les rattacher à quelques propositions de dynamique déterminées… »30. En proposant à la fois l’instrument aratoire et son guide théorique, l’agronome lorrain permet à ses pairs de confronter leurs observations de l’outil et son travail aux réflexions théoriques qui ont permis son élaboration.

Vaudémont. » Ibid, p. 95. P. Vidal de la Blache évoque ces « terres fortes » difficiles à travailler ainsi que les « riches terroirs argilo-calcaires » dans sa France de l’Est (A. Colin, 1920, rééd. La découverte, 1994), p. 30-33.

25 Durival l’aîné, Description de la Lorraine, tome 1, 1778, p. 286-289, citation p. 288 (souligné par l’auteur). A.-J. Bourde, Agronomie et agronomes…, op. cit., tome 2, p. 922, se réfère aussi à Durival.

26 « On ne saurait (…) trop mettre en garde contre l’expression d’outillage traditionnel qui fait écran à des évolutions souvent méconnues entre le moyen âge et nos jours ». A. Paillet, Archéologie de l’agriculture moderne, Paris, éd. Errance, 2005, p. 22.

27 Durival l’aîné, Description…, op. cit., p. 290.

28

C. J. A. Mathieu de Dombasle, « Mémoire sur la charrue considérée principalement sous le rapport de la présence ou de l’absence de l’avant-train », extrait des Mémoires de la Société Royale et Centrale d’agriculture, Paris, Mme Huzard, 1821.

29 C. J. A. Mathieu de Dombasle, « Mémoire sur la charrue…. », op. cit., p. 3.

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1. Postulats mécaniques et conceptualisation

Mathieu de Dombasle s’interroge sur la pertinence de l’avant-train dans le fonctionnement d’une charrue, c’est pourquoi il examine les « effets qui résultent de la présence ou de l’absence de l’avant-train de la charrue »31. Son propos consiste à présenter au lecteur non seulement une comparaison minutieuse des charrues à train et sans avant-train32, mais aussi à poser les postulats mécaniques nécessaires à la compréhension du fonctionnement de la charrue. Il n’en reste pas à la simple relation d’observations de l’instrument dans ses diverses utilisations, mais expose une théorie mécanique du fonctionnement de la charrue et développe plus particulièrement les avantages et inconvénients liés à la présence ou non de l’avant-train, « petit char à deux roues dont sont munis certains araires et charrues »33. Souvenons-nous du passage de Mathieu de Dombasle dans l’administration des convois de l’armée du Rhin en 1793-1794, où il a peut-être débuté une réflexion sur la traction des charriots et la question du nombre des animaux de trait.

Au préalable cependant, Mathieu de Dombasle se livre à quelques réflexions sur la forme de l’instrument qu’il étudie afin d’expliciter « le mécanisme au moyen duquel [la charrue] détache, soulève et renverse la bande de terre sur laquelle [elle] exerce son action »34, et cela afin de déterminer la position du « centre de la résistance » du corps de la charrue35. La force nécessaire au tirage de la charrue, liée à « la ligne de résistance » retient l’attention de l’agronome qui cherche, d’un point de vue mécanique, à limiter le plus possible l’effort de traction. « Pour que la force motrice fût employée dans la charrue de la manière la plus utile possible à vaincre la résistance, il faudrait qu’elle agît (…) dans le prolongement de la ligne

de résistance (…) il faudrait donc que le moteur se trouvât aussi sous la surface du sol, à la

même profondeur que la ligne de résistance »36. La perte de force est donc inévitable puisque le « moteur » se « trouve (…) à une assez grande hauteur au dessus du niveau du sol… »37. Mathieu de Dombasle explique alors l’obliquité de la force de tirage et démontre la nécessité de l’ « entrure », « légère courbure à la pointe du soc »38, pour maintenir la charrue à une

31 C. J. A. Mathieu de Dombasle, « Mémoire sur la charrue…. », op. cit., Ier partie.

32

M. Héricart de Thury, « Rapport sur le mémoire de Mathieu de Dombasle… », op. cit., p. 93.

33 A G. Haudricourt, M. Jean-Brunhes Delamare, L’Homme et la charrue à travers le monde, 1955, rééd. 2000, p. 26.

34

C. J. A. Mathieu de Dombasle, « Mémoire sur la charrue…. », op. cit., p. 15.

35

Ibid.

