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1 NAISSANCE DE LA PENSÉE ÉCOLOGIQUE PONTIFICALE: DE PIE XII À PAUL VI

1.4 Le pape Paul VI, le développement intégral et la conversion morale

1.4.1 Gestion raisonnée des biens naturels

En général, Paul VI dénonce ce qu’il désigne par une « tentation matérialiste d’un certain libéralisme ».84 Avec insistance, il souligne que l’environnement en soi n’est pas titulaire de droits,

mais que l’homme seul est sujet de droits. Il rappelle que les biens matériels de l’humanité sont pour l’usage des générations présentes et à venir. En conséquence, les gestionnaires d’aujourd’hui doivent se montrer honnêtes et faire montre de sagesse et ce, au nom de la charité et de la solidarité intergénérationnelle. C’est au numéro 22 de Populorum progressio qu’il clarifie sa vision sur le rôle de l’homme au sein de la création :

Emplissez la terre et soumettez-la » : la Bible, dès sa première page, nous enseigne que la création entière est pour l'homme, à charge pour lui d'appliquer son effort intelligent à la mettre en valeur et, par son travail, la parachever pour ainsi dire à son service. Si la terre est faite pour fournir à chacun les moyens de sa subsistance et les instruments de son progrès, tout homme a donc le droit d'y trouver ce qui lui est nécessaire. Le récent Concile l'a rappelé : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité.85

Devant l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation (FAO), Paul VI, avec le courage des prophètes, en appelle à la conscience de tout le monde sur le danger écologique qui hante le monde en déclarant : « il a fallu des millénaires à l’homme pour apprendre à dominer la nature […].

81Populorum progressio, n. 87. 82Ibid.

83PAUL VI, Message à la Conférence de Stockholm : La Documentation Catholique (1965), n. 1613, pp. 668-9. 84 Populorum progressio, n. 17.

L’heure est maintenant venue pour lui de dominer sa domination ».86 Deux ans plus tard, le Vatican

envoya ses représentants à la Conférence mondiale de Stockholm, qui deviendra par la suite les « Sommets de la terre » avec ce message clair : « Nul ne peut s’approprier de façon absolue et égoïste le milieu ambiant qui n’est pas une res nullius, la propriété de personne, mais la res omnium, un patrimoine de l’humanité […] Vous saurez joindre à la recherche de l’équilibre écologique celle d’un juste équilibre de prospérité entre les centres du monde industrialisé et leur immense périphérie. La misère, a-t-on dit très justement, est la pire des pollutions ».87

Imbu de l’enseignement des Pères de l’Église, et, s’appuyant sur l’enseignement social de ses prédécesseurs, Paul VI précise et insiste encore sur les principes de la propriété privée et de la destination universelle des biens de la terre dont l’apanage propre est un péché condamnable devant l’humanité et le Créateur. Il écrit:

Si quelqu'un, jouissant des richesses du monde, voit son frère dans la nécessite et lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui ? On sait avec quelle fermeté les Pères de l'Église ont précisé quelle doit être l'attitude de ceux qui possèdent, en face de ceux qui sont dans le besoin : « Ce n'est pas de ton bien, affirme ainsi saint Ambroise, que tu fais largesse au pauvre, tu lui rends ce qui lui appartient ». Car ce qui est donné en commun pour l'usage de tous, voilà ce que tu t'arroges. La terre est donnée à tout le monde, et pas seulement aux riches. C'est dire que la propriété privée ne constitue pour personne un droit inconditionnel et absolu. Nul n'est fondé à réserver à son usage exclusif ce qui dépasse son besoin, quand les autres manquent du nécessaire.88

Comme ses prédécesseurs, Paul VI parle de l’économie en lien avec l’être humain, son premier bénéficiaire si bien que l’économie et technique n'ont de sens que par lui ; elles doivent le servir. De son côté, « l'homme n'est vraiment homme que dans la mesure où, maître de ses actions et juge de leur valeur, il est lui-même auteur de son progrès, en conformité avec la nature que lui a donnée son Créateur et dont il assume librement les possibilités et les exigences ».89 Il précise ce genre

d’humanisme qu’il entend inculquer dans les esprits en ces termes : « c'est un humanisme plénier

86PAUL VI, Discours à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 1970, [en ligne], consulté le 12 juin 2013, URL : https://w2.vatican.va/content/paul-vi/fr/speeches/1970/documents/hf_p- vi_spe_19701116_xxv-istituzione-fao.html.

87Message à la Conférence de Stockholm : Ibid. 88Populorum progressio, n. 23.

qu'il faut promouvoir. Qu'est-ce dire, sinon le développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes ?»90Tout compte fait, il est à considérer que le développement « pour être authentique,

il doit être intégral, c'est-à-dire promouvoir tout homme et tout l'homme ».91

Pour en partie répondre aux besoins du monde changeant de l’après Révolution tranquille de mai 1968, Paul VI profite de l’anniversaire de 80 ans de Rerum novarum et publie Octagesima adveniens (le 14 mai 1971). Par elle, il sensibilise les Églises locales en vue d’apporter des réponses spécifiques adaptées à leurs situations propres. En ce qui semble concerner l’écologie, il rappelle encore une fois que l’exploitation inconsidérée des biens naturels était la source de tous les problèmes environnementaux. Le pontife en appelle à la responsabilité des chrétiens pour contribuer à l’assainissement de l’environnement. Il explicite sa pensée au numéro 21 :

