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Christophe Joseph Alexandre Mathieu de Dombasle : itinéraires biographiques, esquisses et hypothèses

CHOIX ET PARTIS PRIS METHODOLOGIQUES

I. Christophe Joseph Alexandre Mathieu de Dombasle : itinéraires biographiques, esquisses et hypothèses

La biographie est un genre hybride, qui existe depuis l’Antiquité, à la frontière de l’histoire et de la littérature3. Plutarque, avec ses Vies des hommes illustres4, est considéré comme un des pères du genre. Perçu comme « mineur, confus, douteux », le genre biographique, paradoxalement, « jouit depuis deux millénaires, en Occident, d’un succès toujours renouvelé… »5. Du grec « écriture d’une vie », la biographie consiste à analyser le cours d’une vie humaine, « ce module existentiel fondamental »6. Imaginaire ou romancée, la biographie appartient à la littérature mais, élaborée à partir des sources d’une vie rigoureusement critiquées, elle s’inscrit pleinement dans une écriture historique. Toutefois, histoire et biographie n’ont pas toujours fait « bon ménage ». Genre florissant à l’époque romantique en France, puis en vogue durant tout le XIXe siècle7, la biographie a ensuite été dénigrée et rejetée par certains historiens comme étant une approche insatisfaisante, dénuée de légitimité « à dire » l’histoire. On y a vu l’influence de l’école dite des « Annales » issue des réflexions et travaux de Marc Bloch et Lucien Febvre8. L’ostracisme du genre biographique par l’école des « Annales », très influente dans le monde historien durant les années 1950-1970, notamment avec des « figures » comme Fernand Braudel ou Ernest Labrousse9 (qui développent les notions de longue durée et d’histoire sérielle) est nuancée par Christine Le Bozec qui relève, dans l’introduction de sa thèse consacrée à Boissy d’Anglas10, que L.

3 Pourquoi écrire une biographie ? Parce que l’Homme. L’Homme, l’être humain qui est au cœur de l’histoire et des préoccupations des historiens. Lieu commun de la pensée historiographique certes, mais il nous semble pourtant nécessaire de le rappeler ici en tête de ce premier chapitre : « le bon historien, lui, ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier » (citation, M. Bloch, Apologie…, op. cit., p. 51).Voir D. Madelénat, La biographie, Paris, PUF, 1984, p. 20 et F. Dosse, Le pari biographique. Ecrire une vie, Paris, La Découverte, 2005, p. 57 et 70.

4 Edition de la Pléiade, 1951.

5

D. Madelénat, La biographie, op. cit., p. 10. Alors même que les mots biographe et biographie apparaissent tardivement dans la langue française, à la fin du XVIIIe siècle.

6 Ibid., p. 9 et 13.

7 B. Guenée, Entre l’Eglise et l’Etat. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Age, Paris, Gallimard, 1987, p. 12 et F. Dosse, Le pari biographique…, op. cit., chapitre II, p. 133 à 212.

8 Fondateurs en 1929 de la revue Annales d’histoire économique et sociale.

9 F. Dosse, L’histoire en miettes. Des « Annales » à la « nouvelle histoire », Paris, La découverte, 1987, rééd. en poche, coll. « Agora », 1997, p. 95 et s.

10

Febvre, figure tutélaire des Annales, est l’auteur de plusieurs biographies dont Martin Luther,

un destin (1925)11.

La réflexion historiographique ne peut donc être simplifiée à l’extrême et la place du genre biographique, ou des genres, car la biographie n’est pas une forme d’écriture monolithique de l’histoire, dans le courant de l’école des Annales puis de la nouvelle

histoire12 est sans doute à réexaminer. D’autant plus que durant les années 1980 nous avons assisté à un renouveau du genre biographique à l’origine duquel on trouve des tenants de la

nouvelle histoire comme, par exemple, Georges Duby, qui fait paraître son Guillaume le Maréchal13 en 1984 et, quelques années plus tard, en 1996, Jacques Le Goff, chef de file de la