36 Ibid., p. 18 (souligné par l’auteur) ; cf. croquis p. 96.

37 Ibid.

38

96 profondeur constante. Soucieux d’être intelligible par tous et surtout des praticiens, c’est-à-dire des chefs d’exploitation sachant lire, Mathieu de Dombasle a recours à la comparaison : « le corps de la charrue se trouve placé ainsi dans une position semblable à celle d’un bateau tiré sur un canal par des chevaux qui longent le rivage »39. L’auteur oscille sans cesse entre la description et l’abstraction théorique. Aussi offre-t-il plusieurs niveaux de lecture et il ne restreint pas son ouvrage à un lectorat d’érudits au fait des lois de la physique et de la mécanique. Il donne alors à son discours deux « dimensions » dans le sens où s’entremêlent références scientifiques destinées aux savants et une quasi vulgarisation, destinée aux praticiens40.

Et c’est à la suite de sa comparaison pédagogique que Mathieu de Dombasle rappelle les principes mécaniques et dynamiques nécessaires à la démonstration41. Une fois posé le problème de la « déperdition de la force motrice », Mathieu de Dombasle propose une solution permettant une perte minimale de cette force. C’est pourquoi, d’après lui, il faut se pencher sur l’avant-train, ou plutôt sur son absence. Au-delà des aspects liés à l’angle de tirage, important lorsqu’on utilise une charrue avec avant-train, Mathieu de Dombasle traite aussi de « l’augmentation de la force motrice qui est rendue nécessaire, dans la charrue composée [i.e. avec avant-train], par le poids de l’avant-train, par le frottement des roues, par la résistance qu’occasionne la terre qui s’attache souvent aux roues en quantité considérable… »42. Tous ces inconvénients disparaissent lorsque l’avant-train est enlevé mais, en plus, « la perte de force occasionnée par l’obliquité de la ligne de tirage est nécessairement au minimum dans la charrue simple… »43. Sans roue, le réglage de la charrue doit être parfait sinon la charrue « pique » trop profond et le labour est impossible. Or l’avant-train « empêche la charrue de « piquer » trop profond… »44. C’est, en quelque sorte, « un régulateur de profondeur »45 mais, s’il est utilisé de cette manière, la pression des roues sur le sol augmente, ce qui se traduit par une résistance au tirage. La charrue sans avant-train, bien réglée, est donc destinée de manière privilégiée à effectuer des labours profonds (7 pouces, soit 19 cm, au lieu

39 Ibid.

40

Les prémisses de cette réflexion ont été élaborées dans F. Knittel, « La diffusion d’une pédagogie agricole : les écrits de Mathieu de Dombasle », Annales de l’Est, 2002-1, p. 131-143.

41 Ibid., p. 21-23.

42

Ibid., p. 30.

43

Ibid., p. 29.

44 F. Sigaut, L’agriculture et le feu : le rôle et la place du feu dans les techniques de préparation du champ de l’ancienne agriculture européenne, Paris-La Haye, Mouton, 1975, p. 83.

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97 de 4 pouces habituellement)46 et réguliers, donc de meilleure qualité car préparant mieux la terre et laissant espérer des rendements supplémentaires, voire une productivité du travail accrue : « les terres du midi, le plus souvent légères et bien structurées, ont intérêt à être travaillées en surface pour éviter l’évaporation, tandis que les sols argileux, sous climat humide et frais, profitent mieux d’un travail du sol qui les aère et facilite la minéralisation de la matière organique »47. Ce sont donc les réglages des différentes pièces de la charrue qui sont essentiels à son bon fonctionnement. En revanche, La charrue sans avant-train n’est pas adaptée aux labours superficiels48. L’instrument aratoire de Mathieu de Dombasle n’est pas une panacée et il en souligne d’ailleurs certaines limites : « la même charrue à avant-train établie pour marcher dans une terre meuble, ne pourra plus pénétrer dans un sol compact ou durci par la sécheresse ; il faudra lui donner plus d’entrure et par conséquent augmenter la divergence des tendances, la pression de l’age sur l’avant-train, et toute la perte de force motrice qui en résulte… »49. Aussi la charrue « Dombasle » est-elle un instrument destiné au labour dans les terres fortes50 où elle effectue un labour profond et régulier.