Par une exploitation inconsidérée de la nature, l’homme risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation. Non seulement l’environnement matériel devient une menace permanente : pollutions et déchets, nouvelles maladies, pouvoir destructeur absolu ; mais c’est le cadre humain que l’homme ne maîtrise plus, créant ainsi pour demain un environnement qui pourra lui être intolérable. Problème social d’envergure qui regarde la famille humaine tout entière. C’est vers ces perceptions neuves que le chrétien doit se tourner pour prendre en responsabilité, avec les autres hommes, un destin désormais commun.92

Le pape Paul VI hausse le ton pour appeler à l’ordre les scientifiques en ce qui concerne la technologie. La même intensité fait écho du synode des Évêques, « Justitia in mundo » (1971) qui est dans la ligne de Pacem in terris et de Populorum progressio. Les évêques invitent à la solidarité planétaire au nom de la justice et de la charité :

Les nouvelles possibilités technologiques reposent sur l’unité de la science, sur la globalité et la simultanéité des communications et sur la naissance d’un univers économique complètement interdépendant. Les hommes commencent aussi à saisir une dimension nouvelle et plus radicale de l’unité en découvrant que les ressources, les précieux ensembles d’air et d’eau indispensables à la vie, la petite et fragile « biosphère » de tout ce qui vit sur terre ne sont pas illimités, mais qu’ils doivent,

90Ibid. n. 42. 91Ibid. n. 14.

au contraire, être conservés et préservés comme le patrimoine unique de l’ensemble de l’humanité.93

À l’époque de la rédaction de cette lettre, les débats sur la crise écologique commençaient à faire peser leur poids. Le synode en appelle à l’unité de tous comme la seule garantie de la paix à défaut de quoi la terre et tout ce qu’elle renferme seraient en danger de mort. Et ce, par les guerres qui ne font que menacer, non seulement, la vie humaine, mais également, l'univers tout entier, voire l’humanité toute entière. Un autre ennemi que l’humanité doit combattre est l’injustice économique, car il crée un désordre dans la société et des inégalités entre les peuples. Voici comment le synode s’exprime à ce sujet :

Les anciennes divisions des nations et des empires, des races et des classes, possèdent maintenant de nouveaux moyens techniques de destruction ; la course rapide aux armements menace le plus grand bien de l’homme, la vie ; elle rend les pauvres, peuples ou individus, encore plus pauvres et enrichit seulement ceux qui sont déjà puissants ; elle engendre un risque permanent de guerre qui, dans le cas des armes nucléaires, menace d’annihiler toute vie sur terre. En même temps, de nouvelles divisions font leur apparition pour séparer l’homme de son prochain. L’impact du nouvel ordre industriel et technologique, s’il n’est pas combattu et dépassé par l’action sociale et politique, favorise la concentration des richesses, de la puissance, du pouvoir de décision, entre les mains d’une élite dirigeante, privée ou publique. L’injustice économique et le manque de participation sociale frustrent l’homme de l’exercice de ses droits fondamentaux humains et sociaux.94

Il est à remarquer que la vision écologique paulinienne s’articule autour des concepts du développement authentique et intégral, de la justice sociale garante de la paix, et le tout pour une gestion raisonnée et responsable des biens matériels. Bref, elle consiste à prémunir l’humanité de ce qu’il appelle « une tentation matérialiste d’un certain libéralisme ».95 En même temps, il réprime

la mentalité belliqueuse qui pourrait générer l’anéantissement totale de l’humanité. Il invite les belligérants à enterrer la hache lorsqu’il déclare devant la tribune des Nations Unies, comme s’il s’adressait au monde entier : « Jamais plus les uns contre les autres, jamais, plus jamais ! […]

93PAUL VI, Lettre synodale Justitia in Mundo, n. 9, [en ligne], consulté le 9 mars 2012, URL : https://www.doctrine- sociale-catholique.fr/les-textes-officiels/206-justitia-in-mundo.

94Ibid., n. 10.

Jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! »96 Il fait recours à la phrase de John Kennedy, le

président catholique assassiné, « L’humanité devra mettre fin à la guerre, ou c’est la guerre qui mettra fin à l’humanité ».97 Plus tard, il réitère cette invitation dans la lettre apostolique

Octagesima adveniens, dans un paragraphe consacré à l’environnement :

Brusquement, l’homme en prend conscience : par une exploitation inconsidérée de la nature, il risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation. Non seulement l’environnement matériel devient une menace permanente : pollution et déchets, nouvelles maladies, pouvoir destructeur absolu ; mais c’est le cadre humain que l’homme ne maîtrise plus, créant ainsi pour demain un environnement qui pourra lui être intolérable. Problème social d’envergure qui regarde la famille humaine tout entière.98

Bref, du discours écologique de Paul VI, nous soulignons son insistance sur du principe de la destination universelle des biens de la terre. En vertu de ce principe, il condamne la surconsommation et encourage au partage juste des biens de la terre, puisque, dit-il, « si la terre est faite pour fournir à chacun les moyens de sa subsistance et les instruments de son progrès, tout homme a donc droit d’y trouver ce qui lui est nécessaire ».99 En même temps, le pontife indique le

chemin du principe dit « primum non laedere - d’abord ne pas nuire » qui s’applique à la protection de la création tout entière. Car, « Toute atteinte à la création est un affront au Créateur ».100