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La gestion traditionnelle des risques du prix de marchandises

CHAPITRE 1 – LA BOURSE DE MARCHANDISES ET LE RÔLE DE LA

I. LA BOURSE DE MARCHANDISES DANS LA LITTERATURE

1. Les besoins de la couverture des risques – raison de l’apparition du marché à

1.1. La gestion traditionnelle des risques du prix de marchandises

Face à l’instabilité du prix des matières premières et en raison du coût économique et social de celle-ci, ce sont les gouvernements qui, historiquement, ont tenté de mettre en œuvre des solutions de protection. Différentes stratégies pour gérer cette instabilité ont ainsi été proposées à partir des années 1930, mais toutes ont, d’une façon ou d’une autre, nécessité l’intervention des gouvernements (Skees et al. 1999).

Premièrement, dans les années 1930, il était communément admis que le contrôle de

l’offre réduisait l’instabilité du prix. Comme le rappellent Gérard, Piketty et Boussard (2013), les gouvernements tentent à cette époque de trouver les moyens d’atténuer les impacts négatifs de ces fluctuations et le stockage de marchandises, notamment alimentaires, joue un rôle important parmi les instruments mobilisés. Dans quelle mesure les stocks peuvent-ils être utilisés pour réduire la volatilité des prix et stabiliser les marchés et quels sont les aspects pratiques et institutionnels à prendre en considération (FAO, 2014) ?

Comme l’expliquent Gérard et al. (2013), l’objectif du stockage public est d’offrir une disponibilité adéquate des produits dans le temps, en dépit des fluctuations de l’offre (la demande étant reconnue comme relativement stable à court-terme et sujette à des tendances prévisibles). Pourtant, les effets du stockage sur le prix ou son efficacité et sa contribution au bien être global restent le sujet d’une vive controverse en économie (Hénin, 2010). Gouel (Hénin, 2010) suggère notamment que les politiques de stockage servent certes à améliorer la sécurité alimentaire mais pas à soutenir les revenus agricoles. Il s’est appuyé, pour affirmer ces propos, sur les politiques conduites dans les divers pays depuis 50 ans. En fait, le revenu agricole dépend bien des variations des prix des produits vendus et du coût des approvisionnements, mais également des aléas climatiques. De ce point de vue, la variabilité des prix de vente n’est qu’un facteur d’instabilité parmi d’autres, tandis que les politiques de stockage ne ciblent que l’instabilité des prix. Par conséquent, ces dernières n’influencent pas ou peu le revenu agricole. De plus, la stabilité des prix à travers les politiques de stockage est onéreuse. Toujours selon Gérard et al (2013), le coût du stockage (public ou privé) dépend de plusieurs composantes: frais financiers et coût d’opportunité (il faut payer l’intérêt sur les

sommes immobilisées pour financer le stock), coûts physiques des infrastructures nécessaires (qui sont des coûts en capital), frais courants dus aux altérations de marchandises, de gardiennage, etc. Dans le cas du stockage public, ces différents coûts pèsent naturellement sur le budget de l’organisme qui en a la charge.

Il semble par ailleurs évident que le faible niveau des stocks est, symétriquement, une condition nécessaire à la flambée des prix et que le lien entre les prix et les stocks est très dépendant de la politique suivie en matière de volatilité des prix. De nombreux pays ont eu recours à des politiques de (dé)stockage pour essayer de limiter les flambées des prix, et des initiatives analogues ont eu lieu aux niveaux régional et international. Il semble cependant qu'elles ont été peu efficaces et très coûteuses (FAO, 2014).

Deuxièmement, des accords dits « de produits » ont été instaurés au niveau

international dans le but de définir un prix minimum pour un certain nombre de produits de base (et donc un revenu pour les pays exportateurs fortement dépendants de la ressource) et/ou de gérer la volatilité des prix. A partir des années 1950 et suite aux accords dits de la Havane de 1948 (Marquet, 1992), plusieurs pays-producteurs (mais également consommateurs dans certains cas) prennent en effet en charge la gestion du marché des produits de base à travers la mise en œuvre d’accords internationaux. Cette régulation du marché des matières premières, sous les auspices des Nations Unies (NU) a commencé en 1954 avec l'Accord international sur le sucre (ISA) et l’Accord international sur l'étain (ITA), suivis quelques années plus tard par l’Accord international sur le café (ICoA, 1962), l’Accord international sur le cacao (ICCA, 1972), puis l’Accord international sur le caoutchouc naturel (INRA, 1980). L’ISA et l’ITA avaient pour but de trouver des mécanismes compensatoires dans des situations de marché où l’offre était supérieure à la demande et, consécutivement, où les prix s’affaiblissaient (Rowe, 1965; Gilbert, 1987). Ces deux accords utilisaient à cette fin des quotas d’exportation comme outil de la gestion des flux de matières sur les marchés internationaux, mais également, pour l’ITA, le stockage temporaire. L’ICoA est établi selon le modèle de l’ISA et fonctionne naturellement sur la base du contrôle de l’offre du café, mais son but essentiel est, à la différence des accords précédents, d’augmenter le prix du café, donc le revenu des producteurs, et non de stabiliser le cours du produit.