nouvelle histoire, publie un monumental Saint Louis14. Les rapports entre l’Histoire, les historiens et le genre biographique sont donc complexes : il n’y a pas d’un côté les historiens des masses qui ont recours aux séries homogènes et analysées à partir des outils statistiques adéquats au service d’une histoire s’inscrivant dans le temps long ; et de l’autre des historiens de la particularité, de l’individu voire de l’individualité, préoccupés uniquement par les soubresauts des événements d’une vie unique. La situation est plus complexe, et s’est d’ailleurs complexifiée depuis l’époque dite de « renouveau » de la biographie historique15. Aujourd’hui où l’on parle d’une « histoire en miettes »16, période sans école dominante et où nombre de genres et d’approches cohabitent, la biographie historique est (re-)devenue une manière d’écrire l’histoire parmi d’autres, à fort potentiel éditorial (le grand public s’est toujours passionné pour cette forme d’écriture de l’histoire)17 mais peut-être pas encore toujours considérée à l’égal d’autres approches. Le genre biographique souffre encore actuellement de son « étiquetage » positiviste18 alors que les biographies écrites actuellement n’ont guère de similitudes avec les histoires de grands hommes rédigées au début de la IIIe République19.

11 L’ouvrage sans doute le plus célèbre de Febvre, Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais (1942), est souvent considérée aussi comme une œuvre de type biographique. Cf. F. Dosse, Le pari biographique…, op. cit.

12 J. Le Goff (dir.), La nouvelle histoire, Bruxelles, Complexe, 1988, 1er éd. 1978.

13 G. Duby, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Paris, Fayard, 1984.

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J. Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996.

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I. Laboulais-Lesage, Lectures et pratiques de l’espace…, op. cit., p. 25-46.

16 F. Dosse, L’histoire en miettes…, op. cit.

17 F. Dosse, Le pari biographique…, op. cit., p. 17-55.

18

N’oublions pas les « trois idoles de la tribu des historiens » dénoncées par François Simiand au début du XXe siècle : l’individu, la politique et la chronologie ; G. Noiriel, Penser avec, penser contre…, op. cit., p. 48. Cf. aussi « la fausse querelle du positivisme » dans G. Noiriel, Sur la « crise » de l’histoire, Paris, Belin, 1996, p. 111-121.

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Né le 26 février 177720 et décédé le 27 décembre 1843 à Nancy, Christophe Joseph Alexandre Mathieu de Dombasle est connu à travers l’historiographie comme l’agronome qui a inventé une charrue sans avant-train et fondé le premier établissement d’enseignement agricole en France. Un certain nombre de travaux a déjà été consacré en tant que tel à C. J. A. Mathieu de Dombasle, et à ses réalisations : charrue sans avant-train aussi appelée charrue « Dombasle », la ferme exemplaire de Roville-devant-Bayon, l’Institut agricole qui y est annexé…21. René Cercler a consacré une courte biographie à l’agronome lorrain22 : rapide et parfois inexact23, son ouvrage a été depuis complété par de multiples notices biographiques publiées de manière éparse dont la plus récente est l’œuvre de Jean Boulaine et de Jean-Paul Legros24. Pour autant, Mathieu de Dombasle ne nous semble connu qu’en apparence et il est possible aujourd’hui de rouvrir le dossier sans craindre la redite. Il n’est donc nullement superfétatoire de (ré)écrire une biographie de Mathieu de Dombasle25. Son action et ses réalisations, souvent évoquées par ailleurs26, peuvent être réévaluées à travers une grille d’analyse construite autour de la question de l’innovation. Notre objectif est de montrer que Mathieu de Dombasle n’a rien inventé stricto sensu mais qu’il a adopté une démarche innovante qui lui a permis d’avoir une place importante dans le milieu agricole de l’époque même si « la pratique ne constitue pas, sauf exception, le futur comme tel, dans un projet ou un plan posés par un acte de volonté consciente et délibérée »27. Dans le même temps, nous allons montrer que son rôle doit être reconsidéré et que la charrue « Dombasle » n’est pas son apport le plus important à l’agronomie naissante. C’est un changement de point de vue sur l’agronome Mathieu de Dombasle que nous proposons en insistant sur ses contributions en

20 Dans un faubourg de Nancy, Paroisse Saint-Roch : E. Becus, Mathieu de Dombasle. Sa vie, ses œuvres, 1874, reproduit l’acte de naissance/baptême de Mathieu de Dombasle, p. 12 ; A. M. N. Série C « Mathieu de Dombasle ».

21 Les références seront données dans les chapitres spécifiques et sont répertoriées dans la bibliographie.

22 R. Cercler, Mathieu de Dombasle, Nancy, Berger-Levrault, 1946.

23 Cf. Les remarques de A. G Haudricourt et M. Jean Brunhes Delamarre, L’Homme et la charrue à travers le monde, 1955, rééd. 2000, p. 456.