2. Une pseudo-invention

L’agronome lorrain réussit donc à se passer de l’avant-train tout en améliorant les performances de la charrue. Mais cette décision prise, il a dû, pour pallier la disparition des roues, mettre au point un régulateur, fonctionnant avec une crémaillère, ce qui permet de corriger la dissymétrie de la charrue et assure, du même coup un labour droit et profond. Toutefois, cette modification technique qui apparaît alors comme une nouveauté, ne l’est pas tant que cela : la charrue « Dombasle » est en fait une pseudo invention et le talent de l’agronome ne réside pas dans la conception-réalisation de sa charrue mais dans la promotion de l’instrument aratoire qui passe pour nouveau et qui, largement diffusé, est baptisé du nom

46 Actuellement les labours s’effectuent à une profondeur d’environ 25 cm. Il semble inutile et même néfaste de labourer plus profond. Cf. E. Dalleine, Les façons en travail du sol, op. cit., t. 2, p. 50 ; W. G. Sturny, « Le travail du sol : une synthèse », Revue suisse d’agriculture, 25-3, 1993, p. 154-168, p. 162 et S. Hénin, « les techniques de culture sans labour et les problèmes posés aux chercheurs », Simplification du travail du sol en production céréalière, Actes du colloque ITCF, 7-8 décembre 1976, p. 301-305, p. 301.

47

J. Boulaine, « L’œuvre agronomique de Duhamel du Monceau », A. Corvol (dir.), Duhamel du Monceau, 1700-2000. Un européen du siècle des Lumières, Académie d’Orléans, 2001, p. 27-40, p. 28.

48 F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, op. cit. , p. 85 et E. Dalleine, Les façons en travail du sol, op. cit.

49 C. J. A. Mathieu de Dombasle, « Mémoire sur la charrue…. », op. cit., p. 43.

50

98 de son (pseudo)inventeur51. Si nous démontrons ici les mécanismes de pseudo invention, les stratégies de diffusion et de promotion sont abordées dans les chapitres suivants.

FIGURE 3

THEORIE DE LA CHARRUE

Source : Mathieu de Dombasle, Annales agricoles de Roville, t. I, 1824, p. 409-410.

L’absence d’avant-train est sans cesse évoquée par Mathieu de Dombasle, mais évoquée en creux, c’est-à-dire pour mieux souligner sa disparition qui est, d’après lui, à ce stade, une amélioration de l’instrument aratoire. En effet, l’agronome lorrain ne considère pas que l’avant-train ait pu être un progrès pour le labourage, pourtant « étant donné la dissymétrie de la charrue, on comprend l’avantage qu’a représenté pour elle un avant-train… »52. Mathieu de Dombasle, lui, rend l’avant-train responsable de toutes les difficultés liées au labour. Le supprimer est donc une solution radicale capable d’entraîner un progrès pour l’agriculture entière. Il postule donc que cette pièce est une des causes des archaïsmes de

51

Cette idée a été exposée pour la première fois dans F. Knittel, « Innovation et diffusion de l’innovation en agronomie. L’exemple de Mathieu de Dombasle », P. Robin (dir.), Histoire et Agronomie : entre rupture et durée, Colloque de Montpellier, 20-22 octobre 2004, Paris, IRD éd., coll. « Colloques et Séminaires », sous presse. Elle est ici développée et précisée.