L’efficacité de ces différents accords fut variée, certains fonctionnant convenablement, mais tous furent, tôt ou tard, voués à l’échec et plusieurs raisons furent avancées pour l’expliquer. Gilbert (1996) suggère deux raisons principales. Il est, en premier lieu, difficile de déterminer immédiatement l’amplitude des mouvements de prix et de prendre en temps voulu les mesures (contra-cycliques) que ceux-ci imposent. Comme dans le cas des mesures nationales de stockage public évoquées dans la section précédente, ces mesures de stabilisation ont un coût d’autant plus grand que la volatilité des prix est élevée. Elles ne protègent pas, en second lieu, d’une baisse structurelle des prix car le stockage ne peut être indéfini. Il s’agit de la raison principale pour laquelle l’ITA a échoué et pour laquelle l’ICCA a rencontré de graves difficultés. En outre, dans l’ICoA, l’ISA et l’ITA, le contrôle de l’exportation à travers la limitation en volume ou en valeur, à l’importation ou à l’exportation, de marchandises, imposée par un gouvernement ou autrement dit «quota», cause davantage d’instabilité du prix de marchandises puisqu’il provoque une situation similaire au monopole.

 Comme le suggèrent Varangis et Larson (1996) notamment, quatre raisons supplémentaires peuvent être évoquées, toutes liées à l’absence de coordination (et en réalité à la faiblesse des mécanismes incitatifs pour le faire) entre pays membres. Tout d’abord, les bénéfices éventuels de tels accords ne sont pas également distribués, non seulement entre les membres de l’accord, dans la mesure où les différences de structure de productions entre pays rendent la notion de « prix minimum » très aléatoire (Akiyama et Larson, 1994), mais aussi

vis-à-vis des pays non signataires. Plusieurs producteurs ont ainsi pu bénéficier de tels accords alors qu’ils n’y participent pas comme ce fut le cas pour le Brésil avec ITA, la Côte d’Ivoire avec l’ICCA et le Vietnam avec ICoA.

 Il est également apparu que ces accords, souvent longs à négocier, ne purent être modifiés suffisamment rapidement pour faire face aux différentes mutations que connurent les marchés. L’ISA fut ainsi le premier accord à être suspendu en 1962 lorsque Cuba demanda en vain aux autres membres de l’accord, d’augmenter les quotas suite à sa perte du droit d’accès au marché américain.

 Enfin et plus fondamentalement, force est de reconnaître que ces accords portent souvent en leur sein les conditions de leur propre fin. Dans un contexte où l’offre de matières premières est relativement inélastique et ce, d’autant plus qu’elle est régulée par des quotas de production/exportation, toute augmentation de la demande créé les conditions d’une augmentation des prix et, en cela, favorise l’entrée de nouveaux acteurs, à l’image du Vietnam notamment sur le marché du café, qui voit dans ces cours élevés, les promesses de revenus importants. Au sein même de ces « oligopoles avec entente » que ces accords de produits favorisent, des divergences peuvent également apparaître. Lorsque les prix sont élevés, l’incitation à adopter un comportement de « free-riders » visant à écouler davantage de production et ce, au-delà des quotas, pour bénéficier d’un surplus de revenus, freine de toute évidence la mise en œuvre de stratégies coopératives durables. Pour ces différentes raisons, ces accords de produits ne purent répondre à la problématique de l’instabilité du prix des matières premières, agricoles ou non. Le monde économique et politique a donc dû se résoudre à accepter ce nouveau paradigme et, en cela, à mettre en œuvre d’autres solutions de gestion du risque de prix, concentrant ainsi le rôle des marchés financiers de matières premières, au premier rang desquels les marchés « futures ».

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