24 J. Boulaine, J. P. Legros, D’O. de Serres à R. Dumont : portraits d’agronomes, Paris-New York, Tec et Doc, 1998, p. 67-87.

25 Un article récent (L. Morando, « L’institut agricole et colonial de l’université de Nancy, 1902-1940. Spécificités, réussites et limites », Annales de l’Est, 2004-2, p. 173-185) évoque en quelques lignes l’agronome lorrain et ses réalisations en matière d’enseignement de l’agriculture (note 4, p. 174). Malheureusement cette courte note se contente de paraphraser un article de dictionnaire, donnant une vision très superficielle de l’action de Mathieu de Dombasle.

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Par exemple à propos de la charrue sans avant-train : M. Daumas (dir.), Histoire générale des techniques, Paris, P. U. F., 1976, t. 3, p. 555 et G. Duby, A. Wallon, Histoire de la France rurale, Paris, Le Seuil, 1976, rééd. 1992, coll. « point histoire », t. 3, p. 200.

27 P. Bourdieu, L. Wacquant, Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Le Seuil, 1992, cité par B. Lahire, L’Homme pluriel, Paris, Nathan, 1998, p. 164.

matière de pédagogie et de transmission de savoirs, à l’origine de l’enseignement agricole et agronomique français.

C’est un portrait forcément austère que l’on dresse ici. Même si ses disciples (au sens large, élèves, proches…) ont laissé des témoignages sur sa vie, même quotidienne, il n’a pas, à notre connaissance, écrit de texte à caractère autobiographique, sauf quelques bribes éparses comme, lorsqu’au détour d’une lettre, Mathieu de Dombasle évoque sa cécité28. Aussi son comportement quotidien et sa « pratique culturelle » sont quasiment impossibles à appréhender. Seule la référence aux « types » connus des petits notables ruraux de la première moitié du XIXe siècle, peut nous guider pour imaginer sa manière de vivre le quotidien et globalement ses comportements. Toutefois, nous éviterons autant qu’il est possible ce recours à une comparaison à l’individu prétendu moyen ou typique qui est plus de nature à affadir l’analyse qu’à la renforcer. D’autant plus que la socialisation individuelle est la plupart du temps marquée par des dissonances culturelles : Wittgenstein était amateur de romans policiers et de western, tandis que Sartre préférait lire « plus volontiers les Série Noire que Wittgenstein »29. Cette hétérogénéité des pratiques culturelles chez ces deux illustres philosophes du XXe siècle, même si elle n’est pas à élever au rang d’invariant culturel, laisse à penser à des comportements très variés chez les savants du XIXe siècle, et Mathieu de Dombasle n’a pas dû faire exception. Malheureusement, sans source il n’est guère possible d’approfondir davantage cette idée et de spéculer dans ce sens.

Le choix de Mathieu de Dombasle est aisé à justifier a posteriori et il est facile de rationaliser un choix qui, en fait, ne tient qu’au hasard. Il n’empêche qu’après cette première phase de découverte fortuite d’un individu, une justification est souvent attendue pour comprendre pourquoi le biographe a poursuivi sa recherche, donc pourquoi le biographé mérite une biographie : « L’auteur des « Vies » n’est (…) pas celui qui opère la sélection : le choix s’impose à lui par une sorte de décision implicite issue d’une reconnaissance collective »30. Mathieu de Dombasle est passé à la postérité, il fait partie de la mémoire collective des nancéiens, statufié dans le centre de la ville sur la place qui porte aujourd’hui son nom (face à la demeure où il est né). Cependant, pour beaucoup aujourd’hui, c’est un

illustre inconnu. Le but n’est pas de redonner sa place au héros méconnu mais d’expliquer le

rôle d’un homme, figure importante de la Lorraine du XIXe siècle dont se souviennent ceux qui, nés vers 1920, ont encore entendu parlé de lui sur les bancs de l’école primaire et

28 A. D. M. M., 7 M 37.

29 B. Lahire, L’Homme pluriel, op. cit., p. 7-9 et J. P. Sartre, Les mots, Paris, Gallimard, 1963, p. 65.

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quelques agronomes, notamment ceux formés à Nancy, issus de la classe préparatoire