52

99 l’agriculture française, alors qu’en fait, il s’avère qu’elle a joué un rôle essentiel et novateur dans l’histoire agraire du pays. En effet, depuis le milieu du XVIIIe siècle, réflexions et études sur la charrue et les techniques de labour se sont multipliées, depuis 1750, avec, comme point de départ, l’œuvre de Duhamel du Monceau53, élargissant les théories de l’agronome anglais Jethro Tull54. Ces apports de la seconde moitié du XVIIIe siècle provoquent, surtout dans le premier tiers du siècle suivant, un formidable intérêt pour ces techniques, c’est-à-dire pour les instruments de labour eux-mêmes, charrue et araire, mais aussi pour les pratiques du labour. Un processus de réflexion et de tentative d’amélioration des techniques est alors engagé. Ce chapitre est consacré aux modalités d’élaboration de la charrue « Dombasle », aussi n’irons-nous pas plus avant ici dans l’analyse des origines et ces remarques seront développées dans le chapitre suivant, où l’on montre que l’histoire de la charrue « Dombasle » s’inscrit dans la longue durée, même si son auteur tend parfois à le nier. En effet « l’esprit humain n’invente rien ex-nihilo, « invention », « naissance » signifient en réalité recombinaison d’éléments qui aboutissent à du « nouveau », à de l’ «original », non pas surgis du vide, mais résultat d’un faisceau de facteurs longuement préparés et d’un entrelacs d’actes et de réflexions »55. Mathieu de Dombasle est un modernisateur, qui a conçu sa charrue en étudiant à la fois la charrue lorraine traditionnelle et des modèles anglais, dits « swing plough », eux-mêmes élaborés dès les XIIIe et XIVe siècles56.

Se pose alors un délicat problème technique : celui de l’axe de traction. En effet, l’avant-train sur une charrue n’est jamais fixé dans le prolongement de l’age mais légèrement décalé comme l’a montré Mathieu de Dombasle dans son recueil théorique. Les schémas réalisés par l’agronome montrent bien ce décalage57 : les animaux attelés à l’avant-train tirent la charrue selon un axe alors que le labour s’effectue selon un axe différent, ce qui permet au laboureur de réaliser un labour droit. Le régulateur devient, du fait de la disparition de l’avant-train, une des pièces maîtresses de la charrue « Dombasle », et le rouage essentiel de l’axe de

53 J. de Pelet, « H. L. Duhamel du Monceau, agronome et savant universel (1700-1782) ou un encyclopédiste au siècle de Diderot », Culture technique, juillet 1986, n° 16, p. 236-245.

54 J. Tull, Horse-hoeing husbandry, 1731 ; H. L Duhamel du Monceau, Traité de la culture des terres, Paris, 1753-1761, 6 vol.

55 A. G. Haudricourt, M. Jean-Brunhes Delamare, op. cit., p. 53. Et les auteurs d’ajouter : « l’invention étant l’aboutissement d’un corps existant de connaissances, comment attribuer une invention à un seul inventeur ? »

56

Ibid., p. 473-478. Voir aussi G. Comet, Le paysan et son outil. Essai d’histoire technique des céréales (VIIIe -XVe siècles), Paris/Rome, Ecole française de Rome, 1992.

57 Mathieu de Dombasle, « Mémoire sur la charrue, considérée principalement sous le rapport de la présence ou de l’absence de l’avant-train », Mémoires de la société royale et centrale d’agriculture, 1821 et Id., A. A. R., t. I, 1824, p. 409-410. Voir les figures 2 et 3, pages précédentes.

100 traction de la dite charrue. Paradoxalement, Mathieu de Dombasle n’en fait pas mention dans son Mémoire sur la charrue. Il se borne à des considérations théoriques dans un premier temps puis réfléchit aux applications pratiques en omettant d’évoquer le régulateur. Y a-t-il là une volonté délibérée de l’agronome lorrain ou n’a-t-il pas encore perçu l’importance de cette pièce ? La seconde hypothèse ne semble guère recevable puisque la totalité du Mémoire sur la

charrue est une réflexion sur l’axe moteur de l’instrument aratoire. Cela est d’autant plus

irrecevable que dans ses ouvrages ultérieurs Mathieu de Dombasle accorde de l’importance à ce régulateur58. Mais alors pourquoi ne pas l’évoquer dans son premier Mémoire sur la

charrue où une réflexion sur le sujet n’aurait en rien été superflue ? Mathieu de Dombasle n’a

sans doute pas jugé nécessaire de proposer à ses lecteurs un développement trop long au sujet d’une pièce déjà connue des agronomes depuis l’époque médiévale59. Autant l’absence d’avant-train peut apparaître à l’époque comme une nouveauté, autant l’utilisation du régulateur n’en est pas une, ce qui est paradoxal puisque les deux types de charrue, avec ou sans avant-train, et les deux systèmes de traction, avant-train et régulateur, sont connus depuis