3.2 Equations g´en´erales de la m´ecanique des fluides et de la thermochimie
3.2.3 Grandeurs caract´eristiques de la combustion turbulente
3.2.3.1 La turbulence homog`ene et isotrope
Chassaing [11] ´ecrit :≪l’´ecoulement turbulent est un mode naturel de mouvement de fluides vis-queux o`u des m´ecanismes internes d’´echanges ´energ´etiques assurent, au sein mˆeme de l’´ecoulement, la cr´eation et le maintien de toute une hi´erarchie de mouvements chaotiques r´epartis continuement sur une large gamme d’´echelles macroscopiques≫. On comprend alors que la caract´erisation simple d’un ´ecoulement turbulent entier ne pourra ˆetre possible que dans des cas limites tr`es simplifi´es. Ainsi, si la turbulence est homog`ene et isotrope (THI), c’est-`a-dire ind´ependante statistiquement `a la position o`u on l’observe dans l’espace et `a la direction, l’hypoth`ese d’´equivalence entre les statistiques d’ensemble et les statistiques spatiales est parfaitement justifiable. A partir de ces statistiques spatiales et d’arguments dimensionnels, on dispose d’un cadre th´eorique simple dans lequel toute la dynamique de l’´ecoulement peut ˆetre caract´eris´ee par un nombre r´eduit de quantit´es physiques reli´ees entre elles par des nombres adimensionnels qui mesurent une caract´eristique physique statistique de l’´ecoulement. Dans ce cadre id´ealis´e, la description de la dynamique de la turbulence dans l’espace spectrale prend tout son sens. Elle permet de proposer une explication ph´enom´enologique certes sch´ematique mais au moins intelligible des m´ecanismes `a l’oeuvre.
Spectre de l’´energie cin´etique turbulente, de dissipation et cascade de Richardson
Pour ´etudier les ´ecoulements turbulents, il peut ˆetre utile d’avoir recours `a une d´ecomposition des champs de pression et de vitesse en une partie moyenne et une partie fluctuante. Elle est nomm´ee d´ecomposition de Reynolds et pour la vitesse, elle s’´ecrit
ui = ui+ u′i, (3.34) o`uui etu′
i sont respectivement les composantes dans lai`eme direction des vecteurs vitesse moyenne et vitesse fluctuante. On appelle ´energie cin´etique turbulentek l’´energie cin´etique li´ee aux fluctuations du champ de vitesse. Elle est d´efinie comme
k = 1 2u
′ iu′
i. (3.35)
En utilisant l’isotropie, on peut repr´esenter la contribution de chaque nombre d’ondeK `a l’´energie cin´etique turbulentek, ind´ependamment de la direction du vecteur d’onde (K = ||K||) en d´efinissant une densit´e spectraleE(K) appel´ee spectre de l’´energie cin´etique turbulente. k s’´ecrit donc en fonction deE(K) comme
k = Z ∞
0
E(K)dK . (3.36) Dans l’´equation de transport pourk, qui n’est pas pr´esent´ee ici, on fait apparaˆıt un terme de dissipa-tion visqueuse de l’´energie cin´etique turbulente, not´eǫ, qui s’´ecrit
ǫ = ν∂u ′ i ∂xj ∂u′ i ∂xj ; (3.37)
on montre que cette quantit´e peut ˆetre li´ee `a la densit´e spectrale de l’´energie cin´etique turbulente par la relation
ǫ = ν Z ∞
0
60 Outils de simulation
FIGURE3.2 – Repr´esentation du spectre de l’´energie cin´etique turbulente
et ainsi, qu’on peut ´ecrire la densit´e spectraleD(K) de ǫ en fonction de celle de k comme
D(K) = 2νK2E(K) . (3.39) De par la proportionnalit´e en K2, l’´egalit´e 3.39 montre que le nombre d’onde contenant le plus d’´energie cin´etique turbulente est plus petit que celui correspondant au maximum de la dissipation vis-queuse. En d’autres termes, l’´energie est contenue dans des structures plus grandes que celles qui la dissipent. En outre, en r´e´ecrivant le membre de gauche de l’´equation 3.23 en faisant apparaˆıtre la d´eriv´ee particulaire de la quantit´e de mouvement, le terme non-lin´eaire de convection devient u · ∇u. Si l’on observe, dans le domaine spectral, son effet sur une fluctuation 1D compos´ee d’un seul modeK, on constate qu’il produit une fluctuation de nombre d’onde2K, c’est-`a-dire que l’´energie cin´etique tur-bulente est redistribu´ee des grandes structures, correspondant `a de petits nombres d’ondes, aux petites structures, correspondant aux grands nombres d’ondes. Ces deux observations permettent `a Kolmogo-rov de proposer en 1941 une mod´elisation de la dynamique de la THI selon le m´ecanisme de cascade ´energ´etique, dont les fondements avaient ´et´e introduits par Richardson, d`es 1922. Ce m´ecanisme est repr´esent´e dans la figure 3.2.
Dans la r´egion du spectre s´eparant les petits nombres d’ondes des plus grands, le bilan d’´energie cin´etique turbulente est suppos´e domin´e par la contribution de la redistribution ´energ´etique par les effets non-lin´eaire du terme d’≪inertie≫u · ∇u de fac¸on `a v´erifier la relation 3.38 ; c’est la raison pour la-quelle cette zone est dite≪inertielle≫. Elle n’existe que si la gamme des ´echelles composant le spectre de l’´energie est suffisamment grande et on montre alors, par analyse dimensionnelle, que dans cette zone, E(K) est proportionnelle `a K−5/3. Ce comportement dans la zone inertielle a ´et´e largement v´erifi´e exp´erimentalement. De plus, trois ´echelles sont caract´eristiques du spectre de l’´energie cin´etique turbu-lente :
– l’´echelle spatiale de Kolmogorov lk est d´efinie comme l’´echelle de l’´ecoulement `a laquelle les forces inertielles et les forces visqueuses se compensent. Ainsi, `a cette ´echelle, toute la quantit´e
Outils de simulation 61 de mouvement est dissip´ee en chaleur par les effets visqueux : les dimensions caract´eristiques spatiales et temporelles associ´ees `a la dynamique de cette ´echelle sont donc statistiquement les plus petites que l’on peut rencontrer dans l’´ecoulement. Si la s´eparation entre les grandes et les plus petites ´echelles est suffisante, le mouvement des petites ´echelles d´epend uniquement du taux de dissipation et de la viscosit´e cin´ematique. Toujours par des arguments dimensionnels, on montre alors que lk∼ ν 3 ǫ 1/4 . (3.40)
On noteraτkle temps caract´eristique associ´e `a l’´echelle de Kolmogorov, τk ∼ ν
ǫ 1/2
. (3.41)
La vitesse associ´ee `a l’´echelle de Kolmogorov sera not´eeuk;
– l’´echelle spatiale int´egrale est la longueurltcorrespondant math´ematiquement `a la distance au-del`a de laquelle deux volumes fluides dans l’´ecoulement sont consid´er´es comme statistiquement d´ecorr´el´es. Dans le spectre de l’´energie cin´etique turbulente, elle d´elimite grossi`erement l’entr´ee dans la zone inertielle et ne d´epend donc pas de la viscosit´e. On montre, par analyse dimension-nelle, que l’on peut l’estimer via la relation
lt∼ k
3/2
ǫ . (3.42)
On noteraτtle temps caract´eristique associ´e `a l’´echelle int´egrale. Plus ou moins par abus, l’´echelle int´egrale est ´egalement assimil´ee `a l’´echelle `a laquelle l’´energie cin´etique turbulente est inject´ee dans l’´ecoulement, ce qui permet de l’assimiler `a une longueur propre `a la g´eom´etrie de la confi-guration ;
– entre les deux, la micro-´echelle de Taylorlλest la plus grande ´echelle spatiale dont la dynamique est affect´ee significativement par la dissipation visqueuse,
lλ ∼r νk
ǫ . (3.43)
Dans le spectre de l’´energie cin´etique turbulente, elle marque donc la sortie de la zone inertielle et l’entr´ee dans la zone dissipative.
Nombres adimensionnels caract´erisant un ´ecoulement turbulent Le nombre de ReynoldsRe
C’est un nombre adimensionnel permettant d’estimer le rapport entre la contribution des forces iner-tielles, repr´esent´ees par le 2`eme terme dans 3.23, qui ont pour effet de d´estabiliser l’´ecoulement et de g´en´erer de nouvelles ´echelles turbulentes, sur les forces de dissipation visqueuse de la quantit´e de mou-vement repr´esent´ees par le3`emeterme dans 3.23), dont l’effet est de laminariser l’´ecoulement, c’est-`a-dire de dissiper les fluctuations de vitesse. Pour ce nombre, on doit se donner des grandeurs de r´ef´erences ca-ract´erisant l’´ecoulement : une vitesseUref, une longueurLref et un coefficient de viscosit´e cin´ematique νref,
Re = UrefLref
62 Outils de simulation Le nombre de Reynolds est donc caract´eristique d’un ´ecoulement laminaire s’il est petit et d’un ´ecoulement turbulent s’il est grand. La donn´ee deUrefetLref n’est pas toujours triviale ; celle deνrefl’est beaucoup plus, particuli`erement pour un ´ecoulement isotherme o`u la viscosit´e cin´ematique est constante sur tout le domaine. De plus, par d´efinition, le nombre de Reynolds bas´e sur l’´echelle de Kolmogorov est de l’ordre de l’unit´e.
Dans le cas de la THI, il est possible de d´efinir un nombre de Reynolds turbulentRet, si l’on connaˆıt la fluctuation typiqueu′
(prise comme la racine carr´ee de l’´energie cin´etique turbulentek) et l’´echelle int´egralelt,
Ret= u
′
lt
ν , (3.45)
et de la mˆeme fac¸on, on d´efinit un nombre de Reynolds bas´e sur la micro-´echelle de Taylor Reλ= u
′
lλ
ν . (3.46)
On peut montrer queReλ ´evolue comme$lλ/lk3/4
; il donne donc un renseignement sur l’´etendue de la zone dissipative. Il est cens´e rendre compte d’une certaine universalit´e de la turbulence `a petites ´echelles, permettant ainsi de comparer les ´ecoulements de nature diff´erente (grille, jet, couche limite). L’´etendue de la gamme des ´echelles spatiales contribuant `a la dynamique de l’´ecoulement turbulent est renseign´ee parRetqui ´evolue comme$lt/lk3/4
. Le nombre de MachM
Il exprime le rapport entre la vitesse locale d’un ´ecoulement et la vitesse du sona = √
γrT dans ce mˆeme fluide,
M = |u|
a . (3.47)
On peut n´egliger l’effet des ph´enom`enes de compressibilit´e, c’est-`a-dire des ph´enom`enes acoustiques, pour des nombres de Mach inf´erieurs `a0.3 environ : dans ce cas, l’´ecoulement sera dit incompressible. 3.2.3.2 Nombres sans dimension caract´erisant les propri´et´es de transport mol´eculaire
Le nombre de PrandtlP r
Ce nombre adimensionnel permet de comparer la vitesse de la dissipation visqueuse i.e. ≪ diffu-sion≫de la quantit´e de mouvement par rapport `a celle de la diffusion de la chaleur. Il est donc natu-rellement d´efini comme le rapport entre le coefficient de viscosit´e cin´ematique ν sur le coefficient de diffusion de la chaleurDth= λ/ρcp,
P r = ν Dth =
µcp
λ . (3.48)
Le nombre de Lewis associ´e `a une esp`ecek Lek
Lek compare la vitesse de diffusion de la chaleur et la vitesse de diffusion de l’esp`ece k ; il est le rapport entre le coefficient de diffusion de la chaleur et le coefficient de diffusion de l’esp`ece consid´er´e Dk,
Lek= Dth Dk =
λ
Outils de simulation 63 Le nombre de Schmidt associ´e `a une esp`ecek Sck
Il compare la vitesse de la dissipation visqueuse et la vitesse de diffusion de l’esp`ecek, Sck= ν
Dk . (3.50)
3.2.3.3 Quantit´es caract´erisant les interaction combustion/turbulence dans un milieu pr´em´elang´e
Il est utile de classifier les diff´erents r´egimes de combustion en fonction des intensit´es du m´elange mol´eculaire par diffusion et du m´elange turbulent par convection, notamment pour valider certaines hypoth`eses de mod´elisation de la combustion turbulente en pr´em´elang´e.
Le nombre de Damkh¨olerDa
Il permet de comparer le temps de m´elange turbulent assimil´e au temps caract´eristique de l’´echelle int´egraleτt`a celui de la chimieτc et est d´efini comme
Da = τt
τc . (3.51)
SiDa >> 1, la dynamique de la chimie pr´edomine sur celle du m´elange turbulent `a grande ´echelle et la structure de front de flamme est peu affect´ee par la turbulence. Dans le cas contraire, si Da << 1, le m´elange turbulent a eu le temps d’homog´en´eiser les champs thermochimiques et le comportement de la chimie tend vers celui que l’on observerait dans une configuration de type r´eacteur parfaitement agit´e (c.f.§ 4.4.4.3).
Le nombre de KarlovitzKa
On peut comparer le temps caract´eristique chimique τc et le temps de Kolmogorov τk, par l’in-term´ediaire du nombre de Karlovitz qui s’´ecrit donc comme
Ka = τc
τk . (3.52)
SiKa << 1, la dynamique des ´echelles de Kolmogorov est lente par rapport `a celle de la chimie qui peut ˆetre vue comme ind´ependante des petites ´echelles de l’´ecoulement. Ce nombre joue le rˆole de pendant aux petites ´echelles du nombre de Damkh¨oler : il est donc logique que l’on puisse relier les deux `a l’amplitude de la gamme d’´echelles pr´esentes dans le spectre de l’´energie cin´etique turbulente. En effet, en remarquant que τt/τk ´evolue comme√
Ret, on peut ´etablir un lien entreKa, Da et Ret `a partir la relation 3.52,
Ret= Da2Ka2. (3.53) Cette relation montre que deux de ces trois nombres adimensionnels sont n´ecessaires `a la caract´erisation du r´egime de combustion dans un milieu pr´em´elang´e.
Description de la dynamique de la combustion
En pr´em´elang´e, pour estimer les nombres de Damk¨oler et de Karlovitz, un temps chimique τc est n´ecessaire. Lorsque la combustion n’est pas ´etablie et que les ph´enom`enes transitoires sont de premi`ere importance, comme c’est le cas pour l’auto-allumage, τc peut ˆetre assimil´e `a un temps caract´erisant la
64 Outils de simulation dynamique globale de la thermochimie. Le d´elai d’auto-inflammationτig est alors tout indiqu´e. Sinon, lorsque le r´egime propagatif ´etabli domine la combustion, on peut construireτc `a partir des propri´et´es cin´ematiques de la flamme que l’on est en mesure d’estimer :δf, son ´epaisseur caract´eristique etSL, sa vitesse de propagation par rapport aux gaz frais4. On a alors
τc= δf
SL. (3.54)
En g´en´eral,δf est identifi´ee `a l’´epaisseur thermiqueδthdu front de flamme, elle-mˆeme d´efinie comme la somme des ´epaisseurs de la zone de r´eactionδret de la zone de pr´echauffageδp.