Mathieu de Dombasle du lycée Henri Poincaré ou qui ont suivi des enseignements dans

l’amphithéâtre Mathieu de Dombasle de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie et des Industries Alimentaires (ENSAIA-INPL) de Nancy. Son patronyme est aussi utilisé pour dénommer le lycée agricole de l’agglomération nancéienne, au lieu dit Pixérécourt, à Malzéville31. Les institutions de l’enseignement agricole et agronomique de Lorraine sont liées au nom Mathieu de Dombasle, mais cette référence commémorative est quelque peu désincarnée. Son œuvre est importante, nous y reviendrons, et les traces qu’il a laissées sont nombreuses. Notre choix est lié, tout d’abord, à sa notoriété : il est l’inventeur32 d’une nouvelle charrue et l’initiateur de l’enseignement agricole en France33 ; et, ensuite, à sa réflexion scientifique encore peu mise en lumière par les historiens de l’agronomie. Le but étant de montrer, sinon son rôle majeur, du moins sa place non négligeable au sein d’une communauté scientifique en constitution.

Opposer l’individu et la société n’a aucun sens, c’est « un faux problème (…) dont Pierre Bourdieu a montré l’inanité puisque l’individu n’existe que dans un réseau de relations sociales diversifiées… »34. Ce n’est pas l’individu en lui-même et pour lui-même qui est intéressant, c’est la dialectique individu / société et l’interaction entre le groupe social dont est issu l’individu, dans lequel il s’insère et qu’il participe à construire, et cet individu : c’est l’articulation entre l’individuel et le collectif qui donne sens à l’étude du sujet qui est « l’indispensable complément de l’analyse des structures sociales et des comportements collectifs »35. « Et c’est l’interaction de ces deux entités qui doit être au cœur de l’étude biographique »36. La biographie devient alors l’analyse d’ « un sujet « globalisant » autour duquel s’organise tout le champ de la recherche : « l’acteur individuel est le produit de multiples opérations de plissements (ou d’intériorisation) et se caractérise donc par la

31 Musée Mathieu de Dombasle et de l’enseignement agricole, Lycée agricole de Nancy-Pixérécourt, 1999.

32 Nous reviendrons longuement sur la notion d’invention et sur le statut d’inventeur de Mathieu de Dombasle dans le chapitre III.

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F. Knittel, M. Benoît, M. Cussenot, « Roville, 1822-1842, naissance de l’enseignement agricole français », M. Boulet (dir.), Les enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture, 1760-1945, Actes du colloque ENESAD, 19-21 janvier 1999, Dijon, Educagri, 2000, p. 91-99 ; F. Knittel, « La diffusion d’une pédagogie agricole : les écrits de Mathieu de Dombasle », Annales de l’Est, n°1, 2002, p. 131-143 et aussi M. Benoît, F. Knittel, « De la conférence agricole au tour de plaine: naissance d’une pratique de pédagogie agronomique », Les entretiens du Pradel (1er édition), Actes du colloque international Autour d’Olivier de Serres : pratiques agricoles et pensée agronomique (28-30 septembre 2000), Comptes rendus de l’Académie d’Agriculture de France, vol. 87, n°4, 2001, p. 105-112.

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J. Le Goff, Saint Louis, op. cit., p. 21. Pour aller plus loin on peut relever aussi que « jamais un existant ne peut justifier l’existence d’un autre existant » : J. P. Sartre, La Nausée, Paris, Gallimard, 1938, reprint folio 2004, p. 249.

35 J. Le Goff, « Comment écrire une biographie historique aujourd’hui », Le Débat, n° 54, 1989, p. 49.

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multiplicité et la complexité des processus sociaux, des dimensions sociales, des logiques sociales, etc., qu’il a intériorisés »37. Or « quel objet, plus et mieux qu’un personnage, cristallise autour de lui l’ensemble de son environnement et l’ensemble des domaines que découpe l’historien dans le champ du savoir historique ? »38. Le genre biographique est dans son objet et sa démarche un essai d’histoire totale ou, mieux, globale. L’individu s’intègre dans un groupe social, il est pris dans des réseaux de relations sociales et c’est son action dans le jeu des relations, voire des réseaux, qui permet à la fois de comprendre le personnage

biographé, c’est-à-dire de « montrer la signification historique générale d’une vie

individuelle »39, et « de jeter un premier regard sur l’accablante complexité des choses »40 : l’étude de l’individu et de son environnement social immédiat permet donc de comprendre, ou d’avancer des pistes d’explication, sur l’un comme sur l’autre. Plus globalement même, l’étude d’une vie n’a aucun sens prise isolément puisque « le meilleur moyen de ne rien comprendre à un phénomène, c’est de l’isoler… »41. Seule la confrontation avec l’environnement social d’un individu et les dynamiques qui en dépendent, permet donc de comprendre les articulations d’une vie. Toutefois, il faut se garder de croire que l’individu n’est que le résultat des influences issues de son groupe social puisqu’il « est difficile de valider historiquement l’idée de l’existence d’une mentalité unique dans un groupe ou chez un individu, quelle que soit l’activité sociale considérée »42. Le sujet biographé est donc le résultat d’une multitude d’interactions liée à l’hétérogénéité des modes de socialisation et du vécu individuel. Il faut sans cesse osciller théoriquement entre les deux grands pôles de la théorie de l’acteur, « celui de l’unicité de l’acteur » et celui de « sa fragmentation interne »43.

« Ce souci de situer un individu dans une série de réseaux évite les miroirs déformants, il nous invite aussi à nous méfier de l’évidence. En face d’une vie, fortes sont les tentations de restituer une cohérence rétrospective, car, bien entendu, de cette vie, on connaît le terme »44. François Dosse précise, à propos de l’œuvre de Norbert Elias, que « la réintroduction du

37 B. Lahire, L’Homme pluriel, op. cit., p. 233. B. Lahire ajoute « le sociologue qui s’intéresse aux acteurs singuliers retrouve en chacun d’eux l’espace social froissé, chiffonné » (ibid.). C’est la même chose pour l’historien nonobstant le fossé temporel qui le sépare de son sujet.

38 J. Le Goff, Saint Louis, op. cit., p. 15-16.

39 J. Le Goff, « Comment écrire une biographie historique… », op. cit., p. 50.

40 B. Guenée, Entre l’Eglise et l’Etat…, op. cit., p. 13-14 et 4e de couverture.

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M. Rodinson, De Pythagore à Lénine. Des activismes idéologiques, Paris, Fayard, 1993, p. 22. L’auteur d’ajouter : « Toute configuration humaine ou sociale entre dans une série, une catégorie. »

42 B. Lahire, L’Homme pluriel, op. cit., p. 22 et E. R. Lloyd, Pour en finir avec les mentalités, Paris, la découverte, 1993.

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« Tout corps (individuel) plongé dans une pluralité de mondes sociaux est soumis à des principes de socialisation hétérogènes et parfois même contradictoires qu’il incorpore ». B. Lahire, L’Homme pluriel, op. cit., p. 35 et p. 19 et 45. Cf. aussi B. Lahire, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, éd. la découverte, 2004.

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champ des multiples possibles offerts par les configurations sociales permet d’éviter l’alternative entre le postulat d’une liberté absolue de l’homme et celui d’une détermination causale stricte »45. Les risques de la linéarité et de la téléologie (forme d’anachronisme…) sont les écueils théoriques qu’il faut éviter dans la construction de la biographie. Le travail de l’historien est une reconstruction46, il ne donne pas à lire une vie telle qu’elle s’est réellement déroulée47. Il propose, en revanche, le récit d’une vie reconstituée d’après des sources, pas toujours aussi fournies que le chercheur le voudrait, qui le guident48 et lui permettent de formuler les hypothèses qui donneront sens à la biographie49 : « la biographie est la reconstruction d’une vie humaine. Elle tente de décrire et d’évaluer la carrière d’un individu, et aussi de reproduire l’image de sa personnalité vivante, en analysant l’impact que celle-ci exerça sur les actions du personnage et sur le monde où il vivait »50. De plus, le questionnement des sources et les hypothèses formulées, souvent liées aux événements de l’époque dans laquelle vit l’historien, orientent aussi l’écriture de ce dernier51. Avouée et assumée, la subjectivité de l’historien face à son sujet permet de mieux construire l’objet historique vers une recherche de la plus grande vérité, sans le fard d’une illusoire objectivité totale. L’historien est un homme, homme de son temps qui interroge les sources du passé pour en faire surgir l’histoire mais il ne peut cacher l’ « affectif » sous le voile de l’objectivité de la science purement objective. La démarche historienne, et plus encore lorsqu’il s’agit d’écrire une biographie, est une approche scientifiquement bien plus solide lorsqu’elle comprend une analyse du rapport de subjectivité de l’historien à son sujet. Nullement obligé d’expliciter cette démarche réflexive52, l’historien ne peut néanmoins en faire l’économie.

Si l’historien décide d’écrire une biographie c’est qu’il juge tout d’abord que la vie qu’il entreprend d’étudier et d’expliquer a un intérêt sur le plan historique, c’est-à-dire qu’elle

45 F. Dosse, La marche des idées, Paris, La découverte, 2003, p. 